Célébration de la naissance – 1664 -Jan Steen

Jan Havickszoon Steen (1626-1679)

 

Célébration de la naissance

1664
Huile sur toile
Dim 89 x 109 cm

Conservé à Londres, à la Wallace Collection

 

Le peintre

Jan Steen est un peintre néerlandais du siècle d’or.

Il est né à Leyde en 1626 dans une famille de brasseurs.
En 1649, après son mariage, il entre au service de son beau-père, le peintre paysagiste jan van Goyen à la Haye et se consacre à la peinture de genre.
En 1654, parallèlement à son activité de peintre, il tient une brasserie à Delft. Jan Steen sera tour à tour brasseur, aubergiste ou peintre suivant les villes qu’il habite et les difficultés qu’il rencontre.
En 1660, il s’installe à Haarlem où pendant dix ans son activité picturale est florissante (scènes moralisatrices, sujets bibliques et mythologiques).
En 1670, il retourne vivre à Leyde dans la maison familiale héritée de son père. Il obtient l’autorisation d’ouvrir une nouvelle taverne.
Tout au long de sa vie d’artiste, les tavernes et les brasseries auront été des lieux d’observation pour le peintre et une source d’inspiration pour ses tableaux.
En 1679, il décède à l’âge de 54 ans.

 

Le tableau

C’est une peinture de genre. Son sujet est pris dans la vie quotidienne.
C’est une fenêtre réaliste sur la vie au XVIIe.

Ce tableau représente des personnages types plutôt que des individus, comme dans le théâtre de Molière, c’est une comédie humaine.
Le tableau est conforme aux conventions et en dénonçant les travers humains, il véhicule une morale en symbiose avec les goûts et les intérêts des collectionneurs de l’époque.

 

Composition

Une foule de personnages est représentée dans une ambiance de joyeux désordre dans un intérieur bourgeois.

C’est une composition harmonieusement équilibrée, structurée par un entrelacement de diagonales qui orchestrent le rythme du tableau.

Trois plans :
Au premier plan le sol dallé, jonché d’ustensiles et de nourriture.
Au second plan, occupé au centre du tableau, par une grande table nappée de blanc autour de laquelle sont regroupés les personnages.
Ce second plan est borné sur la droite du tableau par l’âtre d’une grande cheminée au manteau de bois sur lequel est alignée une collection de plats en étain ; sur la gauche du tableau par le lit de l’accouchée.
Au troisième plan, le mur du fond de la pièce avec en son centre une porte vitrée, distribue à gauche les boiseries du lit dans lequel est allongée l’accouchée et, à droite, une étagère en partie haute sur laquelle sont posés et accrochés divers ustensiles de cuisine en étain.

Le dallage du sol au premier plan, donne la profondeur au tableau. Il  s’enfonce  dans la pièce en suivant les lois de la perspective.

Le héros du tableau, le bébé est mis en valeur par l’intersection de deux grandes diagonales, l’une part du coin inférieur gauche du tableau, passe par le coude de la servante de dos et l’épaule du personnage de profil au fond du tableau ; l’autre du coin inférieur droit du tableau, passe par le col de la cruche posée sur le sol au premier plan, la main quémandeuse de la servante et le bébé emmailloté dans un lange rouge.

La source de lumière éclaire le tableau de face, elle s’attarde sur les drapés des tissus, se reflète sur l’étain des ustensiles de cuisine.
Steen manipule la lumière avec dextérité en travaillant le rendu subtil des textures.

Steen se sert de la couleur, il crée une atmosphère chaude avec une gamme chromatique de bruns et de terre de sienne, éclairée par les blancs des coiffes, des tabliers et de la nappe ; le rouge choisi pour le lange du bébé, tranche sur la palette des couleurs employées et, disséminé en plusieurs points de la composition participe à l’ambiance de fête joyeuse du tableau.

 

Analyse

La Célébration de la naissance est ouvertement moralisatrice.

Le but du peintre est de donner une leçon de morale tout en restant léger et jovial.

Cette œuvre célèbre la naissance de l’enfant, emmailloté dans un lange rouge et placé dans les bras de son père.

Jan Steen est le peintre de la condition humaine.

Steen montre des personnages conversant de façon animée, riant et buvant dans une pièce où une femme vient d’accoucher.

La plupart des protagonistes sont des femmes, les hommes, y compris le père, n’étaient généralement pas convié à ce genre de réjouissances, ils ne servaient qu’à fournir l’argent nécessaire à la célébration.

