La bicyclette africaine

 

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Le Burundi est un petit pays (27 830 km²) situé au cœur de l’Afrique des Grands Lacs. Constitué en grande partie de hauts plateaux et de collines, il se situe sur la ligne de séparation des eaux du Nil et du Congo.

C’est le pays des mille collines et du Balthazar de la crèche, très verdoyant et ruisselant d’innombrables rivières qui dévalent vers le lac Tanganyika, aux pieds de Bujumbura en cette fin de saison des pluies.

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La route qui part de Bugarama et conduit à Bujumbura descend de 1400m sur une distance de 35km et comporte une centaine de virages à 90°.
Tous les matins j’emprunte cette route et je croise les cyclistes porteurs de bananes qui dévalent dans l’immense plaine vers la ville.

Quel spectacle que ces vélos chinois noirs sur lesquels sont maintenus de 14 à 18 régimes de bananes, environ 220 à 250 kg, dépassant d’un bon mètre la tête du pédaleur, dans un équilibre improbable, à l’arrière de la selle.
Emportés par leur masse et ne pouvant pas s’arrêter, les cyclistes sont prioritaires.
Ces vélos n’ont pas de frein…
Que la route soit sèche ou mouillée les cyclistes descendent des collines à plus de 80 km à heure.
Il y a beaucoup de culbutes parmi eux et ils ne font pas ce transport plus de deux ans en moyenne.

Le soir au retour, je croise les cyclistes porteurs de lait qui eux ne transportent que deux bidons d’aluminium de 30 litres derrière la selle. Ils font la course entre eux…

De la fenêtre de ma chambre je vois la cascade de collines plissées et enchevêtrées qui enserrent Bujumbura dans un fer à cheval au bord du lac.
Les plus hauts sommets à l’horizon sont noyés dans une ribambelle de nuages cotonneux.
Le soleil tape sur les toits de tôle ondulée qui scintillent dans le paysage tels des miroirs, perchés dans les endroits les plus invraisemblables où se niche une espérance de vie.

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J’imagine des téléphériques et des télésièges pour les bananes et pour le lait qui signifieraient la fin des petits boulots pour les cyclistes.

Il n‘y aurait plus d’espérance de vie, ni de bananes et encore moins de lait sur les pentes des collines où aucune grande exploitation ne pourrait être créée.

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Ce serait la fin des « derniers rois mages ».

Mon chauffeur est un Tutsi (15% de la population, détenteur du pouvoir royal et du tambour), il mesure deux mètres dix.

Quand je lui parle je dois lever la tête comme pour regarder le ciel dans ce pays d’astrologues.

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Notes :

Cet état de l’Afrique est limité au nord par le Rwanda et au sud par la Tanzanie, à l‘ouest par la République démocratique du Congo (l’ancien Zaïre).

J’ai voyagé au Burundi en 1993

« Les derniers rois mages » est un livre de
Paul Del Perugia,
auteur érudit et poète.

Rappel : du 6 avril au 4 juillet 1994, 800 000 rwandais, pour la pluspart Tutsis ont été massacrés par des rwandais majoritairement composés de Hutus. Perpétré en 100 jours le génocide rwandais détient le triste record du génocide le plus rapide de l’histoire.
source: article sur futura-sciences.com

Correspondances

 

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La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles;
L’homme y passe à travers des forêts de
symboles
Qui l’observent avec des regards familiers.

Comme de longs échos qui de loin se
confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se
répondent.

Il est des parfums frais comme des chairs
d’enfants,
Doux comme des hautbois, verts comme les
prairies,
-Et d’autres corrompus, riches et
triomphants,

Ayant l’expansion des choses infinies,
Comme l’ambre, le musc, le benjoin et
l’encens,
Qui chantent les transports de l’esprit et des
sens.
Charles BaudelaireLes Fleurs du mal

gauguin-matamoePaul Gauguin Matamoe ou le paysage des paons

Le désir de Samothrace

 

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6H30, les premiers rayons de soleil ricochent sur les galets de la plage
La journée commence par une lutte avec le vent de l’île qui frise les vagues et pousse la végétation jusqu’au bord de l’eau
Ce bain matinal est revigorant, un bain de jouvence, la promesse du jour, le désir de SAMOTHRACE
Douchée et habillée, la tranche de pastèque et les petites poires de la Saint-Jean accompagnent heureusement le café du matin.
J’ai chaussé mes vieilles Converse et décide de rejoindre le site à pied.
Ma joie est palpable, elle imprègne le bleu du ciel.

