Saint Luc peignant la Vierge -1520 Jan Gossaert

 

Jan Gossaert dit Mabuse (vers 1478 – 1532)

 

Saint Luc peignant la Vierge

 1520

Huile sur bois

Dim 1095 x 820 cm

Conservé au Kunsthistorisches Museum, à Vienne.

 

Le peintre

Jan Gossaert est un peintre, dessinateur et graveur flamand. Il est né à Maubeuge. C’est de cette ville qu’il tient son surnom : Mabuse.
Il quitte sa ville natale pour se rendre à Bruges. Sa première trace est à Anvers en 1503, où il est reçu franc-maître à la guilde de saint Luc.
Il travaille pour Philippe de Bourgogne et l’accompagne en Italie en 1508.
Il se retrouve à Rome au moment où Michel-Ange et Raphaël travaillent au Vatican. Il revient en Flandres avec son mécène au début des années 1510.
À son retour d’Italie, il est l’un des premiers à oser dessiner des nus mythologiques.

Il reçoit des commandes de compositions religieuses.
Pour Philippe de Bourgogne, il décore son château de Sulburg avec des Nus profanes grandeur nature. Il travaille également pour Charles Quint et Marguerite d’Autriche.


Le tableau

La légende selon laquelle l’évangéliste Luc aurait peint la Vierge apparaît au VIe dans l’empire byzantin, puis elle se répand en Occident.

La plupart des historiens, s’accordent sur la double activité dont on a crédité le saint, celle de l’écrivain est connue, alors que celle du peintre est strictement imaginaire. L‘entreprise de déconstruction et de démystification de la légende de saint Luc portraitiste de la Vierge sera menée à son terme par le XIXe.

La légende de saint Luc peintre de la Vierge aura été construite pour répondre à des nécessités de corps.
Quand les premières confréries de peintres se créent en Occident au XIVe, elles se placent  sous l’invocation de saint Luc et commandent des tableaux de dévotion pour leur chapelle figurant l’évangéliste faisant le portrait de la Vierge. Les premiers grands tableaux représentant saint Luc peignant la Vierge datent de la première moitié du XVe et viennent de Hollande.

L’association des peintres à la figure de l’évangéliste, permet aux artistes de s’assimiler à saint Luc sous la forme d’un autoportrait.

Le premier de ces autoportraits en saint Luc a été peint par Rogier Van der Weyden vers 1435-40. Ce tableau est à l’origine d’une floraison de tableaux flamands tout au long des XVe, XVIe et XVIIe qui adoptent le thème de saint Luc faisant le portrait de la Vierge.

 

Composition

Cette composition respire l’Italie

Une architecture monumentale faite de colonnades, de socles, de bas-reliefs et d’une statue, sert de cadre à l’autoportrait du peintre.
La demeure de la Vierge est un riche palais « à l’italienne », sans ouverture extérieure.

Tout dans cet espace figuratif est strictement équilibré.

L’espace est coupé en deux parties, l’image pivote autour d’un axe central, matérialisé par un pilastre qui répartit la dualité du motif, un coté pour la Vierge qui occupe toute la hauteur de l’image à gauche et un coté pour le saint et l’ange, à droite de la composition, au premier plan.
Gossaert représente le saint à genoux devant un pupitre dans le même espace représentatif que la Vierge lui faisant face.
A l’arrière-plan une architecture d’arcades et de pilastres forme une niche pour une sculpture monumentale.

La Vierge émerge d’un nuage épousant la forme d’une mandorle.
Elle est assise, auréolée de lumière, serrant son enfant contre son cou et entourée d’anges voletants, deux d’entre eux, au-dessus de sa tête maintiennent une couronne.
Cette représentation fait songer à une enluminure.
La Vierge est placée face aux yeux du saint entrain de la peindre.

Le peintre à genoux dessine avec l’ange qui le guide.
La représentation porte l’accent sur l’action du saint entrain de dessiner.

Dans le fond du tableau une sculpture monumentale représentant un personnage vieux, assis, tenant un livre ouvert.
Cette statue évoque la mémoire de l’écriture. C’est la statue de Moïse avec les tables de la loi, juste avant qu’il ne les brise. Ces tables interdisaient toutes représentations peintes ou sculptées.  Raison pour laquelle il les brise.

Le regardant voit la Vierge de trois-quarts, le saint et l’archange de profil.

Jan Gossaert articule la logique de notre regard à l’intérieur du tableau.
En plaçant le saint au premier plan, saint Luc est au cœur de la composition.
Gossaert distribue son espace de façon à ce que le regardant ait le nez sur l’image.

Le peintre est à genoux, il a ôté ses chaussures, en signe de prière.
Le bœuf, attribut du saint, n’est pas représenté.
Derrière lui un ange le tient par l’épaule et guide sa main.

