La flûte de Pan – 1923 P.Picasso

Pablo Picasso (1881-1973)

 

 La flûte de Pan

 1923

Huile sur toile
Dim 205 x 174 cm

Conservé à Paris au musée Picasso

 

Le peintre

En 1881, Pablo Picasso naît à Malaga -en Espagne.
En 1896, il entre à l’école des beaux-Arts de Barcelone.
En 1904, il s’installe à Paris au Bateau-Lavoir.
En 1937, il peint Guernica.
En 1944, il adhère au parti communiste.
En 1973, il meurt à Mougins -en France.

Picasso est enterré dans le parc du château de Vauvenargues, aux pieds du massif de la sainte Victoire, chère à Cézanne.

Il est l’un des artistes majeurs du XXe.

 

Le tableau

Des clichés infrarouges du tableau pris dans les années 1990 ont révélé une composition initiale comprenant 4 personnages.
À l’origine, aux côtés des deux personnages se tenaient Vénus et Mars.
Mars sous les traits de Picasso et Vénus sous les traits de Sara Murphy, une américaine et maitresse du peintre.
Il semblerait que sa rupture avec Sara soit à l’origine du repenti qui transforma la toile en un tableau à deux personnages.

Ce tableau a été peint pendant la période classique de Picasso.

C’est une toile pierreuse et sculpturale qui exprime un sentiment de solidité et de tranquillité.

Dans cette représentation Picasso dialogue avec l’antique.


Composition

Sur une terrasse, deux baigneurs se découpent sur un fond de mer et de ciel.

Le jeune homme de gauche est debout immobile, ses yeux sont perdus dans le vague, dans ses rêveries.
Le jeune homme de droite joue de la flûte avec application.
On imagine le son de brise de la flûte.

La composition est délimitée à droite et à gauche du tableau par deux grands murs couleur de sable. Ils sont comme les montants d’une porte ouverte sur l’horizon. L’horizon de la mer, réduit à une ligne estompée.

Chacun des personnages est adossé à l’un des murs. Ils semblent suggérer par le positionnement de leur corps une perspective dont le point de fuite serait le milieu de la ligne d’horizon.

Les muscles des deux hommes ne sont ni saillants ni contractés. Pourtant ils ont des corpulences d’athlètes, de lutteurs aux corps trapus et aux mains épaisses.
Picasso évite de faire de ses personnages des nus académiques.

Le peintre choisit des costumes intemporels, les maillots en étoffe blanche rayée, ne permettent pas de situer la scène ni de la dater.

Les ombres sont courtes. Le soleil est à son zénith.
La lumière provençale est drue, puissante.
Elle tombe sur la toile et la façonne.

Tout est cadré, chaque couleur est à sa place.
Les formes sont nettement découpées, il n’y a pas de rupture entre les tons qui semblent tous obtenus à partir d’un même mélange de teinte.

Le coup de pinceau du peintre est un remplissage du plan de la toile.
Les touches sont larges et gommées.
Il n’y a pas de frottement énergique ni de dégoulinement.

Ces personnages font référence aux statues antiques.

 

Analyse

I- Picasso peint une subtile alliance entre force et tranquillité et mêle plusieurs éléments énigmatiques dans cette représentation de deux jeunes hommes en bord de mer.

 Force et tranquillité :
Pour cela il évite les angles trop aigus, trop pointus.
La planéité des murs, sans aspérités, ni relief et la légère déformation de la perspective, réduit l’espace à une atmosphère paisible, presque impalpable.

 La mer est plate, sans reflet, sans vaguelette, suggérée par une masse d’un bleu sourd, à peine plus foncé que le bleu neutre du ciel.
Il n’y pas de remous dans l’eau ni de nuages dans le ciel.

L’horizon de la mer, réduit à une ligne estompée mais parfaitement discernable, est un symbole d’éternité, d’infini absolu.

Les notes égrenées comme le temps qui s’écoule.
Le temps n’est pas suspendu, il est infini.

Le tableau est hors du temps, dans le temps de l’imaginaire, le temps des légendes.

Éléments énigmatiques :
Le tableau semble de prime abord évoquer la Grèce antique. Le garçon à gauche du tableau rappelle un kouros et la flûte dont joue le personnage à droite du tableau, renvoie à Pan, le dieu mythologique des bergers et musiciens.

Picasso exécute ce tableau à Antibes.
La lumière méditerranéenne et la plage  lui fournissent son décor .

Picasso manipule l’iconographie classique pour la fondre dans son style moderne. On observe les pieds massifs des personnages.


II-
Ce ne sont ni des corps ni des esprits, ce sont des êtres avec tout ce que ce terme comporte d’immobilité, de tranquillité et de silence.

 Après le choc de la première guerre mondiale, Picasso rejette la violence et la confusion en faveur d’un esprit classique de règles et d’harmonie. S’il reste ouvert au progrès et à l’innovation, il aborde ces thèmes de façon créatrice et non plus destructrice.

Chez Picasso l’évocation d’un esprit classique remonte non seulement à ses époques « bleue » et « rose » du tout début du siècle, mais aussi à ses créations pour Parade, le balai de Cocteau -1917. Ce ballet s’inspirait de la commedia dell’arte, populaire dans la France du XVIe et si le lever de rideau de Picasso sembla nostalgique et figuratif, ses décors et ses costumes s’avérèrent radicalement cubistes. Les personnages de la commedia dell’arte, tels Arlequin et Pierrot, devinrent une référence pour les peintres qui s’efforcèrent d’évoquer le passé. On pense à Derain et Fernand Léger.

Dans l’œuvre de Picasso, le classicisme devint une nouvelle facette de la modernité, comme le primitivisme l’avait été au cours de la décennie précédente.

Contrairement aux surréalistes, Picasso ne se servit pas de son style figuratif pour parodier et dénigrer la tradition, mais plutôt pour diffuser le mythe d’une France latine qui avait survécu aux horreurs de la guerre ou à la décadence bourgeoise.

Ce thème allait être de plus en plus complexe dans ses œuvres ultèrieures.

 

Conclusion

La référence à la musique traverse l’œuvre de Picasso de La flûte de Pan aux Joueurs de flûte -1970, en passant par les guitares cubistes et les décors des ballets russes.

Picasso avait le goût de s’immerger dans l’univers de la scène, son œuvre exprime son attachement aux musiques populaires et à leur dimension rituelle.

La flûte de Pan marque après le pouvoir du bleu, l’enchantement du rose et la vie en cube, son retour au classique.
Daté de 1922, Deux femmes courant sur la plage, le précède.

Après avoir casser tous les codes existants, Picasso revient aux sources.
Cette nostalgie, les historiens de l’art l’interprètent comme l’influence de la Guerre de 14.

D’autre part Picasso est célèbre et sa nouvelle vie modifie sa perception des choses, jusqu’à sa crise existentielle (1925-36) qui le conduira à changer de registre en optant pour le surréalisme.

Picasso est multiple, tour à tour, rebelle, nostalgique, torturée, heureux, conventionnel.

Ses œuvres marqueront l’histoire de l’art à tout jamais.