La Trinité -1425-27 -Masaccio

Cette fresque est conservée dans l’église Santa Maria Novella à Florence

Un souvenir impérissable et une des premières démonstrations de la puissance du modèle perspectif.
Pour construire sa fresque, Masaccio aurait utilisé la technique de l’astrobale, connue à l’époque.
Pour rappel, c’est seulement en 1435 qu’ Alberti publie un traité sur la perspective : De Pictura.

On observe que si Masaccio applique rigoureusement le principe de la perspective aux éléments architecturaux, il oublie les figures. Elles devraient être d’autant plus petite qu’elles sont éloignées, or elles sont toutes de la même taille.

La conversation sacrée – 1472-74 Piero Della Francesca

 

Piero della Francesca (1415-1492)

 

Vierge à l’enfant avec les saints et Federico de Montefeltro dit
La conversation sacrée

Vers 1472-74

Huile sur panneau

Dim 170 x 270 cm

Conservé à la pinacothèque de Brera à Milan, Italie.

 


Le peintre

Sa ville familiale est Borgo Sansepolcro -en Toscane, Piero y passe la plus grande partie de sa vie. Il a vécu également à Florence où il étudie les fresques de Masaccio ; s’imprègne de l’élégance simple des compositions de Fra Angelico ; trouve chez Domenico Veneziano l’art de la lumière, il réalise avec lui un cycle de fresques à l’église Sant ’Egidio (aujourd’hui perdues) ; et approfondit sa connaissance des lois de la perspective théorisées par Leon Battista Alberti.

Piero della Francesca mixe dans son œuvres tous les éléments appris chez les maîtres florentins et forge son propre style.
De nombreuses cours italiennes le réclament. Il est engagé un moment à Ferrare.
En 1459, il réalise une fresque au Vatican, aujourd’hui disparue.
Il est très lié à Urbino (ville située dans les Marches -Italie centrale) qui est le duché de Federico da Montefeltro (1444-1482). Comme les Médicis de Florence, Federico souhaitait établir une cour somptueuse pour y recevoir humanistes, artistes et poètes.
Piero exécuta un certain nombre d’œuvres pour lui, dont la Flagellation du Christ -1460,  le portrait de Federico et de sa femme, Batista Sforza et la Conversation sacrée –1475

Vers la fin de sa vie, il serait devenu aveugle.
Dans tous les cas, il passe de la pratique à la théorie.
Piero cesse de peindre pour se consacrer à l’étude des mathématiques et de la perspective. Il rédige deux traités de géométrie dans lesquels il pose en termes scientifiques le problème du rapport harmonieux entre les formes et l’espace :
De la perspective en peinture et Des cinq corps réguliers.

 


Le tableau

À la suite du portrait que Piero a réalisé de lui et de sa femme, Federico de Montefeltro lui commande la Conversation sacrée pour l’église San Donato degli Osservanti à Urbino, pour célébrer la naissance de son fils Guidobaldo.

Cette peinture fut probablement commandée en hommage à Battista Sforza, la femme de Federico, décédée en 1472, à l’âge de 36 ans, après la naissance de son neuvième enfant et premier fils.

Le duc est agenouillé devant la vierge.
L’espace situé en face de lui, où aurait dû se trouver sa femme, est vide.

À la mort du duc, le tableau est transféré dans le mausolée de l’église San Bernardino.

Ce tableau est considéré comme le sommet du parcours artistique de Piero della Francesca.

 

Composition

C’est une œuvre religieuse.
Le peintre reprend le thème iconographique chrétien de La conversation sacrée, thème plébiscité en Italie à la fin du Quattrocento.

Cette composition est une habile démonstration de géométrie.

Elle se décline en deux plans :
Au premier plan les personnages occupent toute la largeur du tableau :
Les figures sont disposées en arc de cintre autour de la Vierge.
Cette disposition met en valeur la Vierge et l’Enfant au centre du tableau.

À gauche du tableau est figuré saint Jean-Baptiste, barbu, il tient un bâton. Ses vêtements sont une peau de chamois et une toge bleue. À ses côtés se tient saint Jérôme avec ses habits d’ermite, en lambeaux. Derrière lui, San Bernardino de Sienne, confesseur de Federico.

À droite du tableau est figuré saint Jean l’Évangéliste avec son livre et son manteau rose. Derrière lui se tient saint Pierre de Vérone, martyr, avec la coupure sur la tête. En robe grise saint François d’Assise est à gauche de la Vierge.

La Vierge est assise au centre de la composition, elle trône en majesté. Ses mains sont réunies dans un geste de prière.
C’est l’iconographie de l’adoration : les mains sont jointes dans la prière vers l’Enfant.
L’Enfant Jésus est allongé et endormi sur ses genoux.
La Vierge a les pieds posés sur un précieux tapis d’Anatolie.
Ce tapis est un objet rare, le peintre s’est inspiré des peintures flamandes.
Le personnage de la Vierge domine la scène et son visage est le point de fuite de la composition. Autour d’elle, se tiennent six saints et quatre anges.

Le donateur est agenouillé en tenue de soldat, à ses pieds, devant le tapis, à la droite du tableau et sur le devant de la scène. Il est représenté sous son meilleur profil -le droit. Il a déposé son heaume devant ses genoux en signe de respect.

Au deuxième plan, une architecture luxuriante autour d’une coquille située dans le registre du haut.
Le peintre a choisi pour décor l’abside monumentale d’une église.
C’est une architecture Renaissance, ornée de grands panneaux de marbre.
La position des personnages est raccord avec la rotondité de l’abside.
Les verticales qui portent l’abside sont en harmonie avec les verticales qui gainent les personnages.
Ses personnages sont droits comme les colonnes, figés dans leur attitude.