Devant le portail du site une véhicule s’arrête : Ludovic et Sébastien me demandent de monter, Bonna nous attend et nous devons arriver ensemble.
Ludovic qui est l’un des 3 commissaires en charge de la restauration de La Victoire de Samothrace est chez lui ! il est heureux comme un poisson dans l’eau ! nous aussi ! Nous foulons le sol de ce site prestigieux et nous sommes heureux comme des poissons dans l’eau !
Nous allons à la rencontre de Bonna, qui nous accueille à bras ouverts.
Nous grimpons dans son “open space” où des chercheurs et des étudiants s’affairent autour d’immenses tables recouvertes de plans, de dessins, de livres et d’ordinateurs.
Bonna nous montre un film en 3D où les différents temples du sanctuaire des Dieux ont été reconstitués. Cette formidable idée nous permettra une fois au milieu des pierres de visualiser les monuments dans leurs espaces.
Bonna nous parle ensuite de la tête…de Samothrace, c’est le nouveau graal !
A-t-elle roulé, charriée par les torrents de la rivière jusqu’à la mer ?
Serait-elle devenue ce galet que j’ai ramassé ce matin sur la plage?
A-t-elle été enterrée en contre-bas sous des mètres de limon ?
Bonna travaille sur le site depuis 1977 : toute une histoire, toute une vie !

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Avant de partir sur les traces des grecs du IVe av. J.C. nous faisons une halte devant le bloc de pierre C2. Celui que Champoiseau n’a pas emporté.Celui qui a servi de bitte d’amarrage avant d’être “sauvé” in extremis est là, calé entre deux arbres.
Les moyens techniques dont disposent les archéologues aujourd’hui, permettent à Ludovic de nous affirmer que C2 constituait le bloc central de la base de La Victoire de Samothrace et donc le bloc central du bateau. Ainsi les archéologues en analysant les encoches de C2 ont déduit que la statue était fixée au centre de son socle et non pas “en bout”, à la nef.
C2  illustre la vie des archéologues : découvrir, imaginer, tenter des reconstitutions,  émettre des hypothèses et puis un jour, les pierres parlent.
C’est la  magie des progrès techniques, la  magie de ce métier .
Les fouilles, la recherche,  savoir chercher, l’attente, savoir attendre, jusqu’à la délivrance: jusqu’à ce qu’au delà de leur mémoire, les pierres délivrent leur âme.

img_0851Nous empruntons la voie sacrée, le parcours initiatique, l’itinéraire que parcouraient les grecs du IVe siècle av. J.C.
Nous nous arrêtons à chaque emplacement où des colonnes s’érigent vers le ciel où des arcs de pierres délimitent les espaces construits, on sent les monuments, on les respire. On approche de La victoire
L’émotion de plus en plus perceptible grandit à chaque pas : nous flairons le lieu magique : l’emplacement de La Victoire de Samothrace.
Je suis en contrebas d’un talus, les colonnes doriques d’un temple se dressent fièrement devant moi.
Sébastien me dit : Tu vois, c’est la haut.
La haut ?

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Je photographie des arbustes et des oliviers sauvages !
Je photographie le concept de La Victoire
Elle est tellement présente !
Aux côtés de Bonna j’escalade les quelques mètres qui nous séparent de l’emplacement choisi par les grecs pour ériger cette sculpture monumentale
La Victoire de Samothrace.
Nous y sommes ! j’y suis ! je saute et crie de joie.
Bonna capte les vibrations, clic-clac !
Bonna me prend en photo avant de me prendre la main. Viens me dit-elle en me plaçant dans le périmètre exact de l’emplacement de La Victoire. Il est délimité au sol par des gros cailloux.

