La danse aux mouchoirs -Théodore Chassériau

Théodore Chassériau (1819-1856)

 

 Danseuse marocaines – La danse aux mouchoirs

1849
Huile sur bois
Dim 32 x 40 cm

Conservé au Louvre

 

Théodore Chassériau fait partie des représentants du classicisme romantique

1819 Naissance à Saint Domingue en Amérique du Sud
1830 Son maître est Jean-Dominique Ingres.
1840Il rend visite à Ingres à Rome
Les années suivantes Chassériau est de plus en plus influencé par Eugène Delacroix.  Chassériau a deux maîtres à penser au style fort opposé, Ingres et Delacroix
1846 Chassériau fait un voyage de deux mois à Alger. L’orientalisme aide le peintre à faire sa percée artistique. Outre les scènes orientalistes, de nombreuses fresques réalisées pour les églises parisiennes constituent son œuvre.
1849 Chassériau obtient une grande partie de ses commandes du gouvernement français qui lui décerne l’ordre de la légion d’honneur.
1856 Théodore Chassériau meurt à paris à l’âge de 37 ans.

 

 

Introduction

Avec la conquête de l’Algérie en 1830, les échanges, missions et voyages officiels se multiplient. Le gouvernement français encourage les artistes à s’y rendre afin de faire connaître ce pays à travers les œuvres que les peintres exposeront au Salon annuel.

Des artistes comme Eugène Delacroix (1798-1863), Eugène Fromentin (1820-1876), Théodore Chassériau (1819-1856) ou Gustave Guillaumet (1840-1887) apportent une vision où s’exprime leur fascination et leur engouement pour ce pays.
Les cités d’Orient sont accueillantes pour les artistes. Les voyages s’organisent facilement à partir d’Alger, d’Alexandrie ou de Constantinople.
Les peintres réalisent des esquisses ou des aquarelles pendant leurs expéditions et conçoivent les œuvres définitives dans leurs ateliers, à leur retour en France.

Pour améliorer la qualité de leur travail en atelier, les peintres collectionnent des objets exotiques et des costumes locaux qui leur permettent de peaufiner les détails de leurs œuvres.

 

DescriptionComposition

Le tableau se compose en trois plans, trois cercles et une ligne serpentine

-Premier plan : Le cadrage est resserré autour des deux femmes qui dansent au milieu du tableau. Sur le côté gauche du tableau sont regroupées trois femmes assises. À droite du tableau un homme est assis en tailleur.

-Second plan : au centre du tableau, le musicien assis en tailleur joue du tambourin, deux hommes debout derrière l’homme assis à droite, regardent comme lui, les danseuses.

-À l’arrière-plan une architecture de cour intérieure déploie les arcs de cintre de ses colonnes.

Les danseuses s’inscrivent dans un cercle formé par un groupe d’hommes et de femmes dont la plupart sont assis en tailleur
Le cercle des personnes assises fait écho aux cercles formés par les arcs de cintre des arches à l’arrière-plan et celui formé en reliant les mouchoirs qui virevoltent autour des visages des danseuses. Ce cercle aérien et suggéré imprime une grande sensualité au tableau.

Le peintre dessine une ligne sinueuse qui épouse le mouvement de la danse en partant de la danseuse de gauche (au premier plan) en passant par le musicien (au second plan), la danseuse de droite (au premier plan), l’homme debout en gandoura verte (au second plan) et se terminant sur la chemise bleue de l’homme assis (au premier plan).

La lumière arrive du haut et de la gauche du tableau.
Elle est figurée par une grosse tache jaune qui dégouline du mur.
Elle éclaire les danseuses et les motifs du tapis au sol qui occupe le premier plan du tableau. Ce tapis donne de la profondeur à la représentation, comme l’épaisseur du pilier central légèrement déporté sur la gauche du tableau.
Les mouchoirs jouent également ce rôle. Les danseuses les tiennent dans chacune de leur main, quatre mouchoirs brodés d’or et d’argent. Ils encadrent les visages des danseuses et subliment leurs gestes.

Le peintre se sert des couleurs pour mettre en valeur ce qu’il veut faire ressortir de sa représentation : les danseuses, le musicien, l’homme debout en gandoura verte et l’homme assis portant une chemise bleue sous sa gandoura blanche.
Pour mettre en avant son premier plan, ses danseuses et leurs atours, Chassériau a choisi de grisé son arrière-plan et les femmes assises à gauche de son tableau les rendant ainsi plus ternes.

L’influence de Delacroix

Elle ressort dans son emploi impulsif des couleurs et dans la grande attention que le peintre accorde aux costumes des danseuses.
Elles sont vêtues de robes de soie rebrodées d’or. Les couleurs sont chatoyantes, bleue et or pour la danseuse de gauche, rouge pour la danseuse de droite. Ces robes sont marquées à la taille par des ceintures de tissus brodés d’or et d’argent. Elles ont des manches courtes soulignées par des festons de soie d’une couleur complémentaire à celle de la robe.
Les bras des danseuses ainsi dévoilés sont couverts de bracelets qui tintent avec la musique. La danseuse habillée de rouge porte également des boucles d’oreille à anneaux. Tous les bijoux sont en or. Seules quelques mèches de cheveux s’échappent de leurs coiffes, un chèche blanc pour la danseuse en robe bleue et or, enrubannée de soie pour la danseuse en robe rouge.