La source de lumière émane de la Vierge.

Jan Gossaert avec habileté, démontre la modernité de son style qui emprunte ses couleurs et son maniérisme aux italiens.

 

Analyse

Ouverte aux influences les plus diverses, la peinture flamande du XVIe se composait d’un véritable kaléidoscope de styles.

I – Jan Gossaert puise son inspiration directement dans l’art italien.

Il est un précurseur du « style italianisant d’Anvers » qui relie la tradition flamande du XVe, attentive à la recherche minutieuse du monde réel.
C’est à la manière moderne italienne qu’il doit l’ampleur monumentale de ses figures, attentif à la lumière, au rendu de la perspective et au rapport entre les personnages et leur cadre.
Il a un goût très vif de l’invention descriptive.

Jan Gossaert a mis a profit son voyage à Rome où il suivait le duc de Bourgogne. Il réalise de nombreux croquis de monuments afin de s’en inspirer à son retour. Les anciens maîtres flamands du début de la Renaissance, tels que Van Eyck ou Rogier Van der Weyden, l’influencent également.
Il fait revivre non seulement leurs compositions très détaillées mais aussi leur technique d’application en couches fines de pigments mélangés à de l’huile pour obtenir des surfaces transparentes.

Jan Gossaert connait les tableaux des maîtres italiens grâce à son voyage en Italie et aux gravures qui circulent en Europe.
Plaque tournante du commerce, les Pays-Bas favorisent les différents courants artistiques grâce à des échanges et exportent à leur tour leurs œuvres à une clientèle internationale.
Cette réciprocité artistique vaut aussi bien, dans le pays qu’au-delà des frontières.

Dans Saint Luc peignant la Vierge les influences italiennes –les nouveaux rapports de couleur et la composition spatiale,  exerceront un impact déterminant dans le développent de la peinture flamande.
Dans un monde de pilastres et d’arcatures impeccables et une peinture ciselée et parfaite de pureté, le Saint Luc peignant la Vierge est un hommage grandiose à la Renaissance italienne.

II – Gossaert et le maniérisme

À Anvers il rencontre des maniéristes dont le goût pour l’ornement le marque profondément. À travers les influences de la tradition flamande, celle de Dürer et de Lucas de Leyde notamment, son art est associé aux premières manifestations du maniérisme flamand.

Jan Gossaert est un artiste de cour, il fréquente les deux principaux pôles de la culture maniéristes des Pays-Bas : la cour de Philippe de Bourgogne à Utrecht et celle de marguerite d’Autriche à Malines.
L’influence de Philippe de Bourgogne est déterminante dans la formation de l’artiste car c’est avec lui qu’il part pour Rome en 1508.
Ce voyage lui apporte la révélation fascinante du monde antique.

Avant ce voyage, les tableaux de Jan Gossaert sont caractéristiques du maniérisme gothique anversois. Tel le dessin du Mariage mystique de sainte Catherine ou celui de L’empereur Auguste.
À Rome, Jan Gossaert copie et transpose les formes antiques, dans un registre qui lui est propre. Par exemple son dessin de L’Hercule du Capitole, présente le personnage en raccourci et à contre-jour, ses muscles pétris de lumière donnent au dessin une grande puissance.

De retour en Flandre, Jan Gossaert suit Philippe de Bourgogne à Suytburg où sont réunis artistes et gens de lettres, comme Jacopo de Barbari ou Érasme.

Les œuvres de cette époque le montrent écartelé entre le maniérisme nordique et le classicisme antique. Cependant ses marques de fabrique : la clarté de la mise en page et le goût pour l’architecture Renaissance sont en place.
S’il garde une prédilection pour les entrelacs ornementaux, les détails ne sont plus surchargés comme dans ses œuvres précédentes. Il peint à cette époque le Triptyque Malvagna, L’adoration des mages et Le Christ au mont des oliviers. Adepte de la culture humaniste de son époque, Jan Gossaert représente parfois des nus de très grande taille, notamment au château de Suytburg.
Jan Gossaert profite du corps humain, des musculatures, pour leur donner des inflexions décoratives maniéristes, bien caractéristiques de son art ambigu, aux frontières du dernier gothique et du nouvel académisme italianisant.
Ses œuvres sont un mélange de gothique finissant et de maniérisme commençant.
Jan Gossaert est aussi un portraitiste (Diptyque Carondelet -1517) est un de ses  tableaux datés, montre la précision avec laquelle il peint chaque détail du visage.
Il  peint les cheveux un par un avec la plus grande finesse, comme le faisait D¨ürer.

Entré au service d’Adolphe de Bourgogne à la mort de Philippe, il a peint un portrait jacqueline de Bourgogne, qui allie à une réjouissante étude du visage un grand raffinement dans la description du vêtement.

