Tao Gu composant un morceau lyrique – vers 1515 – Tang Yin

Tang Yin (1470-1524)

Tao Gu composant un morceau lyrique

Vers 1515

Rouleau vertical, encre et couleurs sur soie
Dim 169 x 102 cm

Conservé au Musée national du Palais à Taipei – Taïwan
Ce musée a recueilli les collections du Palais impérial de la cité interdite de Pékin

 

 

Les premiers empereurs Ming, ont eu comme dessin de remettre à l’honneur les valeurs traditionnelles.  Ils rassemblèrent autour d’eux des peintres en renom, leur confiant des charges officielles et leur commandant des œuvres pour décorer leur palais.

 

L’œuvre

Le jardin est considéré comme un paysage miniature.
Dans cette scène délicate, mais à la sexualité suggestive, Tang Yin élève de Shen Zhou et peintre expert en belles femmes, place intelligemment le point de focalisation non pas sur Tao Gu, diplomate érudit du Xe, mais sur la jeune femme qui joue du luth pour lui.
Son nom est Qin Rolan, elle est musicienne à la cour et Tao Gu songe à composer un poème en son honneur.

 

La peinture sous la dynastie Ming 

La restauration de la souveraineté chinoise sous la dynastie Ming (1368-1644) donna lieu à une nouvelle expansion culturelle.
Vers la fin de la dynastie, Dong Qichang, critique influent, affirma que les artistes étaient parvenus à une telle maîtrise de leur art qu’ils pouvaient exprimer la relation intime entre le ciel et la terre ; toutefois, nombre d’œuvres narratives et purement décoratives nous laisse entrevoir des préoccupations plus légères.

Dès la fin du XVIe la peinture chinoise expérimenta une telle diversité de styles et de sujets picturaux que Dong Qichang en rédigea un inventaire détaillé visant à rendre plus compréhensible le fourmillement créatif.
Deux groupes de peintres en particulier avaient émergé au début de l’ère Ming : l’un issu du Zhejiang et des provinces environnantes prit le nom d’école Zhe ; l’autre installé dans le périmètre de Wu.
Dong Qichang surnomma le premier courant « école du Nord » et le second « école du Sud » dénominations encore en vigueur aujourd’hui.

Cependant le grand peintre Tang Yin ne peut être affilié à un courant ou à un autre.

La prospérité grandissante des villes, Suzhou, Nanjing et Yangzhou stimula le marché de l’art. L’urbanisation favorisa la publication d’œuvres littéraires destinées au divertissement et élargit la gamme des illustrations aux scènes érotiques ou tirées du théâtre.
Elle permit également des progrès techniques tels que l’estampe colorée et donna aux artistes miséreux davantage d’opportunités pour vendre leur travail.

La croissance de l’économie s’accompagne d’un développement de l’expertise artistique et du mécénat. Tout en exprimant leurs propres sentiments à l’aide de l’encre et de la peinture, les érudits constituèrent de précieuses collections de calligraphies, de peintures et d’antiquités.

L’admiration pour les grands maîtres ancestraux perpétua le goût pour les styles picturaux traditionnels -les paysages, les études dites « fleurs et oiseaux » et la peinture figurative- et favorisa l’imitation de leur style.

Ce rouleau de paysage est symptomatique du mécanisme qui tend à fixer les normes de la tradition.
La peinture ne se conçoit pas comme le seul résultat visuel d’une technique mais comme une nécessité répondant au cœur de l ‘artiste et agissant sur l’esprit du regardeur, qu’elle contribue à élever.
Le rouleau de peinture témoigne de l’interaction agissante entre le peintre et les principes internes du monde. Il est un véhicule privilégié de l’intention de l’artiste, présent initialement dans son cœur-esprit mais qui s’incarne et persiste dans le tracé des formes peintes, des qualités supra visuelles du paysage et des vertus morales de son auteur.

Tao Gu composant un morceau lyrique

Illustre la fascination des Ming pour les subtilités de la nature et ses vertus apaisantes.
Cette scène est soignée et détaillée.
Le geste précis de Tang Yin montre la maîtrise du trait calligraphique dans toute sa diversité.
Ce paysage de Tang Yin évoque la qualité de son pinceau
Cette peinture est réalisée sur un rouleau vertical à l’encre et couleurs sur soie.
Cette composition donne l’impression que tous les éléments du paysage constituent une seule élévation continue. Elle souligne la verticalité du format et à tendance à réduire l’espace pictural en une surface plane. Les seuls repères de la profondeur sont liés à la succession étagée des motifs.
La nature occupe le premier plan, les arbres ont des frondaisons épaisses et sont signifiés au moyen de touches denses appliquées par le coté du pinceau.
Les personnages définissent le second plan délimité par une barrière à droite. Ils sont disposés de manière centrale.
Un arbre qui s’étire au troisième plan à gauche,  occupe le fond du tableau, il présente des petites feuilles tombantes figurées par des touches d’encre plus claire qui génèrent un effet de profondeur. À droite se trouvent les textes.

