Pèlerinage à l’île de Cythère – 1717 Antoine Watteau

 

Antoine Watteau (1684-1721)

 

Pèlerinage à l’île de Cythère

1717

Huile sur toile

Dim 129 x 194 cm
Conservé au musée du Louvre à Paris

 

Le peintre

Jean Antoine Watteau est né à Valenciennes en 1684.
En 1702 il travaille sur les décors de l’Opéra en tant qu’apprenti à Paris. Quelques temps après il entre dans l’atelier de Claude Gillot qui est un peintre spécialisé dans les sujets de la Comédie-Italienne et du théâtre de foire.
Il le quitte pour devenir l’élève du décorateur Audran qui est conservateur au musée du Luxembourg ou Watteau admire Rubens, Titien et Véronèse.
En 1717 il est élu membre de l’Académie de peinture
Watteau a travaillé huit mois sur Pèlerinage à l’île de Cythère et a attendu cinq ans pour le présenter comme morceau de réception à l’Académie royale de peinture.
Avec ce témoignage de son savoir-faire, il connaît une certaine renommée. Fort de ce succès immédiat, Watteau en fit une réplique qui est aujourd’hui à Berlin, c’est L’embarquement pour Cythère.
Il travaille beaucoup et se spécialise dans deux thèmes : le théâtre et les fêtes galantes.
Il meurt à l’âge de trente sept ans.

Antoine Watteau est le peintre français le plus souvent associé au rococo.
Ses fêtes galantes, pastorales dominent le début du XVIIIe.

Il eut une influence considérable sur ses successeurs, aussi bien en France qu’à l’étranger, et notamment sur Nicolas Lancret, son unique élève.
Tous deux allaient devenir des symboles de grâce et d’aisance artistique.

 

Le tableau

Dans l’Antiquité, l’île de Cythère, située dans l’archipel des îles grecques est considérée comme un des lieux de naissance de la déesse Vénus.
Cette île, symbolise les plaisirs amoureux.

Dans Pèlerinage à l’île de Cythère l’art, la nature et l’amour fusionnent au sein d’un paradis où règnent jeunesse éternelle, gaieté et sensualité, teintées cependant d’une certaine mélancolie.

Le sujet choisi par Watteau a largement été inspiré par les mœurs de son temps.

Pèlerinage à l’île de Cythère est la seule œuvre de Watteau que l’on peut dater avec certitude.

 

Composition

Cette une scène pastorale vue en plongée.

Vrai jardin ou décor de théâtre ?
La composition du tableau évoque une scène de théâtre, les personnages occupant la moitié exacte de la hauteur du tableau donnent l’impression d’un plan horizontal se détachant de la crique peinte sur un décor vertical.

La scène se découpe en trois plans.
Au premier plan, trois couples représentent les trois étapes de la séduction :
1e étape : le compliment courtois : une jeune-femme écoute pudiquement les mots doux d’un admirateur, la tête penchée sur son éventail. On observe la présence de l’enfant tirant sur la jupe de la bien-aimée. Cette figure symbolique est un cupidon.
2ème étape : le temps de l’invitation à danser ; l’homme habillé d’un pourpoint rouge aide avec une grande sollicitude, une jeune-femme à se relever.
3ème étape : l’enlacement, l’étreinte. Ce dernier couple est debout au bord du talus, l’homme de son bras droit, enserre la taille de la jeune-femme qui se détourne. Ils sont accompagnés d’un petit chien. Le chien est un symbole de fidélité souvent représenté dans les portraits de couple, on pense au portrait du couple Arnolfini de Jan Van Eyck.

Le deuxième plan délimité par les personnages en couple au bord de l’eau, est la crique. Elle s’étend jusqu’à l’arrière-plan du tableau où elle se fond dans des volutes de brume et disparaît dans le ciel.

À l’arrière-plan, le ciel bleu où les nuages ciselés de lumière offrent un écrin aux joyeux putti virevoltants.

Une statue de Vénus ornée de roses, émergeant d’un bosquet, se dresse à droite du tableau, au premier plan.
Les roses qui s’enroulent autour du buste de Vénus et les putti qui volètent dans le ciel sont traditionnellement associés à la déesse de l’amour.