À la fin de sa vie, Jan Gossaert entre au service de Mencia da Mendosa, à Breda où il mourra.

 

III – Jan Gossaert introduit le thème du tableau dans le tableau.

Il peint une apparition et se représente dans les traits du saint.

Le peintre choisi de peindre les deux tableaux, en prolongement l’un de l’autre.
Le regardant, commence par regarder, dans un deuxième temps il comprend et finalement conclue ou pas !

Jan Gossaert positionne la Vierge serrant son enfant dans ses bras en l’entourant d’une mandorle de lumière et de cinq anges voletant autour d’elle
La Vierge a une fonction d’image dans l’image.

Dans la version étudiée Jan Gossaert peint la Vierge comme une apparition.
Dans une version précédente de 1515 -conservée à Prague, le peintre (en saint Luc) partageait le même espace et le même plan que la Vierge.
En Flandre, Maetern Van Heemskerck en 1532 et Lancelot Blondeel en 1545 feront de même.
En Italie, 45 ans plus tard, Vasari reprendra le principe de la vision en plaçant la Vierge dans un nuage.
En France, en 1695, Mignard peint une des derniers tableaux de Saint Luc peignant la Vierge, en représentant la Vierge comme une apparition.

L’œuvre d’imagination créatrice propose une œuvre d’imitation cognitive liée à la présence de la Vierge.

Jan Gossaert se représente à genoux en train de dessiner (et non pas de peindre) et se fait adouber par un ange penché sur lui.
Le peintre se place sous la protection de l’ange, c’est-à-dire de l’Esprit.
Ce geste est une concession à la dévotion des fidèles.

En plaçant la Vierge dans une mandorle lumineuse -telle une apparition auréolée de lumière, le peintre signifie que le saint peint une image intérieure.
L’œil du saint voit ce que son esprit lui représente.
La Vierge est une évocation mentale représentée par une icône se détachant sur un fond monochrome doré. Et l’ange guide la main du peintre. Le dessin de la Vierge s’inscrit dans le prolongement de sa main. Le peintre peint le désir. L’origine du désir est liée au désir d’origine, par la mère. Ce qui explique l’extraordinaire succès du culte marial.

La présence de la Vierge apparaît réelle dans l’imaginaire du tableau pour le regardant alors, qu’elle est invisible pour le peintre.

Autour de la Vierge, le peintre nous parle de la place réservée à l’image et au regard. En faisant l’hypothèse qu’à l’intérieur de l’image, les repérages qui permettent au regardant de faire la distinction entre le réel, l’imaginaire et le symbolique continuent d’opérer.

Le peintre se représentant entrain de peindre complètement absorbé par ce qu’il peint, manifeste son narcissisme.
Et dans le même temps propose au regardant un dialogue entre le réel et l’apparition.

Dans le réel la Vierge à l’enfant n’existe pas puisqu’elle n’existe que dans le texte. Ce qui existe en revanche dans le réel, ce sont les interprétations imaginaires. C’est-à-dire les tableaux.

En faisant son autoportrait, le peintre se dissocie des artisans, en insistant sur la noblesse de sa tâche. C’est un stratège de reclassement à la fois social et intellectuel. Cependant les contraintes et les privilèges corporatifs se maintiendront durablement jusqu’aux premières années du XVIIIe, parallèlement aux statuts d’exception et aux rôles croissants des Académies.
L’autonomie croissante du statut de l’artiste vers le modèle que nous connaissons aujourd’hui ne s’imposera pas avant la deuxième moitié du XIXe.

Dans ce tableau, Jan Gossaert a tenté de circonvenir les rapports entre textes et images dans un cadre lapidaire (sculpture et architecture) faisant ainsi peser sur Luc tout le poids de l’Antique.

 

Conclusion

Son art très novateur exerça peu d’influence sur les peintres de son époque.

En revanche, après sa mort, sa renommée gagna l’Italie, puis tout au long du XVIIe et du XVIIIe, elle fut grande dans les Pays-Bas du Sud.

Deux grandes expositions ont propulsé ses œuvres :
En 1965 à Bruges et Rotterdam
En 2011 au Métropolitan Museum of Art de New-York et à la National Gallery de Londres.

Voeux 2022

 

Le 24 décembre est le soir des bougies
2017 à 2021, voilà quatre ans que les étoiles clignotent.

Par ces temps de pandémie, ce blog m’a aidée à tracer ma route.
Vos visites nombreuses éclairent ma vie.

En retour, j’espère que ces étoiles vous distraient et commencent ou finissent vos journées joyeusement.

Je vous souhaite le meilleur pour l’année nouvelle et vous prie de me croire chers voyageurs des lumières,
votre Brigitte-Marie Fouilloux-Mesnil