Le grand déjeuner – 1921-22 Fernand Leger

Fernand Leger (1881-1955)

 

 Le grand déjeuner

 1921-22
Huile sur toile
Dim 184 x 252 cm

Conservé au MoMA à New-York

 

Dessinateur dans un cabinet d’architecture, Leger est admis en 1903 à l’École des Arts Décoratifs à Paris tout en fréquentant l’Académie Julian et le musée du Louvre. Comme d’autres artistes de sa génération, il passe par différentes phases liées à l’impressionnisme, au néo-impressionnisme et au fauvisme. La carrière de Leger est soudainement interrompue par la première guerre mondiale dans laquelle il servit comme soldat. Son retour à Paris coïncide en 1918 avec un changement radical dans sa peinture. Désormais ses représentations s’inspirent de la machine et du dynamisme urbain.

 

Sujet

Trois femmes boivent leurs cafés et lisent leurs livres, entourées de coussins luxueux, dans une pièce décorée dans le style « hygiénique » prôné par Le Corbusier.

Le thème des trois femmes est récurrent dans l’art depuis l’antiquité.
Les trois grâces allégoriques décrites par le philosophe romain Sénèque inspirèrent de nombreux tableaux de femmes nues ou drapées. (Le Printemps –1478 tempera sur panneau de Botticelli, Les trois Grâces –1813-16 sculpture d’Antonio Canova, Les Grandes Baigneuses –1884-87 huile sur toile de Renoir ou Les Baigneuses à la tortue –1907-08 huile sur toile de Matisse).

De construction entièrement géométrique, le tableau est résolument moderne, à la fois classique et intemporel.

 

Composition

Leger par ses coups de pinceaux réguliers, ses formes tubulaires et ses couleurs claires et simples, propose une composition moderne et vibrante dans un format ajusté.

Les contrastes de formes anguleuses et de formes arrondies génèrent le dynamisme.

La composition est stabilisée par des lignes horizontales et organisée dans un espace quadrillé :
Au premier plan les tapis à raies et à losanges installent la distance. La petite table de forme carrée et de couleur rouge est posée dans l’axe du tableau comme un point d’orgue.
Au second plan les lignes horizontales du canapé traversent la composition.
À l’arrière-plan les verticales façonnent l’espace ; un seul mouvement de vagues bleues -en écho aux vagues des chevelures – dans le fond du tableau, à droite, évoque le rideau d’une entée.

Il n’y a pas de perspective traditionnelle.
Leger rejette la profondeur et joue sur les fausses perspectives et les couleurs.

Il saisit les contrastes entre la monochromie des volumes et les aplats de couleurs fortes entre les lignes et les courbes.
Sa palette de couleurs est restreinte.

Les femmes sont raides, leurs cheveux retombent en vagues plates impeccables et elles ont des visages muets aux regards inexpressifs. Les formes de leurs corps sont simplifiées et se découpent sur un fond d’éléments décoratifs simples.
Ce sont des odalisques-légo.

Le tableau présente un ensemble de formes sans vie intrinsèque, simplement modelées donnant l’impression que le corps humain est un objet fabriqué avec des pièces mécaniques.

Il oppose les éléments architecturaux aux volumes des figures humaines.

Il y a du cubisme dans les couleurs plates et la géométrie des formes.
Quant à la palette de couleurs et les lignes verticales et horizontales, elles rappellent les peintures abstraites de Piet Mondrian.

 

Analyse

Comment Leger avec son rapport entre la couleur et l’architecture, dynamise ses tableaux.

La carrière de Leger est interrompue par la 1erguerre mondiale dans laquelle il sert comme soldat. Leger avait travaillé avec les cubistes avant de combattre durant la guerre. Son expérience de l’atrocité des combats le mène vers un style plus optimiste qui accorde la primauté à la complétude de la forme :

« La guerre est finie, tout s’organise, tout se clarifie et s’épure ». Ainsi débutait son manifeste puriste, publié en 1918.

Le monde avait une nouvelle esthétique fondée sur l’équilibre et la clarté. Un retour à l’ordre classique associé aux progrès mécaniques, une beauté fonctionnelle.

De par sa formation à l’école d’architecture, Leger s’intéresse au rapport entre la couleur et l’architecture. Le grand déjeuner associe les pièces fonctionnelles et l’habitation moderne.

À la même époque l’application des principes architecturaux dans la peinture était prônée par le mouvement puriste et par Le Corbusier.

