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Lorenzo Lotto (1480-1556)

 

L’Annonciation de Recanati

1534-1535

Huile sur toile

Dim 166 x 114 cm

Conservé à Recanati, au musée civique de la villa Colloredo Mels, Italie.

 

Le peintre

Lorenzo Lotto est un peintre vénitien, contemporain de Titien.
Il met son art au service des églises.
Son art rigoureux, influencé par les maîtres italiens et flamands, échappe au courant maniériste.
Vers 1503 il quitte Venise pour Trévise où il se familiarise avec le style flamand. En 1506, il part pour la lointaine région des Marches à Recanati pour donner suite à une commande prestigieuse, le grand polyptique de san Domenico qu’il exécute entre 1506 et 1508.
En 1508, Lotto est appelé à Rome pour décorer les appartements privés du pape Jules II. Son style peu classique et idéalisant ne plaît pas au pape et ses fresques seront recouvertes par une nouvelle décoration de Raphaël.
Lotto fait un bref séjour à Florence avant de regagner les Marches vers la fin de 1510 ou au début de 1511.
En 1513, il est à Bergame pour réaliser un très grand retable, une commande de Colleoni Martinengo pour une l’importante église dominicaine Santi Bartolomeo e Stefano.
En 1525, Lotto quitte Bergame pour regagner sa ville natale, Venise où, comme à Bergame son talent de portraitiste est apprécié.
Bien que la compétition avec Titien soit serrée.
On ne connait pas la date où Lotto quitte Venise pour regagner les Marches.
Dans les quinze dernières années de sa vie le succès de Lotto déclina.
En 1557, dans la ville sainte de Loreto, il finit ses jours comme oblat de Santa Casa.

Le tableau

Datant de la période vénitienne de Lotto, pendant laquelle il travaille dans la région des Marches, le tableau est une commande de la Confraternita dei mercanti di Recanati.

 Le thème de l’Annonciation est un thème à la mode dans l’iconographie chrétienne.
Marie est surprise dans sa lecture, chez elle, dans sa chambre, par l’arrivée de l’archange Gabriel qui lui apprend qu’elle va donner naissance au futur Christ.

 

Composition

Le décor est posé.
Le regardeur voit l’intérieur d’une chambre.

Sur la droite de la composition, l’arrière-plan est une grande arcade qui ouvre sur un jardin.
À gauche de la composition à l’arrière-plan, le rideau de l’alcôve du lit et une cheminée surmontée d’une fenêtre qui diffuse une lumière dorée.
Au premier plan, un petit bureau sur lequel est posé le livre ouvert.
Ce petit bureau est solidaire d’une estrade.

Les personnages ont été distribués, la Vierge au premier plan sur la gauche, tourne le dos à l’archange Gabriel au deuxième plan sur la droite, le bras levé en direction de Dieu le Père, situé dans le registre supérieur au fond du tableau, sous les arcades de la loggia, cadré dans l’ouverture sur le jardin. Quant au chat il est au milieu de la composition au second plan.

Lotto prend des libertés avec la perspective et distribue un rouge flamboyant et un bleu clair acidulé pour ses figures.
Marie porte une robe rouge et un manteau bleu, l’archange est bleu et Dieu le Père est rouge.
Le sol d’une couleur claire, orangée, met le chat en valeur.
La teinte blonde choisie pour le bureau éclaire le vert très foncé des murs et le brun des boiseries de la cheminée et de l’arcade.
Le ciel aperçu par l’ouverture reprend le bleu acidulé des vêtements.

Le rouge, le bleu et le vert sont les couleurs de prédilection de Lotto.

La lumière balaye le tableau de la droite vers la gauche, en diagonale.  Entrant par l’ouverture elle éclaire fortement le nuage de Dieu le Père, c’est un nuage de barbe à papa.
Elle inonde l’archange dont la peau paraît laiteuse et presque aussi blanche que les fleurs de lys. Et meurt sur la Vierge, un éclat brille sur son front, un autre s’écrase sur sa robe.

La répartition des couleurs et le trajet de la lumière participent avec le  chat au dynamisme du tableau.

 

Analyse

Ce tableau m’a intriguée, la Vierge n’est pas conforme, ni dans son physique ni dans son attitude.
La Vierge n’est pas jolie. Cette frimousse de jeune-fille ne colle pas avec les beaux visages idéalisés des Vierges de la Renaissance italienne.