Tang Yin place ce paysage dans un réalisme concret.

 

 

Conclusion 

En Chine la peinture est inséparable de la calligraphie. 

Le but ultime des arts du pinceau est le perfectionnement du moi par la mise en harmonie de l’activité créatrice de l’artiste avec la tao, principe organisateur du cosmos.

Le tournant pictural marque le début du XVIIe dans le contexte  socio-économique, littéraire et philosophique d’une Chine qui secoue le joug autocratique d’une dynastie sur sa fin.
En cette époque de grandes curiosités, d’élans techniques, d’attaques anticonfucéennes, les lettrés tentent d’ouvrir l’étau dans lequel les avaient maintenus les Ming et que les Mandchous s’empresseront de resserrer dès leur prise de pouvoir;

À la fin de la dynastie Ming, la pratique des Anciens est devenue le leitmotiv quasi exclusif des peintres, qui se tournent davantage vers le style de leurs prédécesseurs que vers ce que les expériences directes de la nature peuvent leur offrir dans la réalisation d’un paysage peint.
Néanmoins, l’un des aspects de la peinture de l’époque Ming reste marqué par l’établissement de canons et de règles qui en structurent et limitent les possibilités,
Ce qu’atteste ce rouleau.

Les empereurs de la dynastie des Ming régnèrent du XIVe au XVIIe, durant trois cents ans. Pendant cette période les arts décoratifs s’épanouirent jusqu’à marquer l’histoire de l’art asiatique.
Le premier empereur de la dynastie des Ming s’inscrit dans la tradition des grandes dynasties du début de l’empire chinois. Ce retour à la culture des anciens temps va permettre aux Ming de s’affranchir de la parenthèse mongols et de marquer leur puissance.

 

 

 

Source :`
Article de Muriel Peytavin -2010 : Tradition picturale et uniformisation des styles dans la peinture chinoise. Etude de deux rouleaux de paysage du XVIIe 

Tissu de soie polychrome sogdienne – VIIIe –

Tissu de soie

Lions 

VIIIe siècle 

Soie polychrome sogdienne
Dim 46 x 63 cm

Conservée en Asie Centrale à Boukhara en Ouzbékistan 

 

 

Les Sogdiens 

Les Sogdiens étaient les principaux fournisseurs de soie le long de la route de la soie, et aussi les meilleurs tisseurs.

Ce fragment de soie sogdienne provient sans doute de Boukhara, dans l’actuel Ouzbékistan.

Il représente deux paires de lions qui s’affrontent dans deux médaillons circulaires, motif suggérant une forte influence sassanide.
Les couples de chiens sont typiques des artistes du Proche Orient aussi bien que ceux de Chine.

 

 

Les Sogdiens : marchands de l’Asie Centrale 

Les sogdiens constituaient une société de marchands par excellence de l’Asie centrale, et leur art et leur architecture ont fini par symboliser la nature même de la route de la soie.

Depuis leur territoire, situé à cheval sur l’Ouzbékistan et le Tadjikistan actuels, les Sogdiens jouèrent un rôle capital dans le développement des échanges culturels et artistiques entre l’Asie centrale, la Perse (l’Iran moderne), l’Inde et la Chine.

Le sogdien, leur langue d’origine iranienne, devint la lingua franca du commerce de la route de la soie, et affecta les alphabets et les langages de toute la région.
La colonie de Samarcande allait devenir l’une des plus belle ville du monde antique, grâce à l’opulence  sogdienne provenant de la route de la soie.

Entre le IVe et le VIIIe, les Sogdiens constituèrent l’une des communautés de commerçants les plus importantes le long de la route de la soie en Asie centrale.
Selon les textes chinois, la richesse des Sogdiens provenait d’abord de leurs activités commerciales avec la Chine, l’Inde, la Perse et Byzance.

Ils étaient connus comme marchands de pierres précieuses, d’épices et d’ivoire, et facilitaient par leur présence les déplacements des artisans, des musiciens et autres artistes.

La soie était l’un des biens les plus échangés, qu’il s’agisse de soie chinoise échangée avec l’Occident ou bien de soie sogdienne vendue en Chine.
De plus, la situation géographique de la Sogdiane était idéale pour commercer avec les tribus pastorales nomades des steppes du Nord.

