Aux courses en province – 1869 Edgar Degas

Edgar Degas (1834-1917)

 

Aux courses en province

1869

Huile sur toile
Dim 36,5 x 56 cm

 

Conservé à Boston au Museum of Fine Arts

 

Le peintre

Issu d’une famille fortunée de banquiers, Hilaire Germain Edgar de Gas intègre la prestigieuse École des Beaux-Arts en 1855. Il y suit l’enseignement de Louis Lamothe, lui-même élève du peintre néoclassique Ingres. Il passe trois ans, entre 1856 et 1860, en Italie où il découvre la peinture des grands maîtres dont Botticelli et Raphaël et où il se lie d’amitié avec Gustave Moreau.
En 1862, il réalise son premier tableau moderne La famille Bellini.
Il explore différentes techniques, dont l’huile, le pastel, la craie, le monotype, la photographie et la sculpture sur cire.  Il connaît quelques succès au Salon, où il expose plusieurs tableaux historiques entre 1865 et 1870. Après la fin de la guerre de 1870, il se rend à la Nouvelle Orléans, en Louisiane, où des membres de sa famille travaillaient dans l’industrie cotonnière.
C’est un maître portraitiste épris de modernité et admirateur de la vie urbaine.
L’évolution de sa peinture le conduira vers des scènes de divertissements modernes : courses hippiques, cabarets et ballets.

Degas fut un collectionneur passionné. Il rassembla des œuvres contemporaines tels que celles de Gauguin, Cézanne, Whistler et Manet. L’éclectisme de sa collection reflète la diversité des influences et des idées exprimées dans son œuvre.
La ligne  d’Ingres et le collorisme de Delacroix seront ses préoccupations principales durant toute sa carrière.

À partir de 1880, la peinture de Degas multiplia les auto-allusions, prenant des baigneuses ou des danseuses pour thèmes récurrents.
La répétition et le resserrement  du champ de vision caractérisent les séries qu’il réalisa durant la dernière phase de sa carrière.
Sa vue déclina peu à peu, mais si ses personnages semblent en suspens, il est difficile de déterminer si ce phénomène provient de ses troubles visuels ou s’il procède de choix esthétiques conscients.
Il s’arrête de peindre en 1911, lorsqu’il devient totalement aveugle.
(il souffrait d’une dégénérescence de macula).

Peintre et sculpteur, Edgar Degas est considéré comme l’un des représentants majeurs de l’impressionnisme, même si ses conceptions artistiques sont distinctes de celles de ses amis impressionnistes. C’est son esprit frondeur, anticonformiste et son goût pour la modernité qui le lie aux impressionnistes. Il s’est peu intéressé aux paysages et s’est essentiellement inspiré du monde de la danse et des courses hippiques.

Degas allait aux courses avec son ami Manet. Il existe des croquis de l’un par l’autre aux courses.

N’ayant pas besoin de vendre ses tableaux pour vivre, Degas travaille sans commande, sur ses thèmes favoris, courses de chevaux, scènes de café, et danseuses.

 

Le tableau

Ses premiers dessins de chevaux sont des copies de tableaux dans les musées italiens et français, des tableaux de Géricault et des moulages du Parthénon de l’école des beaux-arts de Paris.

Dès son ouverture en 1857, Degas fréquente l’hippodrome de Longchamp.
L’hippodrome d’Auteuil est construit sous la IIIe république, en 1873.
Les courses sont à la mode.

Pour étudier le mouvement des allures du cheval, Degas séjourne de nombreuses fois de 1861 à 1904 en Normandie, au Ménil-Hubert, un grand domaine près du haras du Pin, chez son ami Paul Valpinçon. Il remplit ses carnets d’études de chevaux sur le motif et au fil des années se constitue un corpus de dessins et croquis.

Dans ce tableau, Degas représente la famille de Paul Valpinçon, son ami.
La famille est assise dans un cabriolet, tiré par deux chevaux, dans un champ bordant un hippodrome.

 

Composition

Degas appréhende son tableau comme un reportage photographique.

Sa composition est novatrice, Degas pousse son cabriolet au bord de la toile pour créer « l’impression ».
Ainsi Degas exprime le mouvement par le cadrage plutôt que par les  coups de pinceau visibles de ses amis impressionnistes .

