La calomnie d’Apelle – 1495 Sandro Botticelli

Sandro Botticelli (1445-1510)

 

La Calomnie d’Apelle

1495
Tempera sur bois
Dim 62 x 91 cm

Conservé à Florence au musée des Offices

 

Le peintre

Fils d’un tanneur florentin, Sandro Botticelli honora des commandes du pape, à Rome, et travailla pour les Médicis à Florence. Mais il tomba en désuétude de son vivant avant de retrouver une gloire posthume au XIXe.

Alessandro di Mariano Filipepi doit son surnom « Botticelli » (petit tonneau) à son frère aîné Antonio, orfèvre qui lui enseigna les rudiments de son art. À l’adolescence il entra en tant qu’apprenti chez Fran Filippo Lippi. Après sa formation, il travailla avec le peintre et graveur Antonio del Pollaiuolo, dont il hérita le sens marqué de la ligne.

Botticelli touchait particulièrement les florentins érudits. Après avoir établi son propre atelier à Florence en 1470, il mena une carrière brillante en honorant des commandes pour les grandes familles de la ville, dont les Médicis. En 1481, il fut l’un des quatre maîtres convoqués à Rome par le pape Sixte IV pour décorer la chapelle Sixtine d’une série de fresques relatant des épisodes de la Bible validant l’autorité du pontife.

Botticelli réalisa trois grands tableaux : Les Épreuves de Moïse, Le Châtiment de Coré et La tentation du Christ.

De retour à Florence, Botticelli illustra L’Enfer de Dante. L’édition de 1841 de La Divine Comédie comprenait les dessins de Botticelli.

Lors de son séjour à Rome, en 1481-1482, il étudia la sculpture et l’architecture antiques, d’où la ressemblance de certains de ses personnages avec des modèles romains.

Botticelli transforma les dieux comme les héros et les créatures en leur conférant une certaine grâce et élégance stylisée.

 

Le tableau

La littérature antique et la mythologie étant deux éléments majeurs de la culture de la Renaissance florentine, Botticelli fut chargé de peindre des tableaux en très grand nombre traitant de ces thèmes.

La Calomnie d’Apelle est la dernière œuvre du peintre ayant pour thème un sujet profane.

Artiste grec du IVe av.J.C. Apelle fut le plus célèbre peintre de l’antiquité. Lucien, rhétoricien romain du IIe décrivit en détail cette peinture, exécutée après qu’Apelle fut injustement accusé par son rival Antiphile de complot contre Ptolémée Ier d’Égypte. Apelle fut d’abord emprisonné puis innocenté. Bien connu des florentins, le texte fut repris par l’écrivain et architecte Leon Battista Alberti dans son traité De la peinture.

Dans ce tableau, l’essentiel est dans les détails.

Botticelli a voulu recréer le chef-d’œuvre perdu en situant la scène dans un édifice antique.

Un jeune-homme nu, l’Innocence, est trainé devant le roi par les représentations de la Calomnie, de la Malice, de l’Escroquerie et de l’Envie. À gauche du tableau, se tient celle du Remord sous les traits d’une vielle femme qui se tourne vers la Vérité nue, une jeune-femme qui, de son bras droit levé, désigne la voute (le ciel).
L’esprit du roi est distrait par les figures de l’Ignorance et du Soupçon, qui murmurent de fausses rumeurs dans ses oreilles d’âne, tandis qu’il tend le bras (signe que sa parole va faire autorité), sa main rencontre le bras tendu d’un homme au visage dur, avec un capuchon sur la tête, la Rancœur.

Au centre la Calomnie est richement habillée, son regard insensible et froid, tourné vers la victime qu’elle tire par les cheveux. De son autre main elle tient une torche allumée. Deux servantes l’entourent, la Malice et l’Escroquerie, elles tissent un ruban dans sa chevelure.
Le bras tendu du roi croise celui de la Rancœur. Il est sur le point de prendre une décision, tandis qu’à gauche, la Vérité,  en appelle au jugement divin. Le Remord, près d’elle, a le visage d’une vieille femme grimaçante en toge noire, les bras croisés, tel un prisonnier. Son attitude de douleurs et de crispations est celle du remord.

