Jeanne- Antoinette Lenormant d’Étiolles, marquise de Pompadour -Q. de La Tour

Maurice Quentin de La Tour (1704-1788)

 

Jeanne-Antoinette Lenormant d’Étiolles, marquise de Pompadour (1721-1764)

1752 à 1755
Dim. 175 x 128 cm

Pastel et rehauts de gouache sur un assemblage de huit feuilles de papier bleu collées à joints couvrants sur lequel ont été collées deux autres feuilles aux contours irréguliers et amincis pour le visage et la main droite.
Conservé au Louvre

 

Cartel du Louvre

Le plus célèbre pastel de La Tour est entré dans les collections du Louvre en 1803. Il était à l’origine légèrement plus grand et compta parmi les œuvres les plus ambitieuses du maître. Peint entre 1752 et 1755, année de sa présentation au Salon, il fit l’objet d’un soin tout particulier de la part de l’artiste qui peignit le visage certainement en présence du modèle sur une pièce de papier qui fut intégrée dans la composition avant qu’elle ne soit chargée en couleurs.

 

La marquise de Pompadour

Jeanne-Antoinette Poisson (1721-1764) reçoit une éducation artistique. Très tôt elle se distingue par un esprit fin et intelligent et, elle est jolie. Elle épouse Charles-Guillaume Le Normant d’Etiolles. Le roi vient fréquemment chasser dans la forêt de Sénart où se trouve le domaine d’Etiolles. Remarquée par le roi, Jeanne-Antoinette rompt son mariage, est anoblie et devient la maîtresse du Roi en titre en 1745. Le souverain lui accorde le titre de marquise de Pompadour et une importante rente qui lui permettra d’acquérir plusieurs châteaux dont le Palais de l’Élysée.
Quand madame de Pompadour s’adresse à De La Tour, il est déjà un peintre renommé. Elle lui demande un portrait où elle paraitrait aux yeux de la postérité en protectrice des Arts et des Lettres.

Description

Une jeune-femme est représentée dans un cabinet. Elle se tient droite au centre du tableau. Elle est assise dans un fauteuil à dos plat comme sur un trône. Elle est vêtue d’une magnifique robe à la française qui se déploie en un élégant drapé laissant voir deux petits souliers raffinés. Elle ne porte pas de bijoux. Elle est entourée d’objets d’art et de livres : une guitare est posée sur fauteuil placé derrière le sien, un carton à dessin se tient droit à ses pieds fermé par des lacets. Le modèle tient une partition de musique dans ses mains, son coude gauche repose sur la console où sont alignés des livres (dont on peut lire les titres) et un globe terrestre. La jeune-femme a le visage détourné vers la droite, comme surprise dans sa lecture.
Son visage au teint clair illumine de son élégance toute la composition
Au- dessus des livres, accroché sur le mur du fond, un grand miroir au cadre doré.

 

Composition

C’est un pastel de grande dimension. Il témoigne de l’habileté de Quentin De La Tour
Commandé en 1748, le portrait est achevé en 1755.
Seul le visage a été saisi au pastel d’après nature sous forme de trois esquisses préparatoires. Le reste de la toile est une composition en atelier.

C’est une composition fluide où l’espace est organisé.

C’est une composition équilibrée avec un motif central et pyramidal.
L’axe de la pyramide passe par l’œil gauche et son socle est le tapis en trompe-l’œil au premier plan. L’axe médian passe également par l’œil gauche du modèle et le pli central de son plastron.
Les motifs du tapis ainsi que la pochette à dessin sur la droite du tableau au premier plan donnent de la profondeur au pastel.
le tableau se lit de gauche à droite. Une courbe s’amorce à l’arrière-plan avec le pli de la tenture et suit la position du bras gauche du modèle.
Le regard glisse sur la partie droite du tableau, vers les livres.
À l’arrière-plan à droite du tableau, un grand miroir reflète un paysage imaginaire d’inspiration flamande et, donne de la profondeur à la scène.
De La Tour soigne les détails, les courbes des fauteuils et les plis de la tenture, la patine des motifs décoratifs de la table et la robe.
Le peintre a choisi une robe à la mode chez les aristocrates, dite à la française. Elle est constituée d’un plastron au décolleté carré garni de nœuds, d’une jupe large portée sur des paniers et, d’une traine.
De La Tour a travaillé l’effet du tissu de soie, ses plis, ses motifs tissés en relief.
Le peintre possède une grande maîtrise du pastel pour faire ressortir le feuillage doré, les rameaux bleus et les petites fleurs roses.
En alliant les nuances de bleu, d’ocre et d’or, il choisit des couleurs sobres qui témoignent de l’élégance recherchée pour cette œuvre.
Tandis que l’absence de bijou et la simplicité de la coiffure renforce le caractère intimiste de cette œuvre.
Les dorures des meubles, des livres et de la robe s’harmonisent avec le bleu profond du papier.

