La plainte de Cupidon à Vénus – 1525 Lucas Cranach l’Ancien

 

 

Lucas Cranach l’Ancien (1472-1553)

 

La plainte de Cupidon à Vénus

1525
Huile sur panneau de bois
Dim 81,3 x 54,6 cm

Conservé à la National Gallery

 

Le peintre

Lucas Cranach l’Ancien, originaire de Franconie, se forma auprès de son père Hans avant de s’installer à Wittenberg, capitale de l’électeur de Saxe, Frédéric le Sage, grand mécène des arts et des lettres.
Cranach l’Ancien est considéré comme le meilleur artiste de la Réforme. En tant que peintre officiel de Frédéric, il mena une carrière prolifique. Il réalisa des portraits de la famille régnante et de son entourage et peignit des images sacrées aussi bien que des œuvres mythologiques. Malgré la diversité de ses thèmes, influencé par Dürer et préférant un humanisme allemand aux inventions italiennes, Cranach possédait un style bien spécifique, conférant à ses figures un regard particulier et une expression maniérée.

Qu’elles soient contemporaines ou qu’elles représentent des déesses grecques, ses femmes étaient souvent minces, belles et sensuelles.

Dés 1508, Frédéric lui accorda des armes. Cranach les modifie en 1537, date à partir de laquelle, un petit serpent ailé portant un anneau dans sa bouche, figure sur toutes ses toiles.

Lucas Cranach est connu pour son abondante production de tableaux (secondé par un grand atelier où travaillaient ses deux fils). Il alterne des séries de portraits de commandes et de scènes mythologiques (Le jugement de Paris -1528, La crucifixion -1532, La vierge et l’enfant) ; et pour sa réussite matérielle.

Cranach et ses apprentis ont peint à partir de 1525 une importante série de Vénus et Cupidon.

 

Le tableau

Debout près de sa mère Vénus, Cupidon se plaint d’avoir était piqué par des abeilles en tentant de voler du miel.

Le sujet enjoué contient une morale :
Aux plaisirs de la vie se mêle la souffrance, enseignement du poète grec Théocrite dans son Idylle 19, traduite en allemand dans les années 1520.

Si ce tableau témoigne des connaissances antiques de la cour de Frédéric le Sage, la représentation de Vénus est caractéristique des beautés féminines souples et séduisantes de Cranach.

 

Composition

Les personnages sont représentés au premier plan.
Vénus est représentée en pied, de ¾ face, la tête penchée sur le côté, dans une attitude mutine. Elle regarde le spectateur, un sourire mystérieux sur les lèvres. Ses membres sont fins et allongés, sa poitrine est menue, ses cheveux blonds sont tressés et coiffés en chignon sous un chapeau de plumes. Elle porte un collier à trois rangs de perles et un voile transparent recouvre son corps.
À sa droite, Cupidon alias l’Amour (reconnaissable à ses petites ailes) et sans ses attributs (arc et flèches), tient dans sa main droite un rayon de miel, sa main gauche est sur son front. Son corps piqué par les abeilles, Cupidon pleure en regardant sa mère.

Le tableau est traité comme une affiche, il n’y a pas de perspective.
La composition est rythmée par deux lignes de force, deux verticales que sont les corps des personnages et l’arbre – légèrement décentré vers la gauche du tableau.
Les deux personnages du premier plan se détachent d’un fond noir matérialisé par un épais feuillage. On pense aux Vénus de Botticelli.

Derrière l’arbre, à gauche du tableau, dans l’obscurité du bois, un cerf (debout) et un âne (couché) observent la scène.

Sur la droite du tableau, un paysage rocheux miniaturisé détermine l’arrière-plan du tableau, l’espace est dans la lumière, surplombé par un ciel bleu.

Le fond noir met en valeur le rose pâle de la chair, le peintre a modelé le corps féminin à l’aide de fins dégradés de couleurs, la peau lumineuse a des reflets nacrés repris sur les fruits de l’arbre.
Les fruits accrochés aux branches de l’arbre couvrent le haut du tableau et brillent comment de petits lampions sur le feuillage noir -à gauche du tableau et sur le bleu puissant du ciel -à droite du tableau. On pense aux pommes de Pâris.

Dans cette représentation, la nature a un rôle décoratif et suggestif.