Son cadrage abrupt du cabriolet, coupe les chevaux et sectionne le cabriolet, suggérant  l’animation du lieu et lui donnant son rythme.

La perspective est inhabituelle :
Degas place un minuscule cheval et son cavalier ostensiblement éloignés, juste derrière la voiture de Valpinçon au tout premier plan, comprimant ainsi la distance qui les sépare.

Sa répartition des sujets dans la limite du cadre est sa spécificité.
Degas a fractionné le champ visuel et laisser d’important espaces vides.
Le premier plan occupe le tiers de la toile.
Des piquets plantés dans le pré, éloignent le regard du spectateur du bord de la toile et balisent la piste de course sur laquelle deux chevaux montés galopent à bride abattue.
En partant du coin inférieur gauche de la toile et en suivant une courbe nous rencontrons un cabriolet vu de dos -le dos de la voiture, le dos du cocher et les postérieurs d’un cheval, puis un cavalier portant une culotte rouge monte un cheval blanc que nous voyons également de dos, encore un peu plus loin un groupe de cavaliers montant trois chevaux de trois robes différentes, un bai, un blanc et un alezan, les cavaliers portent des tuniques grise pour l’un et noires pour les deux autres, nous les voyons de profil. Plus nous avançons sur la courbe, plus l’échelle des sujets diminue.
Degas désaxe le point de vue central.
Le deuxième plan est « avalé ».
Le troisième plan, au-delà de la piste de course, est délimité par trois arbres.  On distingue les écuries et plusieurs bâtisses dont l’étagement des toitures donne de la profondeur à la composition.
Encore un peu plus loin, la ligne d’horizon placée plus bas que l’axe de la toile, est matérialisée par une rangée d’arbres. Le ciel occupe les 2/3 de la toile.
Le paysage, tel un accessoire, est traité sommairement.

Degas a regardé les estampes d’Hokusai et Hiroshige, comme eux, il brise l’espace perspectif horizontal. Les axes visuels passent par les verticales du tableau – au premier plan l’ombrelle, le fouet, les encolures des chevaux, plus loin les chevaux, les piquets et encore plus loin les trois arbres.

Degas a une grande maîtrise du dessin.
Dans ce tableau chaque mouvement est observé avec précision.
L’attention est portée sur le bébé, Henri qui, sur les genoux de sa mère, est mis en relief par la couleur blanche de son lange et la robe claire de sa mère.

Degas insiste sur le caractère vivant de la scène, il a un extrême souci de réalisme.

La gamme chromatique est réduite et lumineuse, ce sont des couleurs de printemps, un vert tendre pour le sol et la moitié inférieure du tableau, un dégradé de blancs pour le ciel et la moitié supérieure du tableau.

Un écrin de fraîcheur sur lequel sont piqués les robes des chevaux, le cabriolet avec les personnages et leurs accessoires.

Cette composition et le choix de ces couleurs rappelle les estampes japonaises.

 

Analyse

Dans la seconde moitié du XIXe, les champs de course deviennent des lieux de rencontre très à la mode. Les bourgeois parisiens y partagent leur passion pour ce loisir aristocratique importé d’Angleterre.

Degas nous introduit dans un univers d’argent et de puissance.

La vision moderne de Degas
Degas est attiré par les champs de course, emblématiques de la modernité, pour les possibilités qu’ils offrent, de travailler les cadrages et la lumière et d’étudier les formes et le mouvement.

Degas a exposé de nombreuses fois avec les peintres impressionnistes, cependant il se distingue du groupe par sa préoccupation qui n’est pas de chercher à rendre les effets de la lumière, elle est de s’attacher à reproduire le mouvement dans un premier temps avec la représentation du cheval, plus tard avec les danseuses.

Capter le mouvement est une des exigences de Degas. Il étudie les mouvements  du cheval et, pour s’approcher de la vérité, s’intéresse à la chronophotographie qui donne une connaissance que l’on n’avait pas des allures.