Steen inverse les normes de la vie de famille dans cette scène chaotique, comique et heureuse.

Le peintre ne relate pas un récit, chaque personnage tient son rôle propre :

La servante vue de dos tire un fauteuil habillé de rouge, pour inviter le maître de maison à s’asseoir.

La diagonale induite par le berceau au premier plan à gauche de la composition conduit le regard jusqu’à l’accouchée, allongée dans un grand lit (le bois du lit occupe toute la partie gauche du fond du tableau) ; à son chevet deux femmes, l’une est assise de dos et l’autre un bol à la main lui tend une cuillère de breuvage.

En amorce, contre le berceau, une femme est assise de profil, elle tient un verre à la main, un tablier posé sur son ventre dissimule sa grossesse ; une grande femme debout dans son dos, se penche vers elle, son sac au bras, de sa main libre, elle désigne l’accouchée, comme pour dire « tu vois ce qui t’attend – ou bien, ce n’est pas une bonne idée de boire ».

Les personnages attablés en bout de table, ont leurs visages tournés vers le père, leurs regards goguenards sont pleins de sous-entendus.

La jeune-femme plantureuse à droite de la composition qui tend la main en riant pour demander de l’argent est probablement la nourrice, elle est occupée à mélanger le sucre, versé par une servante penchée à ses côtés, dans un chaudron.

Celle qui sollicite le père, en posant sa main sur son bras doit être la sage-femme en attente de son argent.

Le père est âgé, il tient maladroitement le nouveau-né tandis qu’il cherche de la monnaie dans sa bourse et, il a de bonnes raisons de se sentir mal à l’aise :

Le tableau est parsemé d’indices comme autant d’allusions moqueuses à l’impuissance sexuelle et sociale de l’époux.

Jan Steen s’appuie sur un langage symbolique, pour interpeller le spectateur.

À l’arrière-plan, dans l’axe du tableau, un jeune-homme moqueur (un autoportrait du peintre) tend deux doigts de sa main pour former des cornes de cocu derrière la tête du bébé. Le spectateur déduit que le jeune-homme est le père biologique de l’enfant et que l’homme portant le bébé est le père officiel.

Cet excès de comportement souligne le ton grinçant de la scène.

La saucisse dans la cheminée est une référence sexuelle.

Les coquilles d’œufs répandues sur le sol sont lourdes de sous-entendus – l’expression « casser des œufs dans la poêle » désignait l’acte sexuel.

Le père officiel est identifiable grâce à son chapeau qui est une coiffe typique portée par les nouveaux pères, un Kraamherenmuts.

Son tablier, ainsi que les clefs et la bourse à sa ceinture – symbole des taches généralement dévolues à la maîtresse de maison – insistent sur ses défaillances.

Le chauffe-lit au premier plan est une preuve de l’échec du mariage.

La bruyante fête de Steen contraire à la norme est franchement cocasse.
Comme dans la littérature humoristique, en accentuant le grotesque de la situation, Steen renforce en réalité un idéal :

En peignant un mariage entre le mari et la femme cahoteux, Steen condamne le mode de vie dissolu et souligne l’importance d’un bon mariage.

Steen dans cette composition, déforme l’image convenable donnée par d’autres artistes des célébrations des naissances.
Comme le montre le tableau réalisé vers 1700 par Matthijs Naïveu :
Visite à la nursery

Au XVIIe, la plupart des scènes familiales et domestiques néerlandaises sont représentées aussi bien sur le mode sérieux que sur le mode comique. Les versions sérieuses illustrent généralement des idéaux de la classe moyenne et les scènes burlesques illustrent de façon négative, certaines convenances.

Et tout en exaltant un idéal, elles constituent une échappatoire temporaire aux contraintes engendrées par le conformisme.

 

Conclusion

Steen était un peintre polyvalent, il a réalisé des tableaux mythologiques, religieux, des natures mortes et des portraits mais, c’est avec ses scènes de genre, populaires, révélatrices de la vie quotidienne, fourmillantes de détails savoureux et ironiques dont l’intention est souvent moralisatrice, qu’il a acquis sa renommée.

Pour appuyer mes propos, je vous montrerai demain dimanche, deux tableaux : Rhetoricians at the Window -1665 et The Merry Family –1668.

Son œuvre prolifique dépeint les travers humains avec humour, empathie et lucidité.

Suivant l’exemple de Brueghel au XVIe, Jan Steen est unanimement considéré comme un des plus fiers représentant de la peinture de genre néerlandaise.