Cet artifice décoratif apporte à l’ensemble des lignes, une raideur cérémonielle.

Le regardant a une vue en contre-plongée.
La ligne de fuite passe à hauteur des regards des personnages, ce qui a pour effet, de diminuer leur taille et d’enlever toute monumentalité dans leur attitude.
Piero della Francesca sait utiliser les proportions.
Cette ligne converge vers un point de fuite central, situé à la hauteur de yeux de la Vierge. L’agencement des figures dans l’espace répond aux règles de la perspective que Piero maîtrise magistralement.

L’harmonie de la composition provient de la réprise de la forme semi-circulaire de l’abside :
La voûte en berceau en haut de la composition se retrouve dans la disposition des panneaux de marbre en arc de cercle à l’arrière-plan, et dans la répartition des personnages sur une ligne circulaire de part et d’autre de la Vierge.

Dans le fond de la niche, le dôme est formé par la pureté géométrique de la coquille sculptée.
Un œuf d’autruche suspendu en son centre semble flotté au-dessus de la Vierge.
Mis en valeur par les ombres de la coquille, il semble saillir au premier plan.

La gamme chromatique est réduite, les effets de couleurs sont multipliés par l’utilisation de différents liants. À l’arrière-plan architectural Piero utilise la technique de la détrempe à l’œuf, pour les tons de chair il utilise une émulsion d’œuf et huile, pour les vêtements ce sont des glaçures sur une base de détrempe.

Piero peint avec précision les variations de surfaces et les différents types de brillance.

Les rendus des reflets de lumière sur les bijoux portés par les anges et sur la croix tenue par saint François témoignent de la virtuosité du peintre.

La lumière participe à la composition, elle distribue les ombres, se reflète dans l’armure du commanditaire. Ses forts contrastes ont un effet énergisant sur le tableau.

La lumière avec ses effets d’ombres souligne la mise en perspective du tableau.

 

Analyse

En 1475, c’est la fin du Moyen-Âge. Ce tableau avec ses innovations et son style d’une grande maîtrise, nous plonge dans la Renaissance italienne.

Pour assouvir son appétit de perspective, Piero della Francesca choisit un thème récurrent dans la peinture de la Renaissance : la Maestà.
Et il cadre sa composition dans une majestueuse architecture.

La structuration très précise des panneaux de la voûte et la manière dont la lumière les sculpte, font de ce tableau une construction parfaite.

Piero della Francesca applique à l’esthétique son savoir scientifique.

Son langage pictural est révolutionnaire.
Piero conjugue son goût pour les apports antiques, sa plastique de sculpteur, sa sensibilité de coloriste avec le savoir de l’architecte et sa conscience humaniste.

Le chemin de Piero della Francesca croise plusieurs fois celui d’Alberti, c’est aux échanges entre les deux artistes que l’on doit la diffusion du renouveau florentin du Quattrocento.

Les personnages sont sertis dans une architecture d’église savamment distribuée à l’arrière-plan. Cette architecture les met en scène et les repousse vers le devant de la scène. Les personnages, harmonieusement disposés, sont sereins.

L’œuf éclairé par une lumière uniforme, exprime l’idée d’un espace centralisé, et géométriquement équilibré.
Comme un point d’orgue, la présence d’un œuf d’autruche pendu au bout d’un fil juste au-dessus de la Vierge, souligne l’axe du tableau.
Cet œuf a une présence aussi forte qu’une auréole, il pointe du doigt les personnages principaux, la Vierge et l’Enfant.
Il résonne comme un accord parfait.
Il est l’emblème de la perfection divine.
Un symbole de la supériorité de la foi par rapport à la raison.
L’attache de l’œuf à une coquille saint Jacques est un signe de fécondité.
L’œuf est le symbole de la vie, de la naissance et de la renaissance.

Autre symbole, celui arboré par l’enfant qui porte autour du cou un pendentif en corail, rouge sang. C’est une allusion à sa destinée.

Ces symboles sont une traînée de poésie sur le tableau.

Cette œuvre reflète la sensibilité du peintre à l’art flamand.
Ses figures ont des formes idéales ; il accorde une grande attention aux détails ; il est sensible à la richesse des rapports chromatiques.

Piero della Francesca privilégie les couleurs claires et lumineuses, héritage de Domenico Veneziano.

Les symboles qui parsèment son tableau induisent que Piero s’adresse à des mécènes cultivés des cours seigneuriales italiennes, comme l’est Federico de Montefeltro pour ce tableau ; ou pour d’autres de ses œuvres, la famille d’Este régnant sur le duché de Ferrare ou encore la congrégation des Franciscains à Arezzo.

Il se dégage de la Conversation sacrée une impression de sérénité et de détachement à l’égard des émotions.

 

Conclusion

Piero della Francesca est un artiste incontournable de l’art européen.
Dans l’effervescence créatrice de la Renaissance, il explore avec justesse la découverte de la perspective linéaire entre dessin et couleur.
Il est à la fois artiste, géomètre et mathématicien.

Tous ses tableaux représentent le monde en s’appuyant sur les lois de la géométrie théorisées par Alberti et honorées par Masaccio –La Trinité –1425-27.

Certains éléments de la peinture de Piero della Francesca ont exercé une influence sur d’autres peintres de la Renaissance, Melozzo da Forti (1438-1494) connu pour sa fresque de l’Ascension du Christ dans l’églises des saints Apôtres à Rome, Andrea Mantegna (1431-1506) et Giovanni Bellini (1430-1516) à Venise.
Des éléments, parce que le travail de Piero della Francesca était trop individualiste pour influencer de manière incontestée la peinture de la Renaissance.

Les tableaux de Piero della Francesca à la fois majestueux et d’une infinie poésie ont atteint une expressivité absolue.