Degas exprime le mouvement avec les cadrages et  surtout avec les traits et les lignes.  Il suit les préceptes d’Ingres.
Les nombreux dessins de ses carnets sont essentiels dans cette démarche.
Pour ce faire, il observe les repasseuses, les danseuses et, surtout le cheval.
On trouve dans ses carnets des têtes, des postérieurs, des antérieurs, des profils de chevaux, certains sont harnachés, d’autres montés par un jockey ou un cavalier.
Pour enrichir sa recherche du mouvement, Degas modèle en cire ou en argile.
Degas écrit « C’est pour ma seule satisfaction que j’ai modelé en cire bêtes et gens… pour donner à mes peintures et à mes dessins, plus d’expression, plus d’ardeur et de vie. »
Son ami Manet dit de lui :
« Degas est un esthéticien. Degas cherche le trait, le geste parfait. »

Degas fait office de pionnier en se libérant des conventions académiques, il est le premier à se concentrer sur la pureté des formes.
Il adapte sa formation classique à son style.
Ce qui l’intéresse, c’est la façon dont les formes cohabitent et génèrent leur interaction. La modernité de son regard, ses recherches sur la forme fondent les bases d’un travail qui s’épanouira au XXe.

Le cadrage de ce tableau permet de dire que Degas a un œil photographique.
Le mouvement n’est pas exprimé par les postures des chevaux galopants mais par le fait que les chevaux attelés au premier plan sont cadrés au poitrail l’instant d’après nous n’aurions vu que le cabriolet.

Le mouvement dans ce tableau,  s’exprime par l’hors-champ et la perspective compressée.

Il y a plusieurs points de vue dans ce tableau. Plusieurs scènes se passent dans le même temps. En décentrant et en découpant sa composition, Degas propose un point de vu accentué.
En renversant les règles de la composition, il incite le spectateur à regarder mieux.

Ses personnages principaux sont à la périphérie du tableau.
Degas recourt souvent à des points de vue inattendus, des perspectives zigzagantes et des cadrages apparemment arbitraires.

Ces techniques font de ses tableaux des instantanés, fruits d’un regard fugace, en rupture avec le point de vue fixe de la peinture classique.

L’influence des estampes japonaises est manifeste : elles apportent leurs perspectives renversées, leurs points de vue inhabituels et leur mode de construction spatial comprimé.

Le proche et le lointain sont assemblés de façon inattendue et audacieuse par l’occlusion du plan intermédiaire (deuxième plan) attirant l’attention sur la surface de l’image et ainsi l’artifice de son exécution.

Les tableaux de Degas s’avèrent souvent radicaux en termes de composition et d’effet spéciaux. En ce sens Jockey avant le départ –1878-79 est l’un des plus audacieux.

Degas est le peintre du geste, du mouvement. Il n’y a pas de véritable narration dans sa peinture mais, une observation minutieuse de la nature humaine.

Les modèles de Degas n’ont jamais l’air de poser, le spectateur a l’impression d’être témoin d’un évènement réel.

 

Conclusion

Degas nous apporte une vision remarquable de la vie parisienne au XIXe.Son analyse fondamentale de la peinture, ses travaux novateurs sur la forme et la composition, puis à la fin de sa vie, sur la couleur, ne cesseront de le passionner durant sa longue carrière.

L’œuvre de Degas est unique, il est le peintre de l’élégance, du raffinement, le peintre des danseuses.

Degas dit à propos de son art : « Aucun art n’est aussi peu spontané que le mien. Ce que je fais est le résultat de la réflexion et de l’étude des grands maîtres ; de l’inspiration, la spontanéité, le tempérament, je ne sais rien… »

Le poète Paul Valery, apprenant le décès de son ami Degas, déclare « Le travail, peu à peu, lui devint impossible, et sa raison de vivre s’évanouit avant sa vie. »

Degas n’a pas eu d’élève. Cependant, avec sa dimension radicalement novatrice, il a fortement influencé la conception artistique postmoderne, de Gauguin à Matisse et à Picasso, des Nabis aux expressionnistes allemands.

Parce qu’il a complètement bouleversé les codes de la représentation peinte ou dessinée, Degas a été un des plus grands peintres et dessinateurs français de la fin du XIXe et du début du XXe.