Persée et Andromède -1570 – Vasari

Vasari (1511-1574)

Persée et Andromède 

1570

Huile sur ardoise
Dim 117 x 100 cm 

Conservé au musée du Palazzo Vecchio à Florence 

 

 

Le peintre 

Le jeune Vasari fut l’apprenti du maître verrier français Guillaume de Marcillat qui réalisa les vitraux de la cathédrale d’Arezzo.
En 1524, il part à Florence et devient l’élève d’Andrea del Sarto et de Michel-Ange. C’est sous l’influence de Michel-Ange que le dessin conservera pour Vasari une place centrale.
Dans les années 1540, Vasari partage son temps entre Venise, Rome et Naples.
À la fin de sa vie, Vasari rénove les églises Santa Maria Novella et Santa Croce et entreprend la décoration de la coupole de la cathédrale de Florence qui sera achevée après sa mort par Federico Zuccaro.

Vasari est un peintre, architecte et écrivain toscan.
Son recueil Les vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes est considéré comme une publication fondatrice de l’histoire de l’art.
Artiste aux multiples facettes et homme de lettres au service des Médicis et des papes, il est l’incarnation de la figure de l’artiste cultivé et polyvalent de la fin de la Renaissance.
Vasari a su devenir « l’homme des Médicis ».

Considéré comme le premier historien de l’art de l’époque moderne, il a posé les bases de la naissance et du développement de la discipline.
En 1563, Il est le fondateur avec Vincenzo Borghini de l’académie du dessin de Florence, la première académie publique d’art de l’histoire.

 

 

L’œuvre 

À partir de la seconde moitié du XVIe, la peinture sur pierre connaît un rapide essor et est utilisée dans de nombreux centres comme Rome, Florence, Venise, Milan ou Gênes.

À partir de 1570, Vasari est employé à la décoration du Studiolo de François 1er de Médicis (1541-1587) pour lequel il effectue sur ardoise le Persée délivrant Andromède.

 Le Studiolo de François 1er de Médicis au Palazzo Vecchio de Florence abritait une collection de spécimens de la nature.
Les portes des meubles contenant ses pièces étaient ornées de récits sur leur origine ou leur fonction.

Pour l’armoire à coraux, Vasari a peint l’histoire de Persée et Andromède.
Il combina deux épisodes, le sauvetage d’Andromède par Persée et le massacre de la Gorgone, dont le sang plongé dans l’eau se transforme en corail.

 

 

Composition 

Vasari a mêler deux légendes : Persée tuant le monstre marin, Persée délivrant Androméde.

Cette composition est maniériste : les formes sont allongées, les chairs érotisées, les courbes exagérées.
Vasari fait éclater l’unité classique et la disperse en la décentrant.
Le déséquilibre des figures, la gestuelle exagérée et un peu emphatique, l’absence de perspective, font ressortir la fulgurance du héros.

Les couleurs de la mer et du fond sont acides et froides. Vasari utilise une palette riche et vibrante qui reflète l’intensité du drame mythologique.
Les tons chauds et vivants des personnages contrastent avec les tons  froids du paysage et de la mer, créant un effet visuel tape à l’oeil et attrayant.

Vasari maîtrise la technique du Sfumato, qui se reflète dans cette œuvre à travers la transition des tons doux et de la délicatesse des détails.
L’utilisation de la lumière et de l’ombre ajoute de la profondeur et du drame à la scène, mettant en évidence les détails et créant un sens du mouvement. 

La ville sert d’arrière-plan avec son architecture. 

Au second plan,  une vue marine avec des nageurs et la Gorgone terrassée.
Le regardeur observe la nageuse qui nage sur l’eau.

Au premier plan Andromède est attachée à la falaise attendant sa dernière heure. Les proportions de son corps idéal, évoque les belles antiques. Son corps est lisse, seule la sinuosité fait référence à la tension des chaînes.
La jeune femme est attachée depuis longtemps.
À ses pieds  une nature morte mêle le reste des victimes du monstre et le sang transformé en branches de corail.
Persée casqué et armé est descendu de son cheval, il a vaincu la Gorgone qui flotte au loin,  le bouclier est à ses pieds, il est occupé à détacher Andromède.