On remarque l’intensité des couleurs, le bleu saturé du ciel et, la précision du dessin, le peintre a cerné d’un fil noir les contours des corps, l’écorce de l’arbre, les petits cailloux du chemin sont représentés avec minutie tout comme le paysage et son reflet dans l’eau.
Les touches sont libres et spontanées, le rendu des choses est très précis et témoigne d’une grande maîtrise.

Il y a deux sources de lumière, une lumière éclaire le tableau de face, elle glisse sur les corps, chatoie dans les plumes du chapeau et fait vibrer les fruits ; une autre éclaire le fond du tableau. Le paysage tout entier se reflète dans l’eau-miroir permettant de dire qu’il s’agit d’une lumière zénithale.

Vénus est représentée selon les codes du Maniérisme avec une plasticité sinueuse et sensuelle.

C’est une œuvre caractéristique de la période de Wittenberg au moment où les thèmes mythologiques connurent une grande popularité.

 

Analyse

Dans sa Théogonie écrite au VIIe av. JC, Hésiode raconte que lors des combats des dieux, Chronos renversa et émascula son père, Ouranos, le ciel. Lorsque la semence de ce dernier se répandit dans les flots, la déesse de l’amour naquit de l’écume de la mer, fécondée par le ciel.
La féminité et la délicatesse ont été apporté sur nos rivages par un cadeau du ciel.
La naissance de Vénus est le symbole de la transmission de la beauté de l’ordre divin au monde des mortels.

 La plainte de Cupidon à Vénus : L’érotisme, comment Cranach dénaturalise le genre et construit un nouvel art.

Lucas Cranach est un peintre de la Renaissance et de la Réforme.
Il est également le peintre qui représente avec humour de charmantes scènes mythologiques.
Il a imposé en peinture, un nouveau type de personnages, une femme fluette, au regard effronté, coiffée d’un chapeau extravagant.

À l’érotisme du nu dans la représentation de Vénus, s’ajoute l’érotisme de la transgression des valeurs morales : Vénus nue, parée de bijoux est associée aux mésaventures de Cupidon. L’enfant souffre de piqûres d’abeilles qui l’ont attaqué alors qu’il tentait de dérober du miel.

La dimension érotique est la tension que construit le tableau entre la fable moralisatrice de Théocrite et l’attitude séductrice de Vénus.

La déesse arbore un sourire mutin et adresse un regard oblique au spectateur en ignorant les plaintes de Cupidon.

Avec son chapeau flamboyant et son riche collier, Vénus évoque plus une courtisane qu’une figure symbolique des vertus antiques.

Cette Vénus est ludique et séductrice.

Vénus dont la beauté plastique est suspendue dans l’imaginaire est une image de l’ambivalence esthétique : à la fois consciente du regard qui l’observe et, surprise dans un mouvement spontané.

Loin de l’anatomie des nus de la Renaissance italienne (inspirés des sculptures antiques), le corps de Vénus, seins hauts et menus, position légèrement déhanchée, membres allongés, représentée dans la dynamique d’une subtile torsion, s’avance vers le spectateur.

La Vénus de Cranach se désintéresse des larmes de Cupidon à ses côtés, elle regarde, éblouissante de fraîcheur et d’audace le spectateur.

Avec son voile arachnéen à peine discernable qui valorise sa nudité gracile, Vénus est son attitude, intangible et souveraine clarté du désir.

Vénus interroge le conflictuel rapport au désir que la représentation de la déesse incarne dans la peinture.

 

Conclusion

Lucas Cranach l’Ancien est un peintre moderne, un artiste allemand qui fut l’un des plus originaux de la Renaissance nord-européenne et qui fut intimement lié à la vie politique et économique de son temps. Homme d’affaire avisé il devint le plus riche bourgeois de sa ville.

L’ampleur et la diversité déroutante de l’œuvre de Cranach séduit, Max Ernst et Picasso lui vouent un culte sans limite.

En dehors des sujets religieux, le nu occupe une place centrale dans son œuvre.

Ses représentations ambigües mêlant érotisme et morale ont un grand succès ce qui l’incite à produire des séries.

Sa notoriété de peintre, sa proximité avec les cercles intellectuels, sa réussite dans les affaires économiques et politiques font de Lucas Cranach l’Ancien l’une des personnalités parmi les plus originales et les plus étonnantes du XVIe siècle européen.