Les funérailles de l’anarchiste Galli – 1910-11 Carlo Carrà

 

Carlo Garrà (1881-1966)

 

Les funérailles de l’anarchiste Galli

1910-1911

Huile sur toile
Dim 199 x 259 cm

Conservé à New-York au Museum of Modern Art

 

Le peintre

 Carlo Carrà a une formation classique, il étudie à l’Académie de Brera.

Le peintre est considéré comme l’un des artistes fondateurs du futurisme.

Carrà est autant théoricien que peintre.
Il publie en 1913 un Manifeste : La peinture des sons, bruits et odeurs.

Qu’est-ce que le futurisme ?
« Une voiture de course est plus belle que la victoire de Samothrace. » ainsi Filippo Tommaso Marinetti, auteur du Manifeste du futurisme –1909, décriait-il l’un des trésors du Louvre. Il devint le chef de file d’un groupe de jeunes artistes milanais qui méprisaient le passé sous toutes ses formes, notamment la Renaissance. Les musées étaient pour eux des cimetières et la guerre, « seule hygiène du monde », se voyait louée pour sa capacité à détruire les monuments et la pensée antiques.

Il fallut plusieurs années au groupe pour que son art se révèle aussi incisif que ses mots.

En février 1912, les futuristes organisent à Paris leur première exposition, leur art métamorphosé avait enfin l’impact désiré.

 

Le tableau

Angelo Galli a été tué lors d’une grève générale à Milan en 1904 et la police a refusé que ses funérailles aient lieu au cimetière.
Elles se déroulèrent sur la place devant celui-ci, entraînant un déchainement de violence de la part des anarchistes.

Carrà représente les affrontements entre manifestants et policiers qui eurent lieu lors des funérailles, le 13 mai 1906.

Cette toile a été réalisée de mémoire, six années après les faits,  à partir des croquis du tragique dénouement esquissés par Carrà. Carrà était à l’enterrement, très affecté parce qu’il a vu il dessina de retour chez lui le spectacle auquel il  assista ; un cercueil couvert d’œillets rouges ondoyant de façon menaçante sur les épaules des porteurs, des chevaux emballés, des bâtons et des lances.

Ce tableau a été présenté à l’exposition Les peintres futuristes italiens en février 1912 à Paris.

Les trois autres tableaux de grandes dimensions exposés aux cotés des
Funérailles de l’anarchiste Galli sont :
La ville qui monte –1910 de Boccioni, La Révolte de Russolo et La danse du Pan -Pan au Monico –1910-11 de Severini.
Ces trois tableaux ont aussi pour sujet la foule.

 

Composition

Le tableau représente la répression par une troupe montée du cortège guidé par les anarchistes, dernier hommage rendu par les révolutionnaires et la masse ouvrière à Galli.

La structure de la composition est soumise à un mouvement de rotation centripète.

Les lignes sont en concurrence et les plans se battent.

Le premier plan a disparu, cela contribue à rapprocher le point de vue et annuler la profondeur de la perspective.

L’œil est siphonné par cette composition sans aucun espoir de sortie.
Le spectateur, impliqué malgré lui, est entraîné au centre du tableau.

Des lignes circulaires jaunes et rouges fluorescentes, jaunes et noires se déroulent en mouvements violents et en éclats d’ombres et de lumières.
Elles forment un réseau de faisceaux, entrainent notre œil et nous obligent à lutter avec les manifestants. La foule a une attraction magnétique.

Dans la partie haute de la toile, des arabesques striées de vibrations résonnent des bruits de l’affrontement. Tandis que les lances et les hampes des drapeaux font référence à l’iconographie traditionnelle des batailles – La bataille de San Remo d’Uccello -1456.

Les figures englouties dans un tourbillon, sont déformées et mélangées.
Il est difficile de distinguer leurs positions dans l’espace.
C’est la même force centripète qui engloutie les chevaux et déforme les figures.

La tonalité de l’œuvre est dans une palette de terres, enfer zébré de rouges, de jaunes et de verts. La couleur rouge gicle dans ce tableau.
La dominante brune est celle des chevaux, qui sont les vecteurs de la violence qui fuse dans cette composition.

 

Analyse

Comment Carrà met en pratique dans ce tableau, les volontés et les dogmes du futurisme.

 I- Son tableau rejette le passé en s’attachant à reproduire une réalité contemporaine: une manifestation de rue sanglante.

Le spectateur y trouve une sorte de chronique des préoccupations des temps modernes. Carrà fait de la scène une bataille, élevant la mort d’un individu au rang d’une lutte épique.

Sa toile est le contraire d’une peinture abstraite. En sollicitant la sensibilité de notre œil, Carrà rend concret ce qui jusqu’à lui, était considéré comme invisible. Carrà traduit en images les sensations auditives et tactiles comme il traduit les sensations visuelles.
Les lignes de force renvoient sur la toile les trajectoires et le ton de la violence.