Des textes sogdiens comme les Lettres anciennes, découvertes au début du XXe par l’explorateur anglo-hongrois sir Aurel Stein, prés de Dunhuang, en Chine, indiquent la présence de colonnes sogdiennes dans plusieurs villes le long de la route de la soie dès le IVe.
Une forme de zoroastrisme était profondément enracinée en Sogdiane, mais contrairement à ses voisins perses, la société sogdienne ne comptait pas de caste de prêtres, et le zoroastrisme ne devint jamais une religion d’État.
De fait, il existait dans la région d’importantes communautés de « manichéens » (religion gnostique iranienne) et de chrétiens nestoriens.
Dans leur diaspora, le long de la route de la soie orientale, certains marchands sogdiens ont pu adopter le bouddhisme, comme l’indique le grand nombre de textes bouddhistes traduits du chinois en sogdien.

Les richesses provenant des activités marchandes des Sogdiens étaient utilisées pour embellir les quartiers résidentiels et administratifs des villes comme Samarcande et Pendjikent avec de grandes fresques dont la plupart décrivent des scènes de banquets relatant des récits héroïques relatifs aux aristocrates sogdiens.

Plutôt profanes par nature, les œuvres d’art de Sogdiane, et en particulier les soieries, sont très syncrétiques, et démontrent le mélange des influences artistiques et des courants culturels dans les régions de la route de la soie ; les motifs d’Asie centrale sont mélangés  à des éléments et à des concepts de provenance aussi lointaine que la Perse, l’Inde, la Chine et l’Ouest.

Les sogdiens combinèrent avec génie ces différents composants pour créer des œuvres d’art uniques.

La Sogdiane de l’antiquité fait figure de parent pauvre en Asie centrale.
Certes c’est une terre de riches oasis, bien irriguées, mais c’est une cousine provinciale des brillantes civilisations parthes, en Iran, ou l’empire des Grands Kouchans qui s’épanouissait au sud-est, sur le territoire de l’actuel Afghanistan et de l’Inde du Nord.
Rien ne semblait la prédisposer à devenir le centre du grand commerce international.
À partir du Ve, Samarcande est le point de passage obligé.

 

L’âge d’or des communautés des marchands sogdiens se situe entre le Ve et le VIIIe, et constitue un lien commercial et culturel entre le monde iranien et le monde chinois et entre le monde chinois et le monde turc.

Les sogdiens suivent le mouvement initié par les puissants marchands kouchans, véritables créateurs de la route de la soie. C’est dans le cadre de l’empire kouchan que le bouddhisme commence son expansion vers la Chine.

La constitution des réseaux sogdiens remonte au plus tôt à la fin du IIIe av.J.C.
Les réseaux sogdiens ne sont pas exclusivement de nature commerciale, ils recouvrent et s’enrichissent d’une réalité plus complexe dans laquelle on retrouve les traditions culturelles du monde sogdien :  aristocratie chevaleresque, habileté diplomatique, souplesse religieuse, esprit d’aventure, etc.

C’est d’abord par des intermédiaires que les Sogdiens prennent connaissance du monde chinois, les Wusun, les Saka et les Yuzhi qui sont les fournisseurs de jade des Kunlun et de chevaux  à l’époque pré-impériale. Le peuples des Kunlun sont par ailleurs les fournisseurs de corail blanc, de lapis-lazuli ou de la turquoise.

Il existe ainsi une chaîne dès la haute époque, une chaîne pré-commerciale reliant les Zhou aux Yuri et ceux-ci à leurs voisins, le peuples des Kunlun, chaîne qui se prolonge vers l’Occident.

La chaîne chinoise pourrait se raccrocher aux producteurs de lapis-lazuli  ou de turquoise  et aux marchands de corail.
La date de transmission de ces toponymes aux Sogdiens remonte à l’époque de l’affirmation de Qin  comme principal royaume de la Chine antique entre la fin du IVe et le milieu du IIIe av.J.C. (221-206 av.J.C.)

Au début les sogdiens, sans véritable structure éthique unitaire en sont réduits à suivre les marchands parthes et bactriens qui négocient avec les caravaniers chinois.

Les marchands sogdiens s’implantent en Inde du Nord-Ouest, région dont ils feront une nouvelle base de départ pour étendre leur réseau vers les États hindouisés et de là vers la Chine (qui comprenait à l’époque le Vietnam).
Ces réseaux semblent plus à caractère religieux que commerciaux.

