Coing, chou, melon et concombre – 1602 -J.Sanchez Cotán

Juan Sanchez Cotán (1560-1627)

 

Coing, chou, melon et concombre

1602
Huile sur toile
Dim 69,2 x 85,1 cm

Conservé au musée d’art de San Diego en Californie

 

La nature morte

Le XVIIe fut l’âge d’or de la nature morte. Le mot néerlandais stilleven apparait pour la première fois dans les inventaires vers 1650, et donnera l’anglais still life ; en Italie, on parlait de natura morta. Cette terminologie désigne une catégorie de peinture qui consiste à représenter des objets inanimés.

La nature morte en tant que genre se développa au milieu du XVIIe. Elle faisait école en Flandres, aux Pays-Bas, en France, en Espagne et en Italie. Le genre se révéla particulièrement populaire aux Pays-Bas, où les peintres se spécialisèrent en représentations de poissons, de gibier, de fleurs ou de tables chargées de victuailles. Ce degré de spécialisation résultat de la demande croissante, de la part de collectionneurs aussi bien aristocrates que bourgeois (les natures mortes sont également bien représentées dans les collections royales).

 

Le peintre

Juan Sanchez Cotán est un peintre espagnol, né à Tolède en 1560. Il peint à Tolède jusqu’en 1603. Date à laquelle il abandonne une situation sociale et matérielle tout à fait enviable pour devenir moine à 42 ans. Il se retire à Grenade dans un monastère chartreux où il poursuit son activité de peintre jusqu’en 1627, date de sa mort.

Les peintures religieuses forment l’essentiel de son œuvre mais, ce sont ses natures mortes qui le rendront célèbres.

C’est le début du XVIIe et Cotán peint des natures mortes austères, opposées à l’opulence de natures mortes flamandes. Il crée ainsi un genre nouveau appelé le bodegón.

Les bodegones sont très appréciées tout au long du XVIIe et XVIIIe.
Des peintres comme Zurbarán et Meléndez participent à ce succès.

 

 

Le tableau

Cette œuvre est une des premières du genre peinte par Sanchez Cotán.

Coing, chou, melon et concombre est la nature morte espagnole la plus célèbre, en raison de son extraordinaire simplicité.

Illuminés par une forte lumière qui les détache sur le fond noir emblématique de l’artiste, ces fruits et légumes constituent un tableau d’une virtuosité assumée.

 

 

Composition

Cotán délimite un cadre, peint un rectangle et décide du format de sa représentation, puis un second cadre plus petit, posant la base d’un « cube » sur laquelle il dispose ses objets. Il n’y a pas de limite dans la partie supérieure.

Cotán place les fruits et légumes en bordure du centre noir du tableau, calés sur un rebord de niche ou suspendus.

Les fruits et légumes sont un intermédiaire entre le spectateur et le fond noir qui engloutit l’espace de la composition.

Il n’y a pas de symétrie.
La disposition des fruits dessinent une courbe, une virgule, un élan.
Les aliments s’inscrivent dans une hyperbole à laquelle répondent les figurent géométriques dessinées par les ombres et la lumière : les triangles à droite du concombre et sur la tranche de melon, les sphères -ombres portées du melon et de sa tranche.

Le coing et le chou sont suspendus et entiers, le melon et le concombre sont posés. Le melon est entamé, sa coupe asymétrique oblige le spectateur à imaginer la tranche du melon comme une partie manquante du fruit.

Le seuil de la niche dans la lumière s’enfonce dans le noir.
Le concombre donne une indication quant à la profondeur du seuil.
Le melon parait énorme mais, comparé au concombre, il retrouve une taille de melon.
Le spectateur a une impression d’énormité pour le melon parce qu’il est placé plus haut que le seuil de la fenêtre.

Le spectateur a une vision en plongée.

Cotán travaille la profondeur du fond noir.
Les analyses techniques ont montré que Cotán a recherché un noir particulièrement riche et profond dans toutes ses natures mortes.

Avec le point de fuite absorbé par le fond noir, le spectateur perd la notion de distance par rapport à la niche. La surface frontale du lieu se confond avec le plan de l’image.

Le volume de la composition est annulé :
Où se situent les fruits suspendus ? Le coing est gros, le chou petit.
Le coing est plus près du spectateur que le chou.
Serait-ce un gros chou pendu au fond de l’espace et « repoussé » au-devant par le fond noir ? Ou un petit chou pendu au bord de la niche ?

Le second plan, l’intérieur de la pièce, étant réduit au noir, le mystère est entier.

La composition est traitée avec un puissant clair-obscur.

Le peintre se sert de la lumière et du noir pour sculpter ses légumes et ses fruits.