Cet événement a joué un rôle central dans la réflexion artistique du peintre. C’est pendant qu’il travaille sur cette toile qu’il parvient à la définition d’un nouveau langage pictural proprement futuriste.
Il écrit dans son Manifeste « le souvenir de la scène dramatique, me poussa à écrire dans le manifeste de la peinture futuriste la phrase : « nous placerons le spectateur au centre du tableau ».

II- Si la sensation dynamique est une priorité du futurisme, dans ce tableau Carrà s’en éloigne.
Le tableau s’attache aux effets spectaculaires de la violence.

Il s’intéresse à la foule pour son pouvoir et non pour son dynamisme.

Ce qui impressionne le plus Carrà ce ne sont pas les faits en eux-mêmes mais, l’expérience de se trouver « au centre de la mêlée ».
Carrà est fasciné par la foule qu’il considère en tant qu’agrégat social dans lequel de nouveaux rapports s’établissent entre individu et collectivité.

Ce n’est pas le dynamisme généré par la foule qui l’intéresse mais la coercition qu’elle exerce et sa violence. C’est la perception de la compénétration des individus les uns dans les autres et dans l’espace.

Les futuristes inventent leur propre version de la photographie du mouvement, le « photodynamisme ».  Alors que Muybridge et Marey utilisent des clichés successifs pour décomposer un mouvement en images multiples, le photodynamisme recours à une vitesse d’obturation lente pour saisir l’ensemble du mouvement, avec toutes ses étapes intermédiaires, sur un seul négatif.
Il en résulte une cacophonie de lignes et de formes superposées, floutées et démultipliées.

En 1889, le philosophe Henri Bergson découvre la notion de durée comme une expérience subjective qui donne une perception tantôt condensée tantôt dilatée du temps. Le temps est la perception que nous en avons.

Les futuristes adoptent une approche similaire vis-à-vis de l’espace. L’expérience individuelle des lieux et des événements est violente pour Carrà.
Il considère que la construction des tableaux a été jusqu’ici stupidement traditionnelle. Les peintres ont toujours montré les objets et les personnes placés devant eux.
En réaction, Carrà place le spectateur au centre du tableau.

Extraits du Manifeste du futurisme :
« Le geste que nous voulons reproduire sur la toile ne sera plus un instant fixé du dynamisme universel. Ce sera simplement la sensation dynamique elle-même. En effet, tout bouge, tout court, se transforme rapidement. »
« …notre art est ivre de spontanéité et de puissance. »

La couleur rouge est vecteur de violence.

 L’atmosphère délibérément chaotique, préfigure la théâtralité du dadaïsme.
La profonde fragmentation de la forme de ce tableau s’apparente au cubisme.
Cependant, comparée aux compositions très équilibrées de Picasso et de Braque, cette toile dégage une intense impression de chaos et de violence que Carrà obtient en injectant des couleurs fortes.

Les forces qui sont en concurrence phagocytent l’œil et l’entraînent dans une expérience sensorielle.


III- Ce tableau est le reflet de l’état d’âme du peintre.

La violence pénètre ce tableau qui évoque sans ambiguïté l’esprit destructeur de l’anarchisme.

Le langage pictural de Carrà rend visible l’invisible.

Il entraîne le spectateur dans une participation émotionnelle.

L’observation de la foule comme une manifestation de sociabilité spontanée.
La représentation iconographique que Carrà donne de sa foule est une réponse à sa perception de la foule.

La foule joue un rôle décisif dans ce tableau.
La fureur des hommes révoltés est palpable.
Carrà considère la foule comme une solution possible à la contradiction qui oppose la revendication de l’autonomie de l’individu anarchiste à la nécessité de préserver la dimension communautaire de la vie.
La foule est un agglomérat d’individus hétéroclites qui se transforment en une collectivité cohérente.

Cette toile est une mise en abîme de la mort.


Conclusion

Carrà écrit dans son manifeste La peinture des sons, bruits et odeurs -1913 :
« Chaque succession de sons, de bruits et odeurs, imprime dans l’esprit une arabesque de formes et de couleurs…ce bouillonnement vertigineux de formes et de lumières sonores, bruyantes et odorantes a été exprimé en partie dans
Les funérailles de l’anarchiste Galli et Les cahots de fiacre. »

En 1910, l’année du tableau, les futuristes se sont proclamé « les primitifs d’une nouvelle sensibilité totalement renouvelée ».

Main Moche

La brillante culture  Mochica est contemporaine des Mayas de   Mésopotamie et précède de plus de huit siècles le célèbre empire des Incas.

C’est un gant de cérémonie en tissu de coton et fibre de camélidé.

La décoration comprend des éléments typiques de la culture Wari, tels que les pointes d’ongles, les figures de félin aux yeux fendus et les têtes de félin profilées avec des nez crochus.
La figurine centrale est le dieu Moche représenté en tenue de guerrier.
Il porte une ceinture à tête de serpent, un bouclier et  tient à la main un gobelet cérémonial.


Sculpture de cérémonie du dieu Moche
Cette culture précolombienne étendue sur la côte nord péruvienne a vu l’apogée de sa civilisation  avec l’empire Wari entre 600 et 1000 ap. J.C.