Vasari en disposant de façon triangulaire les personnages, Persée, Andromède, le cheval et les Néréides, implique une circulation dynamique de l’oeil du regardeur entre les figures.

Andromède nue au premier plan suspend le récit dans l’instance du désir et transforme le regardeur en voyeur.
Le regardeur est sensible comme dans la tragédie, au destin périlleux de Persée, à l’horreur de la Gorgone et à la beauté de la jeune femme, le regardeur est sensible aux charmes de la fable.

Persée délivrant Adromède de Vasari est à ce titre typiquement maniériste, il a été peint pour François 1er de Médicis qui voulait décorer un meuble de son cabinet de curiosités destiné à recueillir sa collection de coraux.
On voit ainsi le corail naître du sang de la méduse au contact de la mer.

Les corps allongés des Néréides, l’invraisemblance de la nymphe nageant hors de l’eau, l’érotisme de la scène sont autant de caractères maniéristes.
L’allure sculpturale d’Andromède, privée de dynamisme, belle comme un rêve de pierre : tout se passe comme si, après avoir pétrifié un monstre, Persée animait une statue.
Les personnages sont représentés avec une anatomie réaliste et une expression émotionnelle , qui démontre la capacité de Vasari à capturer la beauté humaine et à transmette des émotions à travers ses coups de pinceau.

Vasari équilibre les éléments statiques et dynamiques de la scène.

La figure de Persée le héros mythologique qui sauve la princesse Andromède est située au centre du tableau, capturant l’attention du regardeur avec sa posture héroïque et son attitude déterminée.
Autour d’eux, un paysage marin détaillé et exubérant est déployé, ce qui apporte de la profondeur et du réalisme sur la scène.

Vasari dans ce tableau installe une tension dynamique.

 

 

Analyse 

L’instabilité patente dans ce tableau souligne l’instabilité fragile d’une existence devenue incertaine.
Cet art du déséquilibre calculé est particulièrement sensible dans les tensions que Vasari fait subir au contrapposto renaissant. Cette technique que les sculpteurs du quattrocento avaient apprise de la statuaire antique donnait une souplesse à la figure représentée, qui échappe à la raideur et au hiératisme sans perdre pour autant sa cohérence harmonieuse.
L’asymétrie subtilement dosée entre la jambe d’appui et la jambe libre introduit un dynamisme qui n’altère pas la symétrie d’ensemble.
L’une des techniques utilisées pour parvenir à créer cette illusion de déséquilibre, c’est la figure serpentine, inaugurée par Michel-Ange et dont Vasari fait un mode de construction quasi systématique. La courbe serpentine privilégie le mouvement, le dynamisme fluide, au détriment du balancement symétrique ou de la vraisemblance.

 

Le Maniérisme

Le terme maniérisme vient de l’italien maniera (belle manière).
Le maniérisme a souvent désigné un style artistique qui se démarquait des idéaux d’harmonie et de la conception rationnelle de la peinture, de la sculpture et de l’architecture de la haute Renaissance en adoptant des formes exagérées, des proportions étirées et des couleurs plus intenses.
De façon générale on parle de maniérisme pour définir la Renaissance tardive, période située entre la Renaissance et l’art Baroque.
De nombreux maniéristes aimaient intégrer des jeux de l’esprit dans leurs œuvres, des allusions culturelles que leurs mécènes érudits identifiaient et appréciaient.
Travaillant surtout pour les cours et les élites intellectuelles européennes, ils alliaient dans leurs créations une élégance discrète à un grand souci de la surface et du détail, qualités qui convenaient parfaitement à leurs mécènes.
Tombé en désuétude en Italie dès la fin du XVIe, ce style perdura ailleurs jusqu’au XVIIe.
En France, Rosso Fiorentino intitula l’école de Fontainebleau et diffusa le style
« Henri II ».
Le maniérisme fut également adopté à la cour de Rodolphe II de Prague et dans les villes de Haarlem et Anvers.

Dans ce tableau, le regardeur observe le réalisme des détails dans un irréalisme d’ensemble.