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Lève le bras droit, ouvre la main, écarte les doigts, ton bras gauche, positionne le comme si tu avais, un bâton clic-clac !
je prends la posture de La Victoire et place mes bras comme le souhaite Bonna.
Je suis La Victoire de Samothrace jusqu’au bout de mes doigts.
Bonna le sait clic-clac!
Bonna le sent clic-clac !
je ris clic-clac !
Bonna photographie clic-clac !
Bonna cherche et ne s’amuse pas !
Comment ai-je placé ma tête ? clic-clac !
Ma tête est très légèrement tournée vers ma main droite clic-clac !
Connaissant la corpulence de la statue on peut  déduire le volume et la masse de la tête.
Si on trouve l’angle de cassure de la tête on peut émettre des hypothèses quant à ses rebonds lors de sa chute….
Super Bonna, puissent  les photos que tu as prises ce matin te faire avancer.
Je n’ai pas réfléchi, ma rencontre avec
la Victoire était sincère.

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Un désir qui vient de loin. Un dialogue avec les pierres.
Les pierres s’apprivoisent, parlent, transmettent.
Ce que nous avons pris pour une séance de photo était une séance de travail !
Je suis sûre que tu es très proche de retrouver la tête de
La Victoire !
Fais moi signe quand tu la déterreras ! Bonne chance Bonna !

Ludovic nous parle de son travail archéologique, de celui de ses prédécesseurs et du premier, Charles Champoiseau. L’histoire est belle, sympathique et, française ! La Victoire de Samothrace s’élance au Louvre sur le palier du grand escalier Daru. Elle est monumentale, impériale, majestueuse, restaurée et, en partie reconstituée. Les morceaux créés sont un bonheur, tout a été fait pour rendre à la sculpture sa force et sa présence. Les morceaux absents : les bras, la tête, sont là, son élan est là.

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La Victoire de Samothrace telle que nous l’admirons aujourd’hui au Louvre est le résultat d’une belle histoire.C’est un travail de très longue haleine, le travail d’une grande équipe qui s’est passé le relais depuis 3 siècles, sculpteurs, archéologues, historiens, restaurateurs, mécènes. La statue d’aujourd’hui est indissociable de cette histoire et ne nous donnerait pas ce qu’elle nous donne à voir si Charles Champoiseau ne lui avait pas fait faire le voyage.
Sa place ne serait-elle pas plus tôt sur le site ? Non
Elle est sur le site !

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Sur le site Elle brille par sa non-présence. Elle fascine.
Tous ceux qui font le chemin de la voie sacrée le sentent.
À Samothrace on est dans le sanctuaire des Dieux.
Les ruines des temples s’élancent vers le ciel bleu.
Au loin la mer Égée absorbe l’énergie et la renvoie en millier de grelots de lumière poussés par le vent. Une immense plénitude inonde l’espace.
Atmosphère divine, atmosphère de pierres, je suis dans le sanctuaire des Dieux Cabires.
Bonna parle d’un projet de reproduction de La Victoire de Samothrace accordé par le gouvernement. Bonna doit décider de son emplacement.
S’il te plaît Bonna : devant le musée !
Nous sommes tous d’accord pour laisser au lieu d’origine son concept et sa magie.

je  peux reprendre le bateau

Samothrace for ever !

Good luck pour la tête Bonna !    img_0960


Personnes citées :

Bonna Wescoat
Ludovic Laugier
Sébastien Fumaroli

 

Les saltimbanques

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Dans la plaine les baladins
S’éloignent au long des jardins
Devant l’huis des auberges grises
Par les villages sans églises.

Et les enfants s’en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe.

Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours, des cerceaux dorés
L’ours et le singe, animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage.

Guillaume Apollinaire, Alcools, 1913       img_0339

Gratte-Paille, la ferme enchantée…

 

 

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Il était une fois une jolie ferme sur le lieu-dit “Gratte-Paille”.

Gratte parce que le corps de ferme est perché au sommet d’une petite montagne. On accède au terre-plein tout en haut par un chemin zigzaguant entre les troncs des grands sapins. La route grimpe, les arbres se raréfient et les prés de verdure, trop pentus pour être cultivés, succèdent à la forêt.

La ferme, formée d’une étable, d’une bergerie, d’une porcherie, d’une grange et d’une petite maison occupe le seul espace plat.
C’est une ferme auvergnate, les bâtiments sont construits autour d’une grande cour qui est l’espace de vie des paysans et des animaux.
Une entente exceptionnelle règne entre vaches, moutons, poules, cochons, chiens, chats, et âne qui passent leur journée à gambader dans la cour et le pré qui la prolonge. Les animaux mangent tous ensemble, c’est une cour des miracles au tintamarre joyeux et vivifiant.