On reconnait en bas à gauche du tableau l’embarcation de Vénus qui a la forme d’un lit à baldaquin dont la soie rouge est tendue par un amour.

Les positions des personnages forment une volute qui part de l’effigie de Vénus, épouse le relief du paysage du bord de l’eau et se termine dans le ciel avec la guirlande formée par les amours.

Les lignes sont harmonieuses, la position des personnages sur une ligne sinueuse lie les couples entre eux en formant des arabesques qui donnent l’impression d’une chorégraphie.

Huit couples portant bâtons et bréviaires, sont prêts à partir en pèlerinage sur l’île de Cythère.

Le point de fuite de la perspective où convergent les obliques montre la zone de lumière et la direction de Cythère.
Les croisements des obliques principales sont :
Matérialisée par les reflets de la lumière sur l’eau,
Passe par le sommet de la montagne à droite,
Suit la falaise à gauche,
Créée par l’alignement des putti voltigeurs.

La touche est rapide et variée, large et légère pour le ciel éclatant, plus dense pour les feuillages.

On observe l’aspect chatoyant du satin et cette sorte de brume qui enveloppe la scène de mystère et rend le lointain vaporeux.
Ce flou est une caractéristique de la peinture de Watteau.

Dans cette composition, la couleur est privilégiée.

Watteau s’attarde sur les rendus de la lumière sur la soie et le satin.
Il accorde chaque costume à l’harmonie de l’ensemble.

Parmi les différents bleus de la toile, il y a du bleu de Prusse, premier pigment synthétique moderne, qui vient d’être inventé.
Le rouge a des reflets rose-orangés, le gris est argenté, le brun a des reflets or, le blanc est travaillé dans différentes nuances (on pense à son Pierrot).

Watteau est un grand coloriste, un héritier de Rubens et de la peinture vénitienne du XVIe.

Son savant dosage de touches rouges et bleues apporte de la gaieté et de la musicalité à la composition.

Watteau a peint avec naturel et poésie, la vision du monde de l’amour au XVIIIe avec son intemporalité et son universalité.

Cette allégorie donnera un nouveau genre, le genre des Fêtes galantes qui s’ajoute aux autres catégories que sont la peinture d’histoire, le portrait, la scène de genre, le paysage et la nature morte.

 

Analyse

L’ambivalence du tableau montre à la fois « la vie convenable », « l’amour triomphant » et en même temps toute la nostalgie des personnages qui ne semblent pas croire à leur bonheur.

Le tableau flatte « la vie convenable » :
Le tableau répond aux aspirations des nobles et des riches bourgeois respectueux des codes de la galanterie, qui s’adonnent aux plaisirs d’une vie douce et sans souci dans leurs parcs somptueux.
Watteau comble ses aspirations, en illustrant l’art des jardins dévoués au plaisir des sens. Les couples sont soumis aux codes de la galanterie, ils profitent des plaisirs de l’amour, en évitant les débordements sensuels, comme l’illustrent ses trois couples au premier plan.
Watteau exprime des émotions subtiles à travers la diversité des attitudes.
Le XVIIIe est le siècle du libertinage, les codes sont plus permissifs que par le passé et son amour courtois.

Pèlerinage à l’île de Cythère est une allégorie de « l’amour triomphant »
Le motif du pèlerinage amoureux a une forte valeur symbolique.
Cythère existe, elle est située dans la mer Ionienne. C’est la patrie de Vénus, l’amour y est consacré.
Le mythe occidental transforma l’île aux amoureux en île enchantée et lieu des plus grands plaisirs. Faire un pèlerinage à Cythère c’est s’initier aux plaisirs de l’amour.
Au XVIIIe l’île fascine par son exotisme.
Watteau fait écho à cette mode en peignant un village accroché aux flancs de la montagne escarpée sur la gauche du tableau. Cette représentation correspond à l’imaginaire du public pour l’exotisme de la Grèce.
Watteau peint la douceur de vivre tel que l’imagine le XVIIIe.
Pour l’aristocratie l’amant est un pèlerin qui doit exprimer une véritable dévotion. Conformément à cette vision Watteau représente des hommes affables, courtois et attentionnés

« L’amour triomphant » est transcendé par la double présence de Vénus, en buste à droite du tableau et, sculptée, surmontée d’une coquille Saint-Jacques (attribut de Vénus sortant des eaux), en poupe de l’embarcation.
Watteau a représenté Cupidon, dieu de l’amour à travers son carquois garni de flèches, deux fois, au pied du buste de Vénus et tirant la jupe de la jeune-femme au premier plan.
Neuf putti voltigent dans le ciel, deux autres s’accrochent au bâton du pèlerin pour le guider.