La lumière dont l’origine est hors cadre, provient de la gauche du tableau. C’est une lumière très intense, directionnelle, comme celle d’un projecteur. Elle éclaire avec une intensité incroyable le seuil en accentuant les volumes des fruits et des légumes alignés les uns à côté des autres. Elle cisèle les nervures des feuilles du chou, modèle la chair du melon et détache chaque grain du fruit, elle sculpte également les boursouflures du concombre

Le fond noir s’oppose spectaculairement à la mise en lumière des aliments.

Les fruits suspendus n’ont pas d’ombre portées sur le seuil.

La technique picturale est entièrement au service de la description la plus précise possible des couleurs, des textures et des volumes.

La gamme chromatique est sobre et respectueuse des objets représentés.
Les fruits sont peints avec une grande finesse et beaucoup de réalisme.

Les natures mortes de Cotán sont les plus illusionnistes de l’histoire des peintures de natures mortes occidentales.

Les traces du pinceau sont visibles sur le seuil de la niche. Le peintre peint l’aspect brut et froid de la pierre.

L’attention du spectateur est totale, le grand vide noir, envers de la vie et de la matière capte tout autant le regard que les fruits et légumes.

 


Analyse

Si elle était appréciée en tant qu’œuvre d’art, pour ses qualités de composition et d’exécution, et pour l’illustration de la réalité qu’elle donnait, la nature morte pouvait aussi véhiculer un sens moral ou spirituel compréhensible pour le spectateur de l’époque.

Sens moral
Ce tableau constitue une approche inhabituelle de la nature morte qui confère un naturalisme et une tension dramatique intenses à des objets ordinaires.

Les aliments sont représentés comme des objets pour la contemplation.

Le message de Coing, chou, melon et concombre serait : la vie centrée sur les plaisirs matériels est périlleuse et éphémère.

Ces fruits et légumes sont une mise en garde contre la gourmandise. Il faut fuir cet univers de tentations, marqué par la mort et le péché.
Les fruits sont présentés devant le spectateur comme ils furent présentés devant Adam, beaux et neufs.

La composition est à la fois gustative et visuelle uniquement pour le melon. Seul le melon entamé sollicite l’image mentale du spectateur avec le goût du melon sucré ; le coing le chou et le concombre entiers, ne participent pas à cet échange, ils n’ont ni goût, ni odeur.

Les fruits suspendus n’ont pas d’ombre portées sur le seuil.

L’incohérence des ombres et l’absence de repères spatiaux ajoutent au mystère.

Les fruits et légumes n’ont pas été présentés dans des corbeilles ou des plats mais sur la surface dure de la pierre. Leur disposition n’évoque pas l’univers de la cuisine comme le font les natures mortes hollandaises qui étaient vouées à orner les murs des maisons en donnant une impression d’opulence.

La restriction chromatique et le petit nombre d’aliments transporte le spectateur dans un monde d’intense concentration.

Sens spirituel
Cotán porte le langage de ses fruits et légumes dans les hautes sphères du spirituel.

Coing, chou, melon et concombre avec ses grandes dimensions et sa composition solennelle, invite le spectateur à une contemplation attentive, à la méditation.

Le fond noir évoque la nuit qui désigne la présence la plus pleine de Dieu.

Depuis les écrits de saint François d’Assise la nature est la Création de Dieu. L’interprétation mystique des fruits et légumes comme choses insignifiantes conduit le tableau sur le chemin de la piété monastique.

 

Et si Cotán avait peint cette nature morte hors des conventions symboliques de la peinture morale ou religieuse, juste pour peindre un trompe-l’œil ?
Dans ce cas ses natures mortes seraient isolées dans son œuvre.

L’interprétation de ce tableau est énigmatique.
Cependant Cotán s’est retiré dans un monastère chartreux à Grenade peu de temps après avoir peint ce tableau.

L’interprétation spirituelle serait donc celle à retenir.

Au XVIIe elle était logique, le spectateur était habitué à voir dans la nature un livre écrit par la main de Dieu.

Coing, chou, melon et concombre est une œuvre parfaitement achevée, incertaine voire contradictoire du point de vue du sens.

C’est un choix conscient du peintre : Les natures mortes de Cotán confrontent le regard à l’énigme d’une présence.

 

Conclusion

La nature morte incarne les préoccupations quotidiennes d’une opulente culture marchande.

Cotán dans la représentation de ses natures mortes utilise toujours le même cadre, la même lumière et propose des variations à partir des mêmes objets.

La facture est au service de la description sans affectation.

Le temps que le peintre a passé à observer et réaliser ses natures mortes a distillé en elle un silence sacré.

Les natures mortes de Cotán n’apprennent rien, elles montrent les choses.

C’est la puissance de la représentation qui met le tableau à distance en l’offrant au regard du spectateur.