Le thé – vers 1880 Mary Cassatt

 

Mary Cassatt (1844-1926)

 

Le thé

Vers 1880

Huile sur toile
Dim 64,7 x 92 cm
Conservé au musée des Beaux-Arts de Boston

 

La peintre

Mary Cassatt est née en Pennsylvanie, dans un milieu très aisé.
Sa famille s’installe à Paris en 1851, en Allemagne de 1853 à 1855, puis retourne en Pennsylvanie.
Mary a appris le français et l’allemand et suis des cours les cours de Pennsylvania Academy of Fine Arts de 1861 à 1865. En 1866, de retour à Paris elle suit les cours de Jean-Léon Gérôme.
Elle voyage en Italie et en Espagne.
Après plusieurs allers-retours entre les États-Unis et la France, elle s’installe définitivement en France en 1873.
Elle expose au Salon de 1872 et 1874. En 1875 et 1877 ses toiles sont refusées.
Elle se rapproches des impressionnistes, Degas en fait son modèle et suivant ses conseils expose aux 4°, 5°, 6° et 8° expositions impressionnistes.

Mary Cassatt œuvra pour la reconnaissance des œuvres européennes en Amérique du Nord.  Sous son impulsion, le marchand d’art Durand-Ruel organise une grande exposition des œuvres impressionnistes à New-York.

Mary Cassatt connait le succès de son vivant.
Sa première exposition personnelle chez Durand-Ruel à Paris a lieu en 1891.

En 1894 elle achète le château de Beaufresne au Ménil-Théribus dans l’Oise.
En 1914 elle devient progressivement aveugle et abandonne la peinture.
En 1926, elle meurt chez elle, dans l’Oise.

Au XIXe les institutions françaises ferment leurs portes aux femmes peintres. L’Académie des beaux-arts leur est interdite.
Il leur faut une dispense pour passer un baccalauréat ou entrer à l’université.

Pourtant le fait qu’une femme s’adonne au dessin ou à la peinture n’a rien d’insolite au XIXe. Cette activité est dans la continuité des travaux d’agrément enseignés à toutes les jeunes filles de la bourgeoisie.

Mary Cassatt en choisissant d’exposer au Salon, contrevient à la modestie et à la retenue que l’on attend des jeunes femmes de son milieu.
En s’affichant comme peintre elle se soumet à la critique du public.

Elle vend peu, son aisance financière ne l’oblige pas à rentabiliser sa production.

 

Le tableau

Le tableau illustre le quotidien de la vie bourgeoise.

Mary Cassatt représente sa sœur Lydia recevant une amie dans son salon d’un appartement haussmannien.

Le thé recueille les louanges des critiques de l’époque.

 

Composition

La peintre a représenté un intérieur contemporain.

Deux jeunes femmes sont assises sur un canapé fleuri.
L’une est tournée de profil, c’est l’hôtesse.
L’autre porte son chapeau, ses gants et son écharpe, et boit une tasse de thé, c’est l’invité.

La jeune femme et sa visiteuse sont « coincées » entre les rayures insistantes de la tapisserie et l’imposant service à thé posé sur la table du salon, au bord premier plan.

Le spectateur a une vue légèrement en contreplongée.
Le premier et le second plan sont côte à côte.
Représentés avec la même attention.

Les jeunes femmes occupent le second plan et pratiquement tout l’espace du tableau. Le regard butte sur les rayures de la tapisserie qui ferment le tableau.
L’effet est oppressant.

Sur la droite du tableau, une cheminée en marbre.
Cassatt a esquissé les sculptures de marbre, les dorures du cadre posé sur le devant de la cheminée ainsi qu’un vase de porcelaine bleu au piétement doré posé devant le cadre.

La cheminée et son décor ne sont pas traités avec le même soin que le reste de la composition.
Ils ferment le tableau sur la droite et donnent une indication du lieu.

Nous sommes dans un appartement haussmannien typiquement bourgeois.

La jeune femme de profil est pensive et détendue.
Son attention se porte hors du cadre.
Elle est vêtue d’une robe sombre, ses cheveux châtains sont rassemblés en un chignon bas de danseuse. Les couleurs foncées de ses vêtements ressortent sur le décor pesant des motifs et des  couleurs du  canapé et de la tapisserie.

Quant à l’invitée, Mary Cassatt la représente tout en rondeurs, son petit chapeau rond, ses cheveux clairs dont une frange encadre l’arrondi du visage, la tasse de thé ronde tenue devant son visage comme un masque et la soucoupe dans son autre main tenue en hauteur. Ses rondeurs sont en accord avec le plateau en argent du premier plan. Et s’opposent aux rayures de la tapisserie.

Le personnage doit sa présence à sa posture et aux couleurs complémentaires de ses vêtements.

La théière, le sucrier et une deuxième tasse sont ronds, surdimensionnés et définis par des contours sombres. Les puissants reflets d’argent contrastent avec le rouge sombre de la table basse. Ce service trône sur un plateau d’argent  rond et envahie tout le premier plan sur la droite du tableau.

Les couleurs sont subtiles.

Le ton est fort, la touche légère et vive.