Techniquement, le maniérisme se reconnaît par une série de caractéristiques qui sont bien plus que de simples procédés, et dont la plupart sont à interpréter comme autant de réactions rageuses contre le classicisme académique de la Renaissance : femmes au petit visage indifférent, lumière onirique irréelle, tout cela participe, selon Briganti, d’un réalisme de détail à l’intérieur d’un irréalisme foncier de l’ensemble.

De fait, le dessin s’éloigne de plus en plus de la traduction du réel, l’image perd en clarté, la composition est plus confuse.
La perspective n’est pas abandonnée, mais Vasari en joue jusqu’au vertige, il multiplie les plans et les éléments dans un espace chargé et moins lisible. L’espace est fragmenté, à l’unité et à la cohérence classique succèdent les tensions multipolaires.

 

L’histoire d’Andromède 

Dans la mythologie grecque Andromède est victime de l’hybris de sa mère Cassiopée qui se vante d’être plus belle que les Néréides. Un monstre marin est envoyé par les dieux pour détruire son pays et, selon l’oracle, le seul moyen d’empêcher le désastre est de donner Andromède en sacrifice.
La jeune fille se trouve enchainée à un rocher. Mais elle est délivrée par Persée tombant amoureux d’elle et tuant le monstre grâce à son arme miraculeuse, la tête de la Méduse.

Cette héroïne mythologique apparait souvent, tant sur le plan narratif que sur le plan iconographique, sous l’aspect d’une statue.
À côté des Andromèdes tendues et crispées, une des plus expressives est celle de Rembrandt.  Il y a des visages calmes, comme chez Annibal Carrache.

De même, chez Vasari, à côté des couleurs et des caractéristiques mêmes du dessin, c’est l’immobilité du corps, la tête inclinée prise dans la courbure du bras, qui ajoute une nuance supplémentaire à l’aspect sculptural d’Andromède.
La sculpture va dans le sens d’une plus grande abstraction, elle est liée à l’être, à l’intelletto, tandis que la peinture renvoie au paraître, à l’imitation, au sentimento.

Quant à Persée, juste avant de délivrer Andromède, il réalise un exploit , il s’agit de la victoire sur la Gorgone. Grâce au bouclier avec la tête de la Méduse, Persée pétrifie les mécontents de ses noces avec Andromède.

 

Le face à face entre Vasari et sa peinture ressemble à celui qui confronte Persée à Andromède : la force érotique réunit dans une relation presque oxymorique, la fascination, la mise à distance et la médiation.

Le mythe d’Andromède s’inscrit dans un débat plus général sur une opposition fusionnelle entre apparence et être originel, intellect et émotion, individuel et collectif, plasticité et mouvement, apaisement et exaltation, rythme et orgie, mesure et chaos, réglé et extase , passion et raison.
Cet épisode symbolise le triomphe du bien sur le mal et l’amour comme une force rédemptrice.

Vasari parvient à capturer la tension et l’émotion de ce moment dans son tableau, transmettant le courage et la vulnérabilité des personnages.

Le tableau a été commandé par François 1er de Médicis l’un des plus importants patron de la Renaissance italienne, démontrant la pertinence et le prestige de Vasari en tant qu’artiste en son temps.
La capacité de Vasari à combiner des éléments de la renaissance italienne avec une histoire captivante se traduit par une œuvre qui continue de fasciner les regardeurs d’aujourd’hui. Sa composition ingénieuse, l’utilisation de la couleur et des détails peu connus ajoutent un niveau d’intérêt et de complexité supplémentaire à ce chef -d’œuvre.

 

Dans ce tableau la Vertu abat le Vice.

L’imaginaire ne se soutient pas sans objet ni discours qui le porte, ici le peintre. Entre la parole mimée par un combat de forces antagonistes et l’indicible beauté du nu, entre la pulsion et la stase, le Verbe et la Chair, il se pourrait que cette fable de Persée et Andromède  participe à l’immense réflexion sur le langage qui s’opère au XVIe et au XVIIe : combat réceptif des formes et des discours, mensonge et merveille de l’imitation, fureurs héroïque et contemplation, résolution harmonique des discordances.

Vasari compose un tableau complexe, sorte de poétique de l’art, que l’on considère comme une des œuvres majeures du maniérisme.