Les grandes invasions (vers 350-450) marquent un repli sur la Sogdiane géographique et la constitution dans cette région d’une base majeure du commerce sogdien. C’est de là, que progressivement les réseaux vont se réorganiser vers le Nord et l’Est, en Chine occidentale au Ve.
Le déplacement des réseaux sogdiens au nord de la Caspienne et dans la steppe russe marque un basculement vers l’Ouest d’un monde profondément influencé par l’Orient.

Les produits qui faisaient l’objet d’un commerce sogdien sont l’or, l’argent-métal, le poivre, le camphre, les vêtements de chanvre, les « tissus de poil », le vin, le riz et le blanc de céruse.

Dans les régions qui, entre le IIIe et le VIIe, échappaient peu ou prou à la tutelle chinoise, le Hexi occidental et le bassin de Tarim, la circulation monétaire était liée au système monétaire sassanide en usage chez les Sogdiens et autres Hu, mais durant cette période et jusqu’à la reconquête Tang, ces régions ne peuvent être désignées comme parties de la Chine. Quand ces régions redeviennent chinoises sous les Tang, la circulation des pièces d’argent régresse puis disparaît au profit des sapèques de cuivre comme le montrent parfaitement les documents de Tourfan.

Dès le IIIe et le IVe, les sogdiens  concurrencent leurs maîtres sur la route de Chine. Un groupe de documents retrouvés au  début du siècle dans le désert du Taklamakan, montre l’existence en 313 de tout un  réseau de marchands sogdiens établis dans toutes les villes étapes qui s’égrènent entre les grandes villes chinoises et Samarcande.

Peu après, les Huns, partis de l’Atlas, s’abattent sur l’Asie centrale, tandis que d’autres  hordes atteignent l’Europe. Ils conquièrent aisément la Sogdiane et modifie radicalement l’histoire économique de ces régions.
La Sogdiane, qui a su plier, s’impose à partir du Ve comme le principal centre de peuplement et de richesses de l’Asie centrale et domine le commerce caravanier.

Durant la période qui suit, les sogdiens sont par excellence les marchands de l’Asie intérieure.
Durant l’apogée de la route de la Soie, du Ve au VIIIe, les sogdiens contrôlent presque exclusivement le grand commerce caravanier entre la Chine et l’Ouest.
La langue sogdienne est la langue de la diplomatie et des bazars depuis Byzance jusqu’à la Chine.
En Crimée, loin à L’ouest, ces marchands fondent la ville de Sogdaia -aujourd’hui Sudak- sous protection des Turcs, pour mieux avoir accès au marché byzantin.
La Chine est l’autre destination favorite des marchands sogdiens, avec la steppe des Turcs,
Lorsque la Chine entreprend la conquête de l’Asie centrale, au VIIe, ce sont les sogdiens qui ravitaillent ses armées.

À partir du début du VIIIe les armées musulmanes se heurtent à une résistance farouche de l’aristocratie sogdienne alliée aux Turcs. Ces troubles militaires ruinent le pays autant que la rupture du commerce caravanier.
L’intégration définitive au monde musulman aura lieu à partir des années 820 et surtout 840 lorsque la disparition du dernier Empire ouïgour de Haute Asie met fin à tout espoir de revenir à l’âge d’or antérieur.

Une nouvelle synthèse s’élabore à partir du IXe qui doit fort peu au passé sogdien et beaucoup plus à l’Iran et au monde arabe.

Le passé sogdien s’efface rapidement tandis que naissent ou travaillent sur l’ancien territoire de Sogdiane les plus grandes gloires des sciences ou de la poésie persane.

Laissées à leur sort, les communautés sogdiennes éparpillées le long de la route de la soie désormais fort peu fréquentée s’intègrent aux milieux locaux.

 

 

 

Conclusion 

Les Sogdiens étaient les habitants des vallées fertiles des actuels Ouzbékistan et Tadjikistan, et notamment de celle du Zérafchan, la rivière de Samarcande et de Boukhara. Ce peuple, parlant une langue iranienne, possédait une identité propre que l’on peut suivre durant au moins quinze siècles, approximativement entre 500 av.J.C.  et 1000. Bien que les Sogdiens aient bâti des villes aussi célèbres que Boukhara, Samarcande ou, à un moindre degré, Tachkent, ils sont inconnus du grand public. 

Seuls les spécialistes de la route de la Soie savent qu’ils furent les principaux intermédiaires du commerce au premier millénaire de notre ère.

 

 

 

 

Sources :
Article de la revue Numismatique de François Thierry -2005 : Autour d’une histoire des marchands sogdiens
Texte d’Etienne de la Vaissière -2004 : Les Sogdiens, un peuple de commerçants au cœur de l’Asie