Ixion – 1632 – Ribera

Ribera (1591-1652)

 

Ixion

1632

Huile sur toile
Dimension 220 x 301 cm

Conservé à Madrid au musée du Prado

 

Le peintre

José de Ribera est originaire de Valence. Il s’installe en Italie dans sa jeunesse. Il est à Rome en 1606, à Parme en 1611 et s’établit en 1616 à Naples, alors sous règne espagnol. Il vivra à Naples jusqu’à sa mort.

Ribera a construit son œuvre en s’inspirant des grands maîtres italiens, Raphaël, Michel-Ange, Corrège et Titien et, en étudiant les collections des sculptures antiques de Rome. Son naturalisme théâtral et sa maîtrise particulière du corps semblant dénoter une influence précoce de Caravage ; l’emploi du clair-obscur et d’une expressivité intense confèrent à son œuvre une grande force psychologique.

Ribera est espagnol, la tradition du dessin fait défaut en Espagne.
Ribera est reconnu en tant que dessinateur, il excelle à dessiner. Formé à l’école des italiens, il maitrise la technique de la gravure et de l’eau forte. Saint Barthélémy -1592

Chronologiquement, c’est le premier grand peintre de l’âge d’or espagnol du milieu du XVIIe.

 

Le tableau

Ce tableau faisait partie d’une série de quatre tableaux représentant les tortures de Sisyphe, Tantale, Tityos et Ixion. Deux toiles sont arrivées jusqu’à nous et sont accrochées au musée du Prado : Tityos et Ixion.

Pour avoir tenter de remplacer Jupiter dans le lit de Junon, Ixion -roi des Lapithes, père de la race des centaures, fut enchaîné à une roue en flammes tournant pour l’éternité.

Le supplice représenté s’inspire du récit d’Ovide.
Le bourreau-satyre est un apport de Ribera, il ajoute à l’horreur de la torture. Dans le récit d’Ovide, ce sont des femmes, les furies, qui sont chargées de torturer Ixion.

Les quatre œuvres de Ribera furent vendues à la marquise de Charela en 1634 et furent accrochées dans le palais de Buen Retiro à Madrid, où ils sont restés jusqu’au XVIIIe.

Le sujet était approprié au contexte puisqu’il affirme le pouvoir absolu de la dynastie régnante face à d’éventuels contestataires.

 

Composition

C’est une image violente.
Ixion est représenté attaché à la roue, tête en bas, le corps tordu et les muscles tendus.
La roue est à peine visible, des bouts de chaîne, sur la jambe et le poigné indiquent qu’Ixion est enchaîné à la roue.

La représentation est équilibrée entre le satyre et Ixion qui occupent l’espace de part et d’autre d’une diagonale d’ombre.

Cette diagonale découpe le tableau du bord inférieur gauche au bord supérieur droit et influe une grande dynamique à la composition.

Les deux figures plongées dans la pénombre, émergent du fond du tableau, éclairées par la source de lumière qui entre dans la composition par le coin inférieur droit.

Les gestes et les expressions des visages expriment l’atrocité du châtiment.

Le satyre a les oreilles pointues, il porte des cornes et sa bouche ouverte pousse un immense cri silencieux.

L’attention du spectateur est magnétisée par le visage bestial du satyre-bourreau qui le fixe.

Les corps renvoient les lumières et les ombres qui sculptent les musculatures et les expressions.

Ribera sait dessiner et a une profonde connaissance de l’anatomie du corps humain.

La gamme chromatique se résume à des nuances de jaune et d’ocre, pour les peaux sur un fond noir travaillé avec du rouge (évocation des flammes) qui lui donne sa mouvance.

Ce puissant clair-obscur, ajouté à la position inversée d’Ixion, en le faisant surgir de l’obscurité, précipite le personnage sur le spectateur.

La lumière et la monumentalité des figures renforcent la tension dramatique du tableau.

 

Analyse

Ribera pousse le style baroque à ses extrémités en représentant les martyres.

Il peint des éléments iconographiques qui expriment l’atrocité et la souffrance.

Le peintre a le sens du drame, Les traits tirés et les corps contorsionnés expriment le plaisir  de Ribera à peindre la souffrance et les horribles tourments.

Pour Ribera les scènes de torture vont au-delà de la simple instruction morale.

Ribera transforme un évènement violent en un commentaire visuel

Il se sert de la lumière. Il découpe le visage du satyre dont les traits crispés accentuent le cri atroce.

Ribera travaille le mélange du brut et du raffiné, à savoir le contraste entre l’émotion et la raison, la créativité et la rationalité.

Cette opposition est personnifiée par les corps d’Ixion et du Satyre. Ribera représente la douleur avec des attitudes de corps tordus, avec le cri qui exprime le cruel désespoir, avec les couleurs, avec les regards.

Le peintre transforme la peau d’un objet passif en un sujet actif en la transformant en une surface à la fois corporelle et picturale, sollicitant le toucher et la vue.

Ribera sait exprimer la douleur et transmettre au spectateur l’angoisse et l’horreur. Il mêle les arts de peindre et de sculpter et associe les sens du toucher et du spectacle.

Ribera est fasciné par la vie de saint Barthélemy écorché vif et décapité pour avoir refusé d’honorer les Dieux païens, en 1592

En 1637, Apollon et Marsyas illustre l’histoire du satyre Marsyas qui a défié Apollon à un concours musical. Apollon puni le satyre en l’écorchant vivant. Dans ce tableau le peintre joue sur le contraste entre l’expression du visage déformé par un rictus de douleur et le calme et la sérénité du visage d’Apollon.
La morale du tableau est une mise en garde contre les dangers de l’orgueil.

Si les représentations iconographiques ont un sens conforme aux principes du peintre et du commanditaire –Ribera adapte toujours sont style au sujet de son tableau.

En revanche, le symbolisme de l’image est intimement lié à la perception de l’image par l’intellect du spectateur.

Cette perception évolue avec les époques et les régions.

En représentant les martyres des saints chrétiens et les châtiments divins antiques dans les années 1630, Ribera réalise des tableaux dont les images affectent autant le corps que l’esprit du spectateur du XVIIe.

À la fin du XVIIIe, Lord Byron et au XIXe, Théophile Gautier, promulguent les tortures sombres, tordues et sanglantes des martyres et des dieux de Ribera.

 

Conclusion

L’art espagnol consacre peu d’œuvres inspirées de la mythologie, les artistes travaillaient pour l’église et le Roi.

Les textes des châtiments antiques sont populaires en Occident, à partir du XIIe, les supplices infernaux furent transformés en allégories des péchés capitaux chrétiens. Ainsi Ixion était identifié avec la débauche, Tityos est devenu la personnification de la lubricité, Sisyphe est associé à l’orgueil et Tantale s’est transformé en allégorie de la cupidité et de l’avarice.

Ribera a sûrement vu le tableau de Titien : Le supplice de Marsyas –1570-76.

Les supplices des quatre damnés sont très populaires dans les tableaux européens du milieu du XVIIe.

Si la série des quatre damnés frappe par son réalisme, c’est avec le châtiment de Marsyas en 1637 que Ribera culmine dans son art.