La construction archétype met en présence trois actants : Persée, Andromède et la Gorgone en trois lieux visibles  : le ciel, la terre et l’eau. Ces lieux pourraient être ceux, invisibles, de l’esprit, associant quelque part en nous, l’idée, la parole et le désir.
C’est de la disposition de ces éléments que dépendra la dynamique et le sens de leur lecture.
Vasari présente au centre du tableau et au premier plan, une Andromède marmoréenne.

La confusion apparente du tableau et son étrangeté vient de ce que s’y manifeste tout ce que la peinture peut représenter :  la manifestation des passions élémentaires et l’harmonie qui porte Persée au près d’Andromède.
Vasari occulte le monstre, misérable dépouille que des hommes de peine aidés d’un treuil, sortent de l’eau sur une rive lointaine.
Symbolique remorquage du récit dans une composition où l’histoire sert au discours sur la peinture maniériste. : voir la délicate étude de nu, la grotesque figure de Méduse et une ornementation surabondante de coraux et de nymphes.

Cette superposition des récits entraîne la superposition des motifs iconiques : on imagine le héros tendu sur son cheval entrain d’achever le monstre menaçant. 

Ce passage de l’amour profane à l’amour sacré ne constitue que la rencontre en un même lieu figural des deux tensions de la terre et du ciel, du transitoire et de l’éternel, si vivement ressenti à l’âge baroque.
Et ce lieu figural, à la fois même et double, figure l’homme hésitant entre deux représentations de lui-même : un paraître héroïque et amoureux, un être sublime , combattant pour l’amour de Dieu.

De la réversibilité première s’explique le glissement de formes interchangeables, chacune apportant à l’autre un supplément symbolique ou emblématique, aux yeux du regardeur qui sait lire.
Ces figures ne sont-elles pas toutes des variations sur le corps désirable du Christ, victime parfaite, liée au poteau de flagellation ou cloué sur la Croix par la violence monstrueuse de l’homme ?

Ainsi un même signifiant iconique en des lieux différents de discours, occupe tout l’espace du signe dont le regardeur chrétien saisira les résonances.

 

 

Conclusion 

Stendhal : « Ce fut un homme aimable, d’une belle figure, doué de quelques petits talents, de beaucoup d’adresse et de persévérance, et d’une de ces âmes froides, très convenables pour faire son chemin dans le monde et pour être un plat artiste »

Anne-marie Lecoq : « Pendant trois siècles, l’ouvrage de Vasari fut une référence et même un modèle obligé, y compris pour ses contradicteurs.
Aux XIXe et XXe l’historiographie de l’art a largement conservé le cadre monographique et l’interprétation de l’histoire comme mise en évidence des personnalités artistiques, tous deux hérités de l’artiste-écrivain toscan. »

Célia Benghozi : « De Vasari à Winckelmann en passant par la critique d’art avec Diderot, des théories philosophiques de Hegel à l’histoire de l’art de Riegl, la théorie a aussi bien alimenté l’art que l’inverse.
À l’ère contemporaine où le pluralisme artistique est roi, l’histoire de l’art qui classifie est-elle finie ? »

 

 

 

Sources :
Biographie : Wikipédia
Anastassia Forquenot de la Fortelle : L’Andromède –2015
Françoise Siguret (Montréal) : La figure d’Andromède, du maniérisme au baroque -1993

Vierge de la famille Pesaro -1519-1526 – Titien

Titien ( vers 1490- 1576)

Vierge de la famille Pesaro 

1519-1526

Huile sur toile
Dim 266 x 478 cm 

Conservé dans la basilique Santa Maria Gloriosa dei Frari 

 

 

Le peintre 

Titien fut un grand peintre du XVIe à Venise. Son vrai nom est Tiziano Vecellio.

À la fin du XVe, Venise est l’une des cités les plus puissante d’Europe, riche grâce à son commerce maritime et ouverte aux influences extérieures.

Au fil de sa longue carrière, Titien demeura un maître inégalé de la couleur, avec des tons profonds, intenses et évocateurs.
Toute sa vie durant, son style et sa conception de la peinture ne cessèrent d’évoluer.

