Les horreurs de la guerre – 1637 P.P. Rubens

 

Pierre Paul Rubens (1577-1637)

 

Les horreurs de la guerre

1637

Huile sur toile

Dim 206 x 345 cm

Conservé dans la galerie Palatine du Palais Pitti, à Florence

 

Le peintre

Rubens est polyglotte, parallèlement à son activité de peintre il mène des missions diplomatiques. Il travaille au traité entre l’Espagne et l’Angleterre, ainsi qu’à la paix entre les Pays-Bas espagnols et les Provinces-Unies hollandaises et protestantes.

A vingt ans, Rubens voyage à cheval, en Italie. Dans une auberge il rencontre un personnage de la suite de Gonzague et le suit à Mantoue. Puis, il part à Gênes, séjourne à Rome et passe du temps à Florence où il apprend les relations avec les puissants et la peinture -en copiant les Maîtres.
Il séjourne huit ans en Italie dont trois ans au service de Vincent de Gonzague.

De retour en Flandre, en 1608, Rubens connait rapidement la gloire et le succès matériel, il ouvre un atelier et devient peintre de la cour.

Rubens est le peintre des princes et des rois.
En France, en 1620, il décore pour la reine Catherine de Médicis une galerie de son palais du Luxembourg. Ses naïades sont aujourd’hui au Louvre.

Rubens est un homme de lettres, grand lecteur des Métamorphoses d’Ovide.

 

Le tableau

C’est un peintre flamand, Justus Suttermans qui commande à Rubens un tableau sur la guerre qui déchire la Flandre.

Rubens décide de représenter la guerre sous les traits d’une femme en noir, la divinité Europe.

Cette guerre européenne est marquée par l’affrontement entre catholiques et protestants. C’est la guerre de Trente ans (1618-1648). La guerre s’achève avec la paix en Westphalie et la mise en place d’un équilibre entre des États titulaires de la souveraineté. Rubens n’en verra pas la fin.

Rubens envoya ce tableau à Justus Suttermans en 1638 pour orner la salle de Mars de la galerie Palatine du palais Pitti à Florence.

 

Composition

Les personnages occupent presque toute la toile. L’espace est saturé.

C’est un chaos organisé, une chorégraphie d’allégories.

La composition est balayée par un flot de lignes obliques et parallèles dans lesquelles s’inscrivent les personnages.
Cette composition génère un mouvement en avant, une ruée.

C’est un tableau en mouvement et en couleurs.

Mars le guerrier est au centre et dans l’axe du tableau, drapé de rouge, armé d’un sabre, il avance avec détermination, son bras gauche brandit le bouclier et fixe une ligne de force qui part de son pied gauche.
Tous les autres personnages sont penchés vers l’avant.
Ceux qui sont au sol sont dans le même mouvement qui traverse le tableau comme une vague. Une vague qui fait vibrer tout le tableau.

Vénus, maîtresse de Mars et déesse de l’amour, presque nue, pleine d’ardeur, tente de retenir Mars en s’enroulant autour de son bras droit.
Mars en armure la regarde. Il réagit à cette tentative de séduction, désolé, il la bouscule et fonce dans le combat.
Son épée goutte de sang. Son pied droit déchiquette les livres. Il est furieux, il casse tout. Mars le conquérant détruit les Lettres.

A gauche du tableau,

Dans le fond, le temple de Janus est un temple romain de l’Antiquité autrefois situé à Rome, au pied de l’Argiletum, près du forum romain.
C’est le plus ancien temple dédié au dieu Janus qui régnait dans la tradition romaine avec Saturne sur le Latium. C’est un sanctuaire important dans la vie religieuse quotidienne à Rome.
La porte du temple de Janus avait la particularité d’être fermée en temps de paix et ouverte en temps de guerre.

Rubens a représenté le temple, la porte ouverte.

La femme en noir, à gauche de la composition est Europe. Elle est déchirée par la guerre et court les bras levés. Son attribut, le globe transparent surmonté d’une croix -symbole de chrétienté, est porté par un putto qui la suit.

A droite du tableau,

Alecto (une des Érinyes, divinité persécutrice grecque, équivalent des furies romaines) brandit une torche allumée et tire Mars vers l’avant par un pan de son manteau rouge.
Devant les pieds de Mars, foulée au sol, une femme au luth brisé, incarne l’Harmonie rompue.

En haut de la composition et à droite, dans le sillage d’Alecto, des monstres personnifient la peste et la famine.

A l’extrémité droite du tableau et dans la partie inférieure, un architecte est à terre, renversé, piétiné, le bras droit tendu, il tient son compas à la main, la Science est vaincue.

Dans le prolongement du temple et derrière Europe, se dessine un coin de ciel bleu sillonné de nuages blancs, comme une bouffée d’air nécessaire, un petit espoir, bien loin cependant.