Au petit trot ou au grand galop, selon que nous sommes en forêt ou sur les chemins nous nous rendons mon frère et moi à Gratte-Paille, à cheval, où nous sommes attendus.
C’est un immense plaisir que de traverser les bois protégés des rayons du soleil qui chauffent les prés à blanc en ce mois d’août.
Les chevaux sont en sueur quand nous arrivons au pas et je cherche des yeux une fontaine pour les abreuver.
Une joyeuse cacophonie nous accueille, vaches, chiens, cochons, moutons, tout ce petit monde se précipite vers nous, les paysans ferment la marche.
A croire que cette symphonie pastorale calme les chevaux. Ce sont des chevaux de concours effrayés au moindre bruit insolite et, ils ne bronchent pas.

Narcisse, le paysan et Marthe, sa femme nous accueillent à bras ouverts.
Je demande de l’eau pour les chevaux que nous dessellons avant de les emmener à l’abreuvoir.
Narcisse m’incite à lâcher les chevaux. L’herbe est verte, ils vont se régaler, ne t’inquiète pas, ils sont bien ici, ils ne partiront pas me dit-il.
Sceptique, je m’assois dans l’herbe pour les surveiller après avoir enroulé les cordes des licols autour de leurs encolures. L’herbe est verte et drue, les chevaux ont l’air heureux…

Narcisse revient me chercher et je le suis à reculons.
Je suis installée sur le banc à la grande table de ferme devant une part de tarte à la crème.Je ne me souviens pas d’avoir mangé mais je me souviens très bien m’être levée sans un mot pour aller jusqu’au palier de la porte.

Pas de chevaux en vue,
Je sors sans un mot, je m’avance en espérant que les chevaux sont descendus un peu plus bas. J’appelle mon frère qui descend le pré avec moi.
Toujours pas de chevaux en vue
Nous prenons le chemin, nous trouvons et suivons les traces de glissades des fers des chevaux sur la route.
Comme tous les animaux ils ont la mémoire de l’écurie. Ils ont rebroussé chemin. Deux chevaux, qui déboulent au grand galop dans le village …….
Je suis morte d’inquiétude.
C’est le temps des moissons les tracteurs sillonnent les routes.

Je tape à la porte de la première maison du village où nous nous présentons. Nous sommes toujours bien accueillis parce que nous sommes les petits enfants de notre grand-père, un notable de la région
Vous avez de la chance les enfants Marcel a arrêté les chevaux, il s’est mis en travers de leur route au bout du village.
Nous y courrons.
Tremblants, couverts d’écume blanche, les naseaux dilatés, les chevaux sont là.
Nous remercions chaleureusement Monsieur Marcel.
Je parle aux chevaux qui se calment au son de ma voix.
Ils nous ont retrouvés. Nous les avons retrouvés. Ils ne sont pas blessés.

Narcisse arrive en voiture avec les selles et les bombes.
Ne nous voyant pas revenir dans la maison : plus de chevaux, plus d’enfants. Narcisse en bon paysan a déduit que les chevaux étaient rentrés au bercail et que les enfants couraient derrière.

Il ne pouvait pas savoir que les chevaux avaient été arrêtés au village mais il était là. Parti pour apporter les selles jusqu’à Paulhaguet, notre village.

Chez Narcisse les animaux pouvaient vivre joyeusement en liberté, se côtoyer, partager leur territoire comme je ne l’avais jamais vu mais la nuance était qu’ils étaient chez eux à Gratte-Paille. Les chevaux étaient des ‘’invités’ ’ils étaient en confiance tant que j’étais dans leur paysage.
À partir du moment où j’ai disparu dans la maison, ma monture se sentant abandonnée et perdue s’est arraché du pré à toute allure, pour rejoindre le lieu qu’elle connaissait : son enclos à Paulhaguet.

Si j’étais restée assise au bord du pré il ne se serait rien passé. Les chevaux seraient entrain de manger l’herbe tranquillement et Narcisse serait sorti dix fois de la maison pour me demander de les rejoindre…

Être raisonnable c’était être « rabat-joie » et refuser une gentille invitation.