Le fait que les éléments architecturaux jouent un rôle central dans sa peinture constitue une tendance nouvelle qui marque cette période de sa carrière.

Dans le même temps, en ce début des années 1920, la figure refait son apparition dans une série de personnages féminins exécutés à partir de 1921, dont Le grand déjeuner

Dans Le grand déjeuner Leger associe les volumes et les couleurs.

La figure est un prétexte pour mettre en évidence la construction de sa peinture, par contrastes de formes et de couleurs. Le peintre se concentre sur les formes géométriques à la recherche de la beauté et de l’harmonie.

Il compose une nature morte humaine où les trois grâces sont représentées dans un décor en adéquation avec l’époque.

On entrevoit un ordre mécanique (le dynamisme) dans Le grand déjeuner avec les formes géométriques et les grilles régulières qui composent l’espace intérieur (l’architecture) ainsi que les lignes épurées et l’éclat métallique des objets (la couleur).

Selon Leger l’élément architectural que sont les lignes droites du tableau, contrôle l’espace et équilibre la composition.Les murs à l’arrière-plan sont partiellement colorés et sectionnés par des bandes noires verticales et horizontales. Ainsi Leger crée un dynamisme permettant aux murs de s’adapter aux caractéristiques du lieu en se servant de la couleur.
Il peut ainsi les faire « avancer » ou « reculer ».

Leger ne compte pas seulement sur « l’ordre mécanique » mais aussi sur la création à l’aide des couleurs, d’un espace dynamique.

Le grand déjeuner reflète ses recherches sur le rapport entre l’architecture et la couleur, liées à l’espace pictural.

Leger utilise la superposition et manipule les nuances de couleurs afin que chaque surface semble prendre vie par rapport à l’axe du regard de manière à créer des relations spatiales engendrant une ambiguïté dans la perception de la profondeur.

Le tableau participe à la « modernité » car il sollicite à la fois l’émotion et la sensibilité.

C’est à partir de sa fidélité à sa formation classique et à sa connaissance de l’art du passé que Leger affirme un vocabulaire propre, au nom d’un monde dont le centre est l’homme moderne.

Peintre moderne mais héritier d’une tradition, Leger a créé une iconographie originale.

 

Conclusion

Les impressionnistes avaient intégré les bouleversements du monde moderne, Monet ou Manet représentent le nouveau monde en peignant la gare Saint Lazare, d’un point de vue esthétique.

Entre 1909 et 1914, Picasso, Braque et Léger ont produit une succession d’œuvres classiques, équilibrées, dans les pas de Cézanne.

Après la guerre, les compositions dynamiques de Leger s’opposent aux compositions statiques de Braque et de Picasso. Ainsi si l’on compare La baigneuse –1932 de Leger et La grande baigneuse –1921 de Picasso.
Leger la représente disloquée en considérant le corps comme un assemblage.
Picasso donne à sa baigneuse une présence physique.

En 1924 Leger réalise un film, chef d’œuvre d’abstraction formelle : Le ballet mécanique.

En 1925, pour l’exposition des Arts Décoratifs, il décore le pavillon pour Le Corbusier ; il réalise des mosaïques, et crée les décors et les costumes du ballet de Rolf Maré : La création du monde.

Revenu en France en 1945, après être resté durant la seconde guerre mondiale à New-York, Leger peint des « tableaux manifestes » montrant ses préoccupations sociales et son intérêt pour l’humanité : Les loisirs sur fond rouge -1949.
Les constructeurs –1950

Le sujet de ses œuvres est l’homme de la rue, l’homme dans sa vie quotidienne, l’homme moderne. Pour peindre cet homme nouveau, Leger a inventé son vocabulaire pictural en s’accordant à l’esprit de son temps, en inventant et en allant chercher dans le passé ce qui pouvait nourrir sa démarche.

Avec le modernisme, Leger croit sans réserve au progrès, et adhère politiquement aux idées nouvelles. Le modernisme est un mouvement optimiste.
Une nouvelle société, une nouvelle pensée et une nouvelle représentation, émergent. Le devoir de l’artiste est de participer à cette naissance.

Son œuvre constitue une synthèse entre le monde moderne naissant et l’héritage d’une culture dans laquelle il a puisé toute sa vie.

Artiste profondément original, il a marqué plusieurs générations d’artistes : Francis Bacon, Roy Lichtenstein et Eduardo Arroyo en font partie.

Résolution

 

 

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                                                                Il n’est pas de vent favorable

                                  Pour celui qui ne sait pas où il va

                     Sénèque