Jane Avril dansant -Henri de Toulouse-Lautrec

Henri  de Toulouse-Lautrec (1864-1901)

 

Jane Avril dansant

1892
Dim 85,5 x 45 cm
Huile sur carton

Conservé au musée d’Orsay

 

Toulouse-Lautrec doit son infirmité à une maladie, la pycnodysostose (qui rend ses os fragiles). Suite à un accident de vénerie qui brisa ses deux jambes, Il restera nain. Après son accident, au repos forcé, il commence à peindre. À son arrivée à Paris, il immortalise les filles publiques et avoue « j’ai enfin trouvé des dames à ma taille ».

Comme la Goulue et la clownesse Cha-U-Kao, Jane Avril appartient au monde de la nuit et du spectacle. Danseuse au Moulin Rouge puis, aux Folies Bergères, Jane Avril est à part dans le monde nocturne de Montmartre.

Elle danse sans se déshabiller, étrange, mystérieuse et gracieuse.

Pour elle, Toulouse-Lautrec délaisse la sensualité de la Goulue.
Il la regarde et la montre telle qu’elle est quand elle danse avec une énergie et une distinction qu’on retrouvera plus tard chez Marlène Dietrich.

 

Le sujet

La scène se passe dans un cabaret, sur une piste de danse, une danseuse élégante et mystérieuse, exécute un pas de danse, entièrement dissimulée sous une ample robe.

 

Composition

C’est une composition particulière :
Le spectateur est confronté au sujet avec un angle de vue en contre-plongée.
La danseuse est représentée sur le devant du tableau.
Son physique singulier, sa silhouette longiligne avec ses jambes en mouvement occupe les trois-quarts du carton.

Le second plan vide, crée une impression d’espace entre la danseuse et le public.

On observe un jeu de diagonales figurées par de grands traits verts et blancs peints en aplats  au sol, doublés par une large diagonale jaune moutarde qui figure probablement un gradin le long de la piste de danse. En écho le quart du carton qui n’est pas occupé par la danseuse n’a pas été peint. (Il figure l’espace).

Toulouse-Lautrec choisi cette mise en scène -qu’on retrouve dans les estampes japonaises (notamment celles d’Utamaro XVIIIe) pour conduire le regard du spectateur jusqu’au fond du tableau et attirer notre attention sur les deux personnages, un homme et une femme probablement assis dans une loge.  L’absence de réelle perspective annule la notion de distance et d’échelle de grandeur, peut-être sont-ils debout ?   Tous les deux sont chapeautés, ils appartiennent clairement à la classe bourgeoise. Leurs silhouettes droites et altières font ressortir l’excentricité de la danseuse.

Jane Avril est vêtue d’une ample robe blanche, à la fois vaporeuse et austère.
Ses parures se résument à son petit chapeau noir, deux bagues qu’elle porte à la main gauche et un trait de rouge à lèvre.
Seuls le visage et les mains sont nus et visibles au spectateur.
La robe enserre son cou et descend jusqu’aux chevilles ; elle est maintenue à la taille par une large ceinture verte, les manches en voile sont resserrées aux poignets.
Jane porte des ballerines à petits talons et des bas noirs qui fusellent ses longues jambes. Nous apercevons une jarretière.
La robe est une armure pour se protéger des regards.
Toute l’attention du spectateur-voyeur se porte sur les jambes.
Jane nous les montre en relevant un pan de sa robe pour effectuer un pas de danse avec un jeté de jambe.

Toulouse-Lautrec réduit le spectre des couleurs traitées en larges aplats et petits traits.
Les dégradés de vert construisent le tableau : En quadrillant ses taches de couleurs vertes blanches et jaune-moutarde, il crée du volume.
Ses petits coups de pinceaux rapides traduisent l’énergie.
L’ample masse de couleur plus claire de la robe est nerveusement surligné.

Cette facture retranscrit l’élégance de la silhouette et l’envolée du jeu de jambes de la danseuse.

Nous sommes à l’intérieur d’un cabaret, la source de lumière est artificielle mais, aucun indice nous permet d’affirmer d’où vient la lumière.
La lumière vient de la couleur.
L’intensité du noir des jambes et du chapeau fait ressortir la luminosité de la scène et met en évidence la robe et le teint blafard de Jane Avril.

 

Analyse

Toulouse-Lautrec tente de nous faire passer un message : le peintre conçoit le tableau comme un outil de communication.

Toulouse-Lautrec fixe la vie nocturne.
Le tableau est un témoignage du monde du spectacle.

Le succès du tableau tient dans ce qu’il nous donne à voir.
Toulouse-Lautrec apporte une inventivité dans ses compositions.
Il impose une vision forte. Jane Avril envahit le premier plan, elle est cadrée serrée et en contre-plongée.

Deux éléments du contexte culturel nous aident en comprendre le tableau : l’influence de la photographie et des estampes japonaises.

Le fait de représenter Jane de très près implique le spectateur qui en espère un peu plus. On ne voit pas tout et cela sollicite l’imaginaire.

Le traitement de Jane Avril est contraire à ce que l’on a l’habitude de voir. Généralement les représentations des danseuses sont vulgaires, axées sur le sexe.

Dans cette œuvre Jane est juste dans l’énergie d’un pas de danse.
Il y a une certaine solitude autour d’elle, avec une dose de mystère et d’élégance.

Pour faire passer son message, Toulouse-Lautrec utilise des procédés spécifiques :
Un angle de vue, une lumière.

Il traite la peinture à l’huile comme si c’était du pastel.

Toulouse-Lautrec peint sans moralisme et sans sentimentalisme.

C’est le regard d’un peintre qui raconte ce qu’il voit mais qui ne porte pas de jugement.

Il met en évidence l’amour et le respect qu’il a de Jane Avril et des femmes en général.

Jane Avril illumine le tableau de sa présence.

 

Conclusion

Jusqu’à la mort du peintre, Jane Avril restera son amie. Il y a entre eux une proximité plus forte que l’union des corps.

Toulouse-Lautrec l’a vue, la peinte, a saisi ses ondulations, son jeu, sa tragédie.

Disciple de Manet et de Degas, influencé par les estampes japonaises, il peint des tableaux dessine des affiches et réalise des lithographies.

Adepte de l’absinthe, Toulouse-Lautrec passe son temps dans les cabarets et les théâtres, ce monde devient le sujet de ses tableaux.

Il travaille les techniques de peinture de façon inhabituelle, de ce fait il est difficile de l’associer à un style.
Toulouse-Lautrec a sa propre signature graphique.

Malgré sa courte vie, il livre 737 peintures, 275 aquarelles, 361 lithographies et plus de 5000 dessins.

En étroite relation avec Van Gogh et Félix Vallotton, Toulouse-Lautrec participe pleinement au climat artistique parisien qui cherchait à dépasser l’Impressionnisme.

Il oriente ses recherches vers une peinture capable de fixer, avec une grande stylisation, les personnages caractéristiques.

Toulouse-Lautrec est aujourd’hui considéré comme un précurseur de l’Expressionnisme.