L’artiste apprit l’art de la peinture auprès de deux maîtres vénitiens de renom, Giovanni Bellini et Giorgione., ce dernier ayant fortement influencé ses premières œuvres et lui ayant apprit la technique du sfumato.
Giovanni Bellini influence profondément Titien en lui transmettant un goût pour les teintes riches et les compositions équilibrées.
En 1508-1509, Titien et Giorgione travaillèrent ensemble aux fresques des murs extérieurs du Fondaco dei Tedeschi (entrepôt des marchands allemands) à Venise. Les parties réalisées par Titien furent jugées meilleures, ce qui contraria Giorgione.
En 1510, après la mort prématurée de ce dernier, Titien devint le premier maître de la ville. Il  se forgea une réputation grâce aux fresques qu’il réalisa en 1511 pour la Scuola dei Santo à Padoue et au retable monumental, figurant l’Assomption, de l’autel de Santa Maria Gloriosa dei Frari  à Venise, qui montre la Vierge s’élevant de façon spectaculaire d’un groupe d’apôtres, sans oublier les portraits.
C’était également un peintre de scènes mythologiques très estimé des élites intellectuelles.
En 1518, Alphonse d’Este, duc de Ferrare, lui commande une série de peintures inspirées de la poésie antique. Ce fut son premier mécène non vénitien. Vinrent ensuite des commandes des cours de Mantoue et d’Urbino et, à partir de 1545, du saint -Siège, sous le pontificat de Paul III.

Toutefois les plus prestigieux mécènes de Titien furent Charles Quint, empereur romain germanique, et son fils Philippe II d’Espagne : Titien devint le premier peintre de la cour impériale et se vit accorder les titres de comte palatin et de chevalier de l’Éperon d’or, un honneur sans précédent pour un artiste.

Titien mêle aussi bien l’art de la peinture à l’huile flamande (par Antonello de Messine), le colorito vénitien (par Giovanni Bellini) que le sfumato de Léonard de Vinci. Par l’entremise de Giorgione, le jeune Titien se trouve au cœur des avancées esthétiques les plus marquantes à l’aube du XVIe.

Le concert champêtre de Titien est le cas le plus parlant. On y retrouve tous les ingrédients « giorgionesques » (activité musicale, érotisme, élégie bucolique) mais profondément retravaillés. Titien change complètement l’esprit de Giorgione en abandonnant des petites figures dans un paysage pour les remplacer par des grandes figures dominant la représentation de la nature. 

La métamorphose qu’il fait subir à la Vénus de Dresde avec la Venus d’Urbino pousse à l’extrême cette relecture de l’œuvre de Giorgione. La Vénus de Titien est allongée dans un intérieur et regarde directement le regardeur, là où celle de Giorgione dort au cœur d’un paysage.

 

Le tableau 

Cette peinture était une offrande à la Vierge de Jacopo Pesaro, noble vénitien, en signe de gratitude après une victoire sur les Turcs.

Cette œuvre emblématique de la Renaissance vénitienne, a été réalisée pour l’église des Frari à Venise. 

Ce tableau illustre parfaitement la maîtrise de l’artiste dans l’utilisation de la couleur et de la composition dynamique.

 

Composition 

Cette composition se distingue par sa disposition asymétrique novatrice :
La Vierge et l’Enfant sont légèrement décentrés.
La Vierge trône majestueusement.

Dans cette remarquable composition Titien a décentré la Vierge et l’Enfant pour créer une diagonale avec saint Pierre qui gravit les marches dans leur direction.
La position légèrement inclinée de la Vierge, associée à l’expression de sérénité sur son visage, crée un lien direct avec le regardeur, invitant à la méditation spirituelle.

Les personnages, représentés dans une variété de poses, ajoutent un sentiment de mouvement et d’interaction, renforçant ainsi la hiérarchie des figures.

Saint François se tient à la gauche de la Vierge, mais pas au même niveau que saint Pierre, rompant avec la disposition traditionnellement symétrique des saints autour de la Vierge.
Les personnages participent activement à la scène.

La composition est asymétrique,  en déplaçant la Vierge et l’Enfant sur le côté droit, Titien  créé un équilibre dynamique avec les figures des donateurs à gauche.
Cette disposition novatrice attire l’oeil de manière fluide à travers la scène.