La source de lumière met en valeur les éléments plus clairs de la composition, le visage du modèle, sa robe et le piètement de la table.

 

Analyse

Le choix des livres de la marquise est un véritable manifeste.
Il montre l’ouverture d’esprit de madame de Pompadour et son attention à l’évolution politique.
Avec une part de provocation dans le choix des titres représentés :
Pastor Fido (Le berger fidèle), tragi-comédie de Giovanni Battista Guarini (1538-1612),
La Henriade, poème de Voltaire (1694-1778) à la gloire d’Henri IV et de la tolérance,
De l’esprit des lois, essai de philosophie politique de Montesquieu (1689-1755) et
le tome IV de L’Encyclopédie de Diderot (1713-1784) et D’Alembert (1717-1783), ouvrage interdit de publication en 1752.
La marquise, ancienne maîtresse du roi, se présente en alliée des philosophes des Lumières.
Elle veut léguer une image d’elle-même plus proche de ce qu’elle était devenue à l’âge de réalisation du portrait, même si ses choix déplaisent à Louis XV qui reste son ami.

Au début de l’année 1756 elle a été nommée dame surnuméraire du Palais de la Reine. Elle joue un rôle de renversement des alliances et le rapprochement diplomatique avec l’Autriche.
Ce portrait de la marquise réalisé à un moment décisif de sa vie, témoigne de son ascension sociale.

Le peintre propose de son modèle une image de raffinement et de culture. Il montre sa connivence avec l’élite intellectuelle de son siècle qui la distingue des courtisanes ordinaires. C’est le portrait d’une jeune-femme qui a reçu une éducation soignée et s’intéresse à la vie culturelle.
Auprès du Roi elle défend les philosophes Voltaire puis Diderot et d’Alembert dont les premiers volumes de l’Encyclopédie avaient été interdits.

Madame de Pompadour n’a pas demandé à De la Tour un portrait officiel représentant le prestige, le pouvoir et la richesse.
Elle a voulu donner une image de personne cultivée, dans son cadre domestique sans bijoux mais, entourée d’objets parlant de ses centres d’intérêts. Outre le théâtre et la philosophie, avec le carton à dessin posé à ses pieds la marquise montre qu’elle s’intéresse à la peinture. Avec la partition de musique qu’elle tient dans ses mains et la guitare posée sur le fauteuil elle montre son intérêt pour la musique.

 

Conclusion

La femme cultivée et sensible à l’esprit ouvert, remplace l’épouse obéissante et pieuse emblématique du portrait féminin jusqu’au XVIIIe.
Ce portrait marque une étape.
Dans le courant du XVIIIe, François Boucher avait déporté le portrait féminin vers la légèreté. Quentin De La Tour avec la complicité de son modèle donne de la femme une image novatrice en alliant beauté et intelligence.

Léonard de Vinci disait qu’un peintre devait représenter le visible et l’invisible. Le portrait de De la tour répond à ce précepte. Il représente ici la femme d’esprit, érudite, mécène, fervente protectrice des arts, artiste et conseillère du roi.

De La Tour : « Ils croient que je ne saisis que les traits de leur visage, mais je descends au fond d’eux-mêmes à leur insu et le remporte tout entier ».

De La Tour nous livre une image réussie affirmant publiquement la puissance du modèle à travers son ascension par la conquête du cœur du roi, jusqu’à son presque règne comme marquise de Pompadour

Il s’agit de nuancer la conception évolutionniste du XVIIIe siècle qui oppose   l’époque de Boucher à celle d’un David ou d’un Vien en affirmant que la première moitié du XVIIIe siècle était celle des mœurs et d’un art libertin tandis, que la seconde moitié, préconisait davantage la rigueur et la morale.
Ce portrait témoigne de cette réalité, la marquise de Pompadour est représentée comme un ardent défenseur du projet encyclopédique, contre la censure alors même qu’il s’agissait d’un projet qui consacrait de nouveaux idéaux et de manière plus générale la philosophie des Lumières. Madame de Pompadour, destinatrice du château de Bellevue se fait représenter ici dans un intérieur rocaille dans lequel, elle est parallèlement figurée comme défenseur du projet encyclopédique.

Ce portrait spectaculaire par ses dimensions et par la virtuosité technique avec laquelle il a été réalisé, est un chef-d’œuvre. Acquis par le Louvre depuis 1838, cette œuvre est la seule sur papier à être constamment exposée au département des arts graphiques, bien que l’œuvre soit très fragile et notamment la poudre de pastel qui ne lui autorise aucun mouvement et aucune vibration.