Les jeux d’ombre -à droite du tableau et de lumière -à gauche du tableau participent au mouvement.
Le clair-obscur pour les monstres de la peste et de la famine, la lumière pour les chairs, les formes soyeuses et pulpeuses de Vénus.
Comme dans toutes les œuvres de Rubens, la chair vibre, ici avec la nudité de Vénus au bras d’un homme en armure, l’impression est violente.

La lumière suit, épouse le mouvement, infuse l’énergie.

Le style baroque de Rubens s’immisce dans les plis des tissus qui font écho à la mouvance des nuages dans le ciel et aux nuées dans l’ombre.
La chevelure de Vénus se dénoue sur ses épaules en fibres scintillantes, tressées de perles. Les cheveux, traces fines et délicates du pinceau, absorbent la lumière et la renvoient.

L’harmonie chromatique -le noir et le rouge, le sang et la violence, exprime la guerre.
Le sang qui coule du poignard est un détail réel qui légitime la violence du tableau.

Rubens à la vie dans les yeux et le mouvement qui traverse ce tableau au galop, l’exprime pleinement.

À noter qu’aucun personnage nous regarde, le regardant n’entre pas dans ce tableau, nous sommes balayés de la scène, la guerre persécute et déchire.

Cette composition est terriblement réjouissante.

 

Analyse

Ce tableau est une peinture d’histoire.

À la Renaissance et à l’époque baroque, l’objectif suprême de la peinture était d’exprimer des préceptes moraux par la représentation d’épisodes édifiants de l’histoire, de la mythologie ou de la littérature. Ce sont les œuvres d’histoire.
Les œuvres qui se contentaient d’imiter la réalité, comme les peintures de genre ou les natures mortes, n’inspiraient pas le même respect.

Dans ce tableau Rubens, dénonce le chaos d’une guerre qui n’en finit pas, en mettant en scène des allégories.

L’objectif de Rubens est, dans l’ordre,
de solliciter par l’intermédiaire de l’œil les émotions du regardant et
ensuite de toucher sa raison et sa culture.

Rubens peint une composition narrative, un spectacle riche, orné et hanté.
Au-delàs du réalisme, son impact est puissant.
Il exprime les passions de l’âme en étudiant la gestuelle et l’expression des visages, il soigne le dessin de ses personnages.
En les représentant en déséquilibre, en mouvement, il donne de la vigueur à sa composition.
Rubens exprime une tension dramatique.
Tous les sentiments défilent, l’effroi, l’horreur, la peur, la terreur, la rage, le cynisme, l’amour.
Le contraste est très fort entre l’agressivité de Mars et l’effroi réaliste des femmes.

Mars, dieu de la guerre, sort en trombe du temple de Janus, son épée ensanglantée à la main, et repousse avec impatience l’Amour incarné par sa maîtresse, Vénus, qui tente de le retenir en s’enroulant autour de son bras droit.

L’Harmonie git à terre près de son luth brisé tandis que la furie, Alecto, flanquée de la Pestilence et de la Famine, l’attire vers elle. Le personnage désespéré vêtu de noir, représente Europe et permet de comprendre que l’allégorie désigne la guerre de Trente Ans, pendant laquelle les famines et les maladies ont ravagé des régions de l’Allemagne et des Pays-Bas.

Dans ce tableau, Rubens met en scène des allégories pour capter notre regard et dénoncer les horreurs de la guerre.

L’amour -Vénus, ne peut empêcher la brutalité de la guerre.
Europe plonge dans le deuil et la prospérité est détruite.

Rubens dose avec justesse la brutalité et la sensualité.
Sous l’éclairage éblouissant de Rubens, le bout d’étoffe rouge qui s’accroche à la hanche de Vénus participe à l’érotisation du corps charnel de la déesse.

Son tableau est d’une grande puissance et d’une terrible beauté.

Lorsque Rubens peint ce tableau, la guerre faisait rage depuis près de vingt ans et rien ne permettait d’en présager la fin.

Rubens écrivait en 1635 à l’intellectuel Peiresc, qu’il concevait l’art comme « un effort patient pour ne pas donner son consentement à l’ordre du monde ».

 

Conclusion

L’œuvre de Rubens est faite de formats gigantesques ou minuscules, de toiles minutieusement peintes ou esquissées.

C’est un peintre à la fois baroque et classique, débordant d’imagination en particulier lorsqu’il convoque les allégories pour faire passer ses messages.

Les représentations de Rubens glissent du corps mythologique au corps pictural.
Rubens est le peintre de l’exubérance, de la fougue et de la luxuriance sensuelle. La nudité n’est jamais indécente chez Rubens.

Le regardant prend la sensualité de plein fouet, tant la chair paraît vivante et palpable.

Pour Rubens le tableau doit d’abord séduire l’œil avant d’être une chose de l’esprit. La sensation visuelle prime sur la rationalisation.