L’ingénue est effrayée et n’est pas d’accord.
Dieu le Père s’est substitué à la colombe du Saint Esprit pour réprimander la Vierge et lui intimer l’ordre d’écouter l’archange.

Un archange désemparé par l’attitude de la Vierge.
Un archange au bras musclé tendu vers Dieu le Père comme pour lui demander de l’aide dans sa démarche. Un archange interloqué avec sa branche de Lys dans la main gauche. Il s’est agenouillé, par respect et sans doute pour paraître moins effrayant et plus convaincant.

Quant au chat il a sauté de la fresque de Domenico Ghirlandaio, La Cène –1846, pommé, effrayé, toute griffes dehors, au milieu de la composition, il s’enfuit  dare-dare.

Ce tableau m’a interpellée parce son iconographie est inhabituelle.

Habituellement Marie est une jeune-femme gracieuse et soumise.
Dans ce tableau le regardeur voit une jeune-femme qui vient de faire volte-face, désemparée et dont la gestuelle semble nous dire : « je ne veux pas » !

L’iconographie classique de l’Annonciation place l’ange Gabriel à gauche de la composition et Marie à droite.
Les personnages généralement sont de profil.
Et la lumière entre par la gauche de la composition.
Comme chez Botticelli, Léonard de Vinci ou Fra Angelico.

Dans ce tableau la Vierge Marie est à gauche de la composition, elle tourne le dos à l’archange Gabriel.
Interrompue dans sa lecture, la jeune-fille s’est retournée et lève les yeux au ciel. La position de ces mains indique un refus, comme si elle repoussait la nouvelle apportée par l‘archange.
L’archange surpris par sa réaction, suspend son geste.
Le regard sévère de Dieu le Père, ses bras fermement tendus, évoquent une intention d’ordre. Dieu le Père recadre la jeune Marie !

Le centre du tableau est occupé par un chat au poil hérissé. À la fois animal de compagnie et symbole satanique, le chat s’enfuit  devant l’archange Gabriel. L’attitude du chat ajoute à la panique ambiante.

Ce tableau est une aventure.

Lotto est curieux d’innovation, c’est une peintre d’avant-garde.

Dans ce tableau, on repère les contorsions des corps, les poses artificielles -courbes et contre-courbes, le regard de Marie, les couleurs, la lumière inversée, surnaturelle.
Ses figures occupent l’espace selon des axes contradictoires.

C’est un tableau narratif, chargé de vitalité.

Un tableau qui annonce le style baroque.

Le style de Lotto est original, il n’idéalise pas ses personnages.
Son intuition d’une grande fraîcheur, déconcerte.

Cette Annonciation est révolutionnaire.

Elle illustre le rapport difficile entre les hommes et leur créateur.
La pureté est innée mais elle est aussi un don de Dieu et, comme tous les dons de Dieu, difficile à recevoir.

Tel est le message de l’archange, dont le rôle est d’établir le contact.

Marie n’a pas le courage de regarder l’archange.
Lotto la représente dans son cadre de vie, dans sa chambre, à son bureau de lecture.
Marie affiche son humanité. Son visage exprime un désarroi, profondément humain.
Ce visage d’ingénue tourmenté par le doute, empreint d’ironie, exprime la profondeur de son état d’âme.

La chambre, plongée dans l’obscurité est déchirée par un faisceau de lumière surnaturelle.

La très belle branche de lys a l’élégance qui manque aux personnages.

 

Conclusion

Le « livre de comptes » que Lotto commence en 1538 à Ancône est le journal de ses échecs. Il a cinquante-huit ans et pas un liard, on lui renvoie ses toiles. Il rêve de revenir à Venise, où la dictature du Titien ne lui laisse pas de place.

En 1529, Lotto obtient une commande à Venise, le retable de l’église des carmes. Il peint un saint Nicolas en gloire, utilise les roux et l’or du Titien, peint un paysage sombre et gris, comme le feront les hollandais du XVIIe. Une œuvre étrangère à l’art de Venise.

Son art le ramène à la solitude. Lotto demeure incompris.

C’est son époque qui pousse Lotto à voyager dans une Italie aux frontières incertaines.
Chacun de ses tableaux pris isolément avait été loué, mais l’œuvre a été négligée, le caractère résolument novateur de sa peinture n’a pas été compris.

Lotto peintre étrange et fascinant, est un cas très étonnant de l’histoire de l’art.