Les deux barreurs qui maintiennent la barque contre la rive ont des carrures d’athlètes. Ils mènent les amants vers les plaisirs de l’amour.

« L’amour triomphant » est illustré plus discrètement, par les roses (symbole de l’amour partagé), par la couleur rouge (symbole des liens de l’amour), par le petit chien (symbole de la fidélité).

Le pèlerinage religieux est détourné au profit d’un hommage à l’amour et à ses plaisirs. Le glissement opéré par le peintre du pèlerinage, acte religieux, vers une entreprise amoureuse est courant dans la culture occidentale de l’époque.
Tous les personnages masculins sont munis de bâtons de pèlerins.
Au premier plan sur le sol, Watteau a placé un bâton avec une gourde dont on peut imaginer qu’elle contient un philtre d’amour et un bréviaire d’amour (pour guider la marche du pèlerin).

Le relief du paysage comme les bâtons des pèlerins, accompagnent notre regard et nous entrainent dans la farandole des personnages. Les couples poursuivent le parcours vers le plaisir et consacrent « l’amour triomphant ».

Les personnages n’ont pas l’air de croire à leur bonheur.
Leurs sourires seraient de la mélancolie.
Il y a une ambivalence entre le thème amoureux et cette mélancolie.

Ce tableau intrique parce qu’il n’impose pas une interprétation.
Les pèlerins , viennent-ils d’aborder ou se préparent -ils à partir ?

L’intention est inversée : Les amants sont sur l’île de Cythère et s’apprêtent à la quitter, d’où leur mélancolie.
Le geste de l’amour au premier plan signifierait qu’il tente de retenir la jeune-femme et le regard détourné de la jeune-femme du troisième couple deviendrait un regard de regret.

–  C’est un départ pour l’île de Cythère, les couples partent avec l’idée qu’il faudra revenir, d’où leur mélancolie.

Cette ambivalence souligne le temps qui passe.

Les couleurs accompagnent la fuite du temps : les ocres et les bruns des arbres font penser à l’automne, les reflets sur l’eau, le ciel clair, les roses évoquent le printemps. La fraîcheur de la lumière évoque le matin et le poudroiement doré qui recouvre la végétation suggère le crépuscule.

Ainsi le tableau en représentant simultanément le début et la fin de la  journée et de l’année, représente la fuite du temps.

Watteau en peignant  nous invite à méditer sur l’idée du bonheur amoureux.
Notre imagination décrypte les symboles et prête aux visages des sentiments.
La mélancolie est peut-être celle du spectateur.  

Le pèlerinage à l’île de Cythère est un véritable moment de poésie. Les personnages aux allures théâtrales ont inspiré nombre d’artistes et écrivains comme Verlaine qui publia en 1869 un recueil intitulé Fêtes galantes


Conclusion

La délicatesse, la gaité, la jeunesse et la sensualité furent les idéaux de la peinture française rococo. La frivolité était considérée comme une vertu.

Le style rococo naquit en France pendant la Régence (1715-1723) période de l’enfance de Louis XV pendant laquelle Philippe d’Orléans exerça le pouvoir.

Au style baroque de la cour de Louis XIV, il incorpora des éléments plus légers, des courbes plus délicates, de l’asymétrie et de l’enjouement. D’abord apparu dans les arts décoratifs, l’art rococo s’étendit, à son apogée vers 1730, à la peinture et à la sculpture. Pan et Hercule dans le cadre d’un retour en force des dieux et des héros, et l’obscurité baroque parfois maussade laisse place à une palette plus claire, avec du bleu, du jaune et du rose additionnés de blanc.

Le thème des fêtes galantes qui mettent en scène le sentiment amoureux dans un cadre idyllique a été repris par d’autres peintres tel que Fragonard.

Pour Monet, Pèlerinage à l’île de Cythère  est le plus beau tableau du Louvre avec ceux de Véronèse.