L’influence d’Ingres

Les cheveux ainsi retenus mettent en évidence leurs beaux visages.
Leurs purs profils est un héritage du langage néoclassique acquis par Chassériau dans l’atelier de son maître.

 

Analyse

La femme orientale était au centre de l’intérêt des artistes et des intellectuels du XIXème et ses représentations fascinent les regards et les plumes.

Théodore Chassériau représente des spectateurs admiratifs dans son tableau
La danse aux mouchoirs. Les danseuses semblent se mouvoir en transe.

Commentaire de Théophile Gauthier :
« La danse mauresque consiste en ondulations perpétuelles du corps, en torsion des mains, en balancement des hanches, en mouvement des bras agitant des mouchoirs, la physionomie pâmée, les yeux noyés ou flamboyants, les narines frémissantes, la bouche entre-ouverte, le sein oppressé, le col ployé comme une gorge de colombe étouffée d’amour y représentant à s’y tromper le mystérieux drame de volupté dont toute la danse est le symbole ».

Les mythiques danses du ventre étant intimement associées dans l’imaginaire occidental à l’Orient.
La peinture orientaliste valorise la musique et la danse comme le plaisir ultime de la langueur du Levant
Les odalisques et concubines du harem étaient choisies pour leur beauté et leur aptitude au chant et à la danse.

L’attrait des peintres pour la danse s’explique aussi par la concurrence de la photographie : le long temps de pose ne permettant pas de photographier le mouvement.

Extrait de Voyage pittoresque en Algérie de Théo. Gauthier :
« Les mélodies frêles et chevrotantes sont comme des susurrements de la solitude, comme des notes du désert qui parlent à l’âme perdue dans la contemplation de l’espace : elles éveillent des nostalgies bizarres, des souvenirs infinis, et racontent des existences intérieures qui vous reviennent confusément ».

Beaucoup d’orientalistes continentaux du XIXème peignaient des danseuses dans des harems, comme s’il s’agissait d’une distraction habituelle.
Dans ce tableau on ne sait s’il s’agit de femmes du harem se produisant pour leur propre divertissement ou celui de leur maître, ou bien des professionnelles qui auraient été appelées pour une occasions exceptionnelle.

Nombres de peintres ne foulent jamais la terre d’Orient et ne voyagent qu’autour de leur chevalet en s’inspirant des récits de voyages faits par d’autres. C’est les cas d’Antoine-Jean Gros (1771-1835), de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867), de Francisco Hayez (1791-1882) ou de John Martin (1789-1854) qui sacrifient néanmoins à la mode orientaliste.

L’orientalisme est une construction occidentale qui date du XIXème.
Le mot orientalisme fut attesté par la langue française en 1799.

L’orientalisme est un regard porté sur l’ailleurs par des artistes qui n’appartiennent pas à cet ailleurs.

Perdre ses repères et découvrir : Le tableau doit convenir au goût du dépaysement du public.
Le seul public des tableaux orientalistes et un public occidental.
Un tableau orientaliste provoque chez celui qui l’observe un voyage par procuration.
Cet imaginaire de l’Orient s’articule autour de représentations véhiculées par la pensée occidentale dans sa quête d’une recherche de ses origines.

1ère interprétation :
Pour les hommes occidentaux, les femmes dans la peinture orientaliste représentent le « paradis perdu » parce qu’elles sont représentées captives, soumises, oisives et passives.

(En 1821 il y eut 320 procès-verbaux de femmes surnommées « les pétroleuses » parce qu’accusées d’avoir incendié les Tuileries et l’Hôtel de Ville de Paris.)

 

2èmeinterprétation:
L’oisiveté occidentale fait allusion au mode de vie des femmes de la haute société occidentale au XIXème. Une femme de la bourgeoisie devait mener une vie de loisirs loin des aspects du travail productif.
En peignant les traits d’une société éloignée c’est en fait les vices de leur propre société que les peintres orientalistes tendaient à dénoncer.

 

Conclusion

Au Moyen-âge, les croisades avaient permis de découvrir l’Orient.
En Europe, au XVIème, à Venise, les ateliers de Gentile Bellini, de Titien et de Véronèse peignent des sultans et des sultanes.
Mais c’est après que Bonaparte soit revenu d’Égypte en 1798, qu’un flux de peintures orientales se rependit en Occident.
L’exotisme sera utilisé comme synonyme de dépaysement.
La facilité pour se rendre dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient fit décliner l’intérêt pour l’orientalisme qui disparut progressivement malgré l’ouverture à Alger en 1907, de la ville Abd el-Tif, équivalent algérien de la villa Médicis.
Un renouveau apparut furtivement au XXème avec Majorelle, Klee et Kandinsky.
L’indépendance de l’Algérie en 1962 et la fermeture de cette institution sonneront le glas du courant orientaliste