Derrière eux, deux colonnes géantes excentrées se dressent vers un ciel invisible.
L’architecture monumentale en arrière-plan, avec des colonnes imposantes et une perspective en diagonale, renforce la profondeur spatiale et guide l’œil du regardeur.

Dans le registre supérieur, deux angelots batifolent sur un gros nuage et luttent pour tenir une croix.

Pour Titien le rapport entre composition et format revêt une grande importance.

Le choix des couleurs vibrantes et l’éclat des lumières évoquent une atmosphère à la fois solennelle  et vivante, propre à Titien.
Titien maîtrise l’usage des couleurs chaudes et des contrastes lumineux pour donner vie aux figures et instaurer une atmosphère sacrée.
Le rouge vif, le bleu profond et les dorures des ornements enrichissent la scène d’une intensité visuelle saisissante.
Chez Titien les couleurs changent sous l’influence de la lumière.

La couleur modulée par la lumière structure les formes et les volumes.

Les costumes sont exécutés avec une grande précision, alors que les nuages dans le registre supérieur de la composition sont peints avec une liberté de touche.

On remarque également la façon dont la lumière interagit avec les tissus riches, soulignant non seulement la virtuosité technique de Titien, mais aussi le statut social des commanditaires.

Le bleu du ciel est intense, c’est un outre-mer profondément saturé,  et le rouge tirant sur le rose du vêtement du personnage à droite  des escaliers, annoncent les couleurs de L’enlèvement d’Europe –1559-1562.

Titien utilise des teintes sombres aux chauds reflets.
Titien fait éclater la tache rouge de la bannière des Frari. Cette bannière subjugue tout le reste du tableau, contenu, allusion, émotion.
La bannière n’a été conçu que pour mieux mettre en valeur et souligner l’élégance de sa forme.

Titien restreint ses couleurs pour les faire entrer dans une nouvelle harmonie. Il parvient grâce à la couleur, à un équilibre harmonieux mais actif de forces opposées, d’une manière comparable à ce que Raphaël a réalisé grâce à la forme.

Dans les tableaux de cette décennie, le jaune en tant que teinte locale semble pratiquement exclu : il ne réapparait que dans les vêtements de saint Pierre dans ce tableau. La couleur jaune signifie la lumière.
L’habileté de Titien consistait à conserver l’éclat individuel de la teinte et en même temps à la relier totalement à l’ensemble.

Titien est capable d’alterner les styles, il les conçoit comme des liens pratiques au service d’une réflexion théorique. Les costumes sont peints avec précision alors que le ciel et les nuages sont traités avec des taches et des aplats de couleur.
Les nuages ont une matérialité.

Ce tableau frappe l’œil, fascine par sa force et s’adresse au regardeur. 

Que vous soyez prince ou humble, croyant ou sceptique, intellectuel ou pauvre d’esprit, regardez et admirez !

 

 

Analyse 

Titien démontre sa maîtrise des couleurs vibrantes et des jeux de lumière, conférant à la scène une profondeur et une chaleur saisissantes.

L’interaction entre les figures sacrées et les membres de la famille donatrice reflète une humanisation du divin, caractéristique de l’art de la Renaissance.

Titien met l’accent sur les personnages, la spiritualité et la sensualité traversent ce tableau.
La simplicité et la grâce font de ce tableau, un œuvre profondément humaine.

La Vierge a une peau de porcelaine.
Titien peint une scène aimable de la vie de la Vierge.

Le contraste entre les étoffes somptueuses, les détails architecturaux et la douceur des visages révèle l’habileté de Titien.

Titien privilégie la superposition de glacis pour créer des effets de lumière et de profondeur inédits.

Sa composition est dynamique parce que Titien casse les rigidités classiques en introduisant un mouvement fluide et naturel.

Titien fait preuve d’une extraordinaire inventivité.

La Vierge trône sur un piédestal élevé, accentuant sa majesté, tandis que saint François d’Assise et saint Pierre interviennent comme intercesseurs.
Saint Pierre a son attribut, la clef, fixée à la cheville, saint François porte sa robe de burre.

