La montagne Sainte Victoire -Paul Cézanne 3

Paul Cézanne (1839-1906)

 

La montagne Sainte Victoire

1890

Huile sur toile

Dim 65 x 95,2 cm

Conservé au musée d’Orsay

Ce tableau appartient à la série des Sainte Victoire peintes du point de vue de
« Bellevue »

La Sainte Victoire est une montagne magique.
Cézanne en tomba amoureux. Elle fut son modèle préférée, sa muse.
Il l’a représentée sur 87 tableaux, 44 huiles et 43 aquarelles.

Dans les vingt dernières années de sa vie, Cézanne peint à Aix en Provence, là où il est né. La Provence est devenue son atelier, il se consacre entièrement à Sainte Victoire.

Cette continuité dans le sujet permet de suivre les évolutions picturales de Cézanne.
« Longtemps je suis resté sans pouvoir, sans savoir peindre la Sainte Victoire » écrivait- Il. « Parce que j’imaginais l’ombre concave … tenez, regardez, elle est convexe, elle fuit de son centre. Au lieu de se tasser, elle s’évapore, se fluidise. Elle participe toute bleutée à la respiration ambiante de l’air ».

 

Composition

L’axe de Sainte Victoire est dans l’axe du tableau, la montagne domine la toile.
J’ai choisi cette Sainte Victoire peinte en 1890 (soit dix ans après ces premières représentations) parce qu’elle marque un tournant dans la manière de peindre de Cézanne.
Les contrastes de clair et de sombre organisent la toile en trois plans.
-le premier plan est formé par le muret bordé d’une haie d’arbres en contre-bas de la terrasse.
-la plaine, barrée par l’aqueduc sur la droite du tableau, avec ses champs et ses maisons constitue le second plan
-la montagne au fond du tableau, majestueuse dans son écrin de ciel nuageux est le troisième plan

Au premier plan le bord du tableau est souligné par le parapet de la terrasse et délimité par les verticales des arbres aux feuillages verts.
La couleur verte est composée de nuances qui donnent vie aux arbres. Il y a un contraste fort entre l’ocre de la terrasse et le vert des arbres.
Le second plan est dominé par les touches horizontales des champs ocres et des prairies verdoyantes, de l’aqueduc et des toits rouges des maisons. Les couleurs sont complémentaires ; les teintes de vert, de bleu sont combinées à des touches rosées et des pointes d’ocre plus chaudes.
Cézanne joue sur les oppositions insufflant un ressenti de puissance et de mouvement.
Au troisième plan, une gamme de teintes bleues et roses qui superposées donnent du gris est utilisée pour la montagne. Les touches rectilignes et obliques sont dirigées vers le sommet. Les touches courbes, plus épaisses façonnent les flancs du massif. Cézanne intègre dans sa peinture les fluctuations de couleur de la roche. Il est captivé par la forme de la montagne qui capte la lumière pour s’habiller de couleurs changeantes.

Cézanne observe les effets de la lumière sur la nature et reproduit les couleurs qu’il voit.

« Je peins ce que je vois, ce que je sens et j’ai des sensations fortes » écrit-il.
Les couleurs dominantes de cette toile sont les couleurs favorites de Cézanne.
Le vert des arbres, le bleu du ciel, l’ocre jaune du rebord de la terrasse. À ses couleurs favorites il rajoute le rose pour peindre la montagne.
 

Analyse

Cézanne veut percer le secret de la montagne Sainte Victoire.
« …J’ai vu que l’ombre sur Sainte Victoire est convexe, renflée. Vous le voyez comme moi. C’est incroyable. C’est ainsi. J’en ai un grand frisson » écrit-il.

Dans ce tableau Sainte Victoire semble flotter aérienne dans la lumière du midi.

Cézanne place d’abord Sainte Victoire à l’arrière-plan de ses tableaux, comme dans le tableau représentant les marronniers du jas de Bouffan ou celui de ses baigneurs. Puis, il s’en rapproche et finit par la placer au centre de ses toiles.
Jusqu’où la représentation de sainte Victoire emmènera-t-elle Cézanne ?
Plus il avance dans ses tableaux plus il restreint l’effet de profondeur et réduit la précision descriptive. Sa façon de peindre évolue, les formes se simplifient, ce qu’il dessinait autrefois avec précision devient suggéré par son pinceau. 

Cézanne révolutionne la peinture et préfigure l’art abstrait.

Si sa carrière est marquée par le romantisme de Delacroix et le réalisme de Courbet, c’est le rapport à la nature qui domine l’œuvre de Cézanne.
Cézanne écrit en 1904 « On n’est ni trop scrupuleux, ni trop sincère, ni trop soumis à la nature. Mais on est plus ou moins maître de son modèle, et surtout de ses moyens d’expression ».

« L’ombre est une couleur comme la lumière, mais elle moins brillante ; la lumière et l’ombre ne sont qu’un rapport de deux tons »écrit Cézanne.

Restituer la réalité en couleurs et en lumières est le cœur de sa démarche.

Cézanne est considéré comme le père de la peinture moderne.

 

Conclusion

Entre la Sainte Victoire peinte en 1887 et celles réalisées en 1906, il y a des années de recherche autour des volumes et de la lumière ; autour de l’amplitude de la montagne et de la pesanteur de la roche.

La silhouette de la montagne parait monumentale parce que c’est la seule forme ample des tableaux composés par accumulation de mille touches de petite taille. Cette accumulation de sensations colorées dans les dernières Sainte Victoire est sans commune mesure avec les premières que Cézanne a peintes.

Cézanne écrit « On ne devrait pas dire modeler on devrait dire, moduler ».

Dans ses premiers tableaux Sainte Victoire est écrasée sous l’infinité du ciel. Dans les derniers, Cézanne peint les noces de la montagne et du ciel et confère à Sainte Victoire une dimension spirituelle.

…Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se
répondent…

BaudelaireCorrespondance.     (à retrouver sur l’étoile.                      « Impressions »)