La composition est gracieuse, le trait puissant dessine des figures élégantes au corps ondulants.
Les personnages sont tous emportés par un grand vent qui gonfle les étoffes et courbe les corps.
Seule la Vérité est épargnée. Isolée sur la gauche du tableau, la vérité est nue, mais elle n’est pas désirable. Les lignes de son corps ont perdu leur fluidité, la tresse des cheveux ne descend plus jusqu’à la hanche, la taille amaigrie a perdu sa grâce. Vers 1487, la prédication de Savonarole s’était déchaînée. Et Botticelli s’était détourné des plaisirs des sens.

Botticelli ne construit pas un espace rationnel. Il place ses personnages au premier plan, au centre, avec en toile de fond une architecture du XVIe ; une imposante loggia décorée de statues et de bas-reliefs rehaussés d’or, digne d’un décor de théâtre. Les trois d’arcades ouvrent sur un paysage lointain et un ciel bleu.

Le peintre associe un sujet mythologique à des thèmes familiers aux florentins.
Certains de ces thèmes ont fait l’objet d’une représentation antérieure, dont trois épisodes de l’histoire de jeune femme condamnée à être éternellement poursuivie et dévorée par les chiens en châtiment de son orgueil et de sa cruauté.

Dans la voussure de gauche on retrouve Judith emportant la tête d’Holopherne, à l’extrême droite dans le bas-relief supérieur Judith dans la niche située derrière le roi et plus bas Judith revenant à Béthulie.
Certains sujets ont été différemment identifiés : Bacchus et Ariane ou Mars et Vénus.
En bas-relief, surmontant la statue de David ou de Thésée derrière la silhouette brune du Remord, au centre Saint Georges ou Mars, directement inspiré de Filippo Scolari -capitaine hongrois d’origine florentine, l’un des « hommes illustres » peint à fresque, vers 1450, par Andrea del Castagno à la villa Carducci de Legnaia (conservé aujourd’hui aux Offices).
Sur le socle du trône, Botticelli a représenté un autre tableau : La famille du centaure de Zeuxis.
La Vérité pointe le doigt, vers le haut, en direction des caissons de l’arcature, sur les scènes de La mise à mort de Vénus telle que Botticelli l’avait peinte quelques années plus tôt dans les panneaux de l’Histoire de Nastagio degli Onesti.

Le drame représenté se joue sous les yeux des statues qui semblent observer et commenter la scène qui se déroule à leurs pieds.

« Certains auteurs pensent que Botticelli avait choisi le thème de la Calomnie pour stigmatiser les dénonciations mensongères dont il avait été victime auprès de Pierre de Médicis ; d’autres y voient une allusion aux détracteurs de Savonarole, excommunié en 1497 et condamné au bûcher l’année suivante ». Hypothèses avancées par André Chastel.

Le thème de La Calomnie d’Apelle est repris par plusieurs peintres de la Renaissance et diffusé  par l’intermédiaire des gravures. Parmi eux, Dürer, Mantegna, Luca Penni, Giovanni Battista Moroni et Federico Zuccaro.

Conclusion

L’œuvre de Botticelli a été qualifiée de poésie visuelle et comparée aux versets d’amour de Pétrarque et aux poèmes composés dans ce style par Laurent de Médicis.

Au début du XVIe avec l’évolution des goûts et l’avènement du maniérisme, l’œuvre de Botticelli perdit de son aura.

Durant les dernières années de sa vie il réalisa peu de peintures, et ce n’est qu’au XIXe qu’il ressurgit en tant que maître du quattrocento grâce au critique d’art John Ruskin, adepte de son rythme linéaire.