Jacopo Pesaro est représenté en armure, soulignant son rôle militaire contre les Ottomans, avec la bannière papale pour signifier la victoire chrétienne.
Jacopo Pesaro brandit la bannière sur une hampe , elle vole au vent, le regardeur ne voit qu’elle.

L’intensité chromatique et la composition dynamique en font une œuvre révolutionnaire.

Dans ce tableau Titien donne la primauté à la couleur et à la matière.

Cette œuvre témoigne du génie de Titien à mêler dévotion, pouvoir et innovation artistique, marquant un tournant dans la représentation sacrée de la Renaissance vénitienne. Il a su concilier les traditions vénitiennes avec une innovation constante.

Ce  tableau  n’a-t-il pas des arrières -pensées  

Le tableau est construit sur le principe du plaisir et du désir de voir.

Sans mot, comme la peinture, le plaisir peut être bref, de l’ordre du choc, ou long tel une attente. De l’attention au plaisir naît un rapport spécifique aux savoirs : le choc, l’émotion nous arrête, sans forcément que le regardeur sache pourquoi.
C’est à ce moment que le regard, en tentant de mettre des mots sur ce qu’il voit, convoque ses savoirs. Mais par moments, pour ne pas étouffer l’œuvre, il doit s’arrêter. Ces allers-retours entre plaisir, surprise et savoirs créent un savoir voir spécifique et original, auquel l’historien se doit de donner forme dans le texte, qui deviendra alors le support de son savoir faire voir.

La peinture ne doit jamais être expliquée mais explicitée, dans ses paradoxes, ses ironies hors normes et ses déplacements.
Les savoirs contrôlent donc l’interprétation et lui font voir les moments où la peinture introduit des écarts dans le sujet qu’elle est sensée « illustrer ».
À cela s’ajoute une mise en question de la place du regardeur, de l’importance de la subjectivité pensante et anachronique de celui qui regarde et voit.
Le tableau est une polysémie diachronique.

En somme, ce tableau n’est pas seulement un portrait de la dévotion religieuse, mais aussi une célébration de l’identité et du prestige de la famille Pesaro.

La famille incarne ainsi les valeurs de l’époque, tout en témoignant du génie créatif de Titien.

Titien est un peintre pur sang. Ses trouvailles sont innombrables, jusqu’à la découverte géniale de sa dernière manière qui fond dans un estompage mouvant des formes, les lumières et les tons, Titien reste toujours dans le domaine de la peinture pure, sans souci du contenu qui ne lui sert que de prétexte. 

Titien lutte intensément pour transmettre en peinture , par le ton et la couleur, la réalité physique de la scène.

 

 

Conclusion 

Comme Léonard de Vinci, Raphaël ou Michel-Ange, Titien est célèbre et reconnu de son vivant.

Titien a laissé une empreinte indélébile sur l’histoire de l’art.
Il a travaillé pendant près de soixante-dix ans pour les plus importants mécènes. Européens.
Il a su allié virtuosité technique et puissance émotionnelle.
Son statut d’artiste-courtisan lui assure une grande liberté dans l’exécution de ses œuvres.
Grâce à son prestige, Titien travaille pour Charles Quint qui l’anoblit puis pour son fis Philippe II d’Espagne.
Il réalise de nombreuses commandes pour François 1er de France et le Vatican.

Titien n’a jamais été attaché à un seul mécène, à une seule cour, il a toujours était fidèle à Venise où il vivait et travaillait. Cette diversité lui a assuré des revenus confortables et des honneurs exceptionnels pour un artiste.

Titien a réussi socialement et artistiquement parce qu’à son époque, la Renaissance faisait une large place aux arts.

À la fin de sa vie, son style devient plus expressif, anticipant la peinture baroque et impressionniste.
Son art au carrefour du classicisme et du maniérisme, influence durablement la peinture européenne.

Son impact sur l’histoire de l’art est immense. Il inspire les maîtres du baroque comme Rubens et Vélàzquez, et son approche de la couleur marque profondément des artistes comme Delacroix et les impressionnistes.

 

 

 

Sources :
Thèse de Sara Longo : Voir et savoirs dans la théorie de l’art de Daniel Arasse –2014
Article de Malienne Francastel : De Giorgione au Titien : l’artiste, le public et la commercialisation de l’œuvre d’art –1960