Le travail sur le rendu du service est traité avec autant de soin et de finesse que les traits des jeunes femmes.

l’éclairage vient de la droite du tableau.
Les reflets de la lumière  donnent de la matière aux objets et aux textiles.

 

 

Analyse

Le message du tableau : exprimer le peu de mouvement qui caractérisait la vie des femmes du XIXe

La vie des femmes du XIXe était réduite au rôle d’épouse, de mère ou de modèle.

Pour cette raison, Cassatt, prend pour sujet une scène de la vie domestique.

L’heure du thé est un véritable rite social dans le Paris des années 1880.

Mary Cassatt représente des jeunes femmes de la bourgeoisie, dans une activité quotidienne.

Dans Le thé Mary Cassatt s’appuie sur la composition du tableau pour transmettre la sensation de vie « bridée » :
Elle comprime fortement l’espace et surdimensionne le service à thé.

Le conflit des ronds et des lignes et le gigantisme du service à thé installent l’atmosphère oppressante du tableau.

Le motif fleuri du canapé vient en renfort. Nous ne voyons pas les fleurs, nous voyons la couleur des fleurs, ce « brouillage » s’oppose à la précision des lignes de la tapisserie.

Mary Cassatt trouve sa place dans un environnement artistique dominé par les hommes en abordant des thèmes classiques sous un angle novateur.
On pense à Petite fille dans un fauteuil bleu –1878 dont la pause est très différente des modèles habituels.

Elle est critiquée pour le choix de ses modèles au physique loin des clichés traditionnels de la beauté.
Féministe convaincue, Cassatt milite en faveur de l’émancipation de la femme.
Elle manipule les couleurs pour étayer son choix délibéré et déterminé à rendre beau ce qui ne l’est pas au premier regard.
On pense à Jeunes femmes cueillant des fruits –1892.
Dans ce tableau on décèle une volonté délibérée de ne pas offrir une vision érotisée du corps féminin. Les deux femmes représentées ne correspondent pas aux canons de beauté traditionnels.

Dans sa jeunesse elle est influencée par Manet et Degas, on pense à Après la corrida –1873.  Son œuvre comporte des scènes d’intérieur, des portraits, notamment de sa sœur Lydia et des scènes de genre.

Le thé a du style impressionniste, l’indifférence des modèles à l’égard du spectateur.

C’est une coloriste pointue dès ses premières toiles inspirées de Manet jusqu‘à ses dernières œuvres au style très personnel.
Le thé empreint de sensibilité en témoigne.

Comme sa consœur Bethe Morisot, Mary Cassatt voyait l’éventail des sujets possibles réduits par sa condition de peintre féminine. Cassatt, comme Morisot, peignirent des tableaux où transparait la nouvelle passion bourgeoise pour le loisir ainsi que la solitude des personnages qui semble inhérente à la nouvelle expérience urbaine.

Cassatt se distingue des autres peintres impressionnistes.
Ses peintures bousculent  les conventions et expriment un message nouveau, un massage féministe. Cassatt célèbre les femmes et les traite comme des sujets porteurs d’une véritable profondeur.

Mary Cassatt s’est également spécialisée dans les portraits de mères avec leurs enfants. Le thème est classique mais son approche moderne a largement contribué à son succès.

Elle refuse de peindre la béatitude naïve de la maternité et préfère des scènes de la vie quotidienne, c’est le cas par exemple dans La toilette de l’enfant –1894

L’œuvre de Mary Cassatt est novatrice, spontanée et multiforme.

C’est une peintre indépendante dans une société dominée par les hommes.
Elle a été une figure féministe avant l’heure.

Dans les années 1870, la peinture est en pleine révolution.
Et les femmes peintres ont leur part dans ce renouveau pictural.

 

Conclusion

Si les règles du Salon étaient loyales en imposant un même jury pour tous les exposants et l’accès au mêmes récompenses.
Dans la réalité le génie artistique était identifié au génie masculin.

La peintre Virginie Demont-Breton (1859-1935) l’exprime : « quand on a à juger une œuvre sérieuse due au cerveau et à la main d’une femme, on dit, c’est peint ou sculpté comme un homme. »

Femme et artiste est un choix difficile au XIXe, ces pionnières méritaient un meilleur éclairage.
Mary Cassatt n’a pas reçu toute la considération dont elle était digne.

Comme Berthe Morisot, Mary Cassatt était une figure de proue du mouvement impressionniste. Respectées par les peintres et le public de leur époque, elles ont ensuite été oubliées par l’histoire de l’art.

Mary Cassatt était liée à la mouvance féministe américaine et s’est investie personnellement pour la cause des femmes, prolongeant dans les faits ce qu’elle avait initié en peinture. Par exemple en 1915, elle organise une exposition d’œuvres à la galerie Knoedler de New-York au profit des suffragettes, dont elle soutient la cause.

Son influence a été prépondérante dans la popularité de l’impressionnisme aux États-Unis. Elle bénéficiait d’un puissant réseau qui lui a ouvert les portes des grands collectionneurs d’art américains chez qui elle a stimulé l’intérêt pour les œuvres impressionnistes.

Devenue une artiste de référence aux États-Unis, ses tableaux sont conservés pour la plupart dans les galeries des grands musées américains.