Il y a toujours ce que l’on a envie de faire et, ce que le petit doigt dit qu’il faut faire.

Cela ne m’a pas vraiment servi de leçon puisqu’il m’arrive encore de ne pas écouter mon petit doigt et d’être déraisonnable.

Version 2

On n’est pas sérieux quand on a dix sept ans

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I

— Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
— On va sous les tilleuls verts de la promenade.

Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits, — la ville n’est pas loin, —
A des parfums de vigne et des parfums de bière…

II

— Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche…

Nuit de juin ! Dix-sept ans ! — On se laisse griser.
La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…

III

Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,
— Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux-col effrayant de son père…

Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…
— Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…

IV

Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux. — Vos sonnets la font rire.
Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
— Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire… !

— Ce soir-là,… — vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
— On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.

23 septembre 1870. Rimbaud

Le message de Mignonne

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Je dois à mes parents de ne pas m’avoir transmis de sentiment de haine.
Je ne suis pas raciste. Et lorsque je voyage je pense que j’ai la chance de vivre dans un pays formidable.

Mon enfance a été riche d’expériences qui m’ont construite.

Je me rappelle de l’une d’elle qui se passe en Auvergne en Haute-Loire.

Un grand pré, un pâturage, c’est l’été, le soleil est haut à midi, l’heure où l’herbe est chauffée à blanc.
Une jument de trait alezane qui répond au nom de Mignonne est plantée droite dans le soleil.
Elle est immobile, les yeux mis clos, le cuir de sa peau frissonne régulièrement pour se débarrasser des taons.
La seule ombre du pré est celle que projette son corps massif entre ses jambes.
Le chat est venu s’y réfugier, il est allongé de tout son long entre ses sabots.
La jument ne bouge pas.
C’est ainsi tous les jours quand le soleil est à son zénith.
Tous les jours sauf un.
Ce jour là j’ai éprouvé une émotion intense.

À l’autre bout du pâturage un troupeau de vaches encadré par les chiens suit le fermier venu les chercher pour les emmener à l’ombre de l’écurie.
Une vache ne suit pas le troupeau.
Elle reste à l’écart, cachée par trois petits arbres de clôture.
Elle s’accroche à la maigre ombre des arbustes.

J’observe la scène de la terrasse.

La vache est restée en retrait pour vêler toute seule.
Son dos brille de sueur, elle est entrain de mettre bas.
Bientôt apparaît un petit veau tout mouillé, hagard, incertain sur ses jambes raides.
La vache souffrant de la chaleur s’est couchée aux côtés de son veau.
Elle veille.

Les sabots de Mignonne claquent sur la terre craquelée du pré.
La vache tourne péniblement la tête.
Mignonne est dans son pré,  la vache était de passage.et le fermier conduit rarement son troupeau jusqu’ici.
Elle ne se connaissent pas.
Mignonne, avance d’un pas régulier, droit sur la vache, elle s’arrête devant elle et ébroue sa crinière.
Elles se dévisagent. et la vache se lève péniblement.
La jument contourne le veau et prend la place de la vache.

C’est la première et la dernière  fois de ma vie que je verrai Mignonne dans cette posture.
Je n’en crois pas mes yeux de voir cette grosse masse précautionneusement couchée aux côtés du petit veau.

La vache s’est éloignée et rejoint très lentement un point d’eau à l’autre bout du pré.
C’est une vieille baignoire alimentée par une citerne d’eau de pluie.
La citerne est vide, il reste un peu d’eau au fond de la baignoire.
La vache a terriblement soif.
Elle a confié son petit veau à la jument et s’avance résolument vers la baignoire..
La jument surveille.

Mignonne se lève pour laisser la vache reprendre sa place et retourne à l’autre bout du pré.

Je suis très impressionnée par le spectacle que je viens de voir.

Papa Maman, Mignonne a remplacé la vache!
Mignonne a donné son eau!

 C’est le triomphe de la générosité et de l’attention sur l’indifférence .

Lorsque la bêtise des hommes m’impatiente je me calme en me remémorant cette scène..

Mignonne m’a transmis le message essentiel de prendre le temps de regarder et d’écouter l’autre.

 

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Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par delà le soleil, par delà les éthers,
Par delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins;

Celui dont les pensées, comme les alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes!

                                               Baudelaire: Les Fleurs de mal, III