Le Bain Turc -Ingres 2

Jean -Auguste-Dominique INGRES
(1780-1867)

Le bain turc 
1862
Huile sur bois
Diamètre 108cm
Conservé au Louvre

J-A-D INGRES

1780 Naissance à Montauban
1792 à 1797 son Père, peintre et sculpteur encourage ses penchants artistiques, le dessin et le violon. Il se forme à Toulouse à l’Académie des Beaux Arts
1797 Arrive à Paris et intègre l »atelier de David
1801 Remporte le prix de Rome
avec le tableau Achille recevant les ambassadeurs d’Agamemnon
1806 Ingres découvre l’Italie, Rome, Raphaël et le Quattrocento qui marquent définitivement son style. Il restera vingt ans en Italie.
1624 Présente au Salon à Paris un tableau qu’il destinait à la cathédrale de Montauban le : Vœu de Louis XIII. Ce tableau remporte un vif succès.
1835 à1840  Directeur de l’Académie de Rome
1855 à Paris à l’Exposition Universelle une salle entière est consacrée à ses oeuvres
1862 Participe à la vie politique en faisant partie du Sénat
1867 Meurt à Paris

Le tableau

Chef d’oeuvre de la fin de sa vie, cette toile est audacieuse dans le sujet et dans la forme. Ingres crée le tableau le plus érotique de son oeuvre avec une scène de harem associant le motif du nu et le thème de l’Orient.
Ingres donne libre cours à sa vision idéalisée d’un Orient rêvé.
Il s’inspire des lettres de lady Montague (1690-1680) qui racontent une visite d’un bain pour femmes à Istanbul au début du XVIIIe.
C’est Napoléon III qui commande cette scène de harem à Ingres vers 1848. Elle est livrée en 1859 mais rendue au peintre car elle choque la princesse Clotilde. Le peintre retravaillera le tableau jusqu’en 1863.

Description

Au premier plan une nature morte constituée de tasses, vases, soucoupes et fruits  basculent en une perspective étrange.
Devant la petite table le personnage principal offre son dos au spectateur, elle joue d’un instrument de musique. Tournée vers la scène, elle voit comme le spectateur, l’assemblée des femmes. La plus part sont étendues, d’autres debout écoutent le son de l’instrument à corde et le rythme d’un tambourin frappé par une femme noire enrubannée.
Dans ce moment suspendu, chacune a son occupation : l’une esquisse un pas de danse, une autre trempe ses jambes dans le bassin, une troisième se laisse tresser et parfumer les cheveux, un couple se taquine à l’aide d’une baguette.
Un désir indolent filtre à travers les corps qui s’effleurent et se caressent.
A l’exception de la musicienne qui nous tourne le dos, une vapeur enveloppe la scène. Un voile d’irréalité posé sur les figures alanguies les éloigne dans le temps comme dans l’espace.

Composition

La composition assemble les figures en deux groupes.
Dans le groupe du premier plan on observe le jeu des arabesques aux dépends de l’exactitude anatomique et de l’effet de profondeur.
Les femmes sont nues, dans un intérieur oriental s’organisant autour d’un bassin.Certaines s’étirent, d’autres s’assoupissent ou prennent du café. Au fond une femme danse.
Le format circulaire participe à cette douceur sensuelle qui se dégage du tableau. On entre dans une intimité qui est palpable.
Le spectateur regarde le tableau comme vu à travers un juda.
Ingres a assemblé dans ce tableau ses études de nus antérieures. Elles résonnent comme une symphonie formelle de lignes, d’arabesques et de courbes auxquelles répond le format en tondo de la toile.
Ingres peint une exaltation de la chair lisse idéalisée et de la fermeté du modelé. L’organisation du dessin est très dense.
La forme serpentine est la plus importante.
Le tableau s’orchestre suivant un schéma rigoureusement géométrique.
Une lumière dorée éclaire le dos de la femme du premier plan, le reste de la toile est éclairé par une lumière froide et tamisée qui a pour effet d’atténuer les modelés des figures et donner de l’importance aux lignes.
Quelques touches de couleurs forment une diagonale qui donne de la profondeur au tableau et délimite les deux groupes, celui du premier plan au centre droit et celui du second plan au centre gauche, le rouge de la nappe ainsi que le bleu du drap brodé au premier plan,  le jaune de la coiffe et le bleu de la serviette de la femme qui sort du bain au second plan.
Une autre couleur délimite une diagonale, le bord vert du bassin auquel répond dans la même perspective le bleu du vase dans une niche au fond du tableau. Une ligne virtuelle serpente du coussin bleu à droite en passant par l’éclat blanc du turban jusqu’à la couronne dorée d’une courtisane.
Ces touches de couleurs dynamisent le tableau et émeuvent.

Analyse

Par la nudité et les caresses que ses femmes se prodiguent entre elles, Ingres propose la peinture la plus érotique de son oeuvre.
Le
 Bain Turc est l’aboutissement des recherches picturales d’Ingres et la synthèse des dessins et peintures exécutés sur le thème de la baigneuse turque depuis 1807.
On reconnait La Baigneuse de Valpinçon au premier plan qui joue de la musique. Aucun n’a été réalisé d’après un modèle vivant.
La baigneuse alanguie au premier plan à droite du tableau serait une représentation de sa femme
(exécutée d’après un dessin après la mort de celle-ci).
Son art du dessin et de la couleur lui permet de révéler le caractère individuel de chaque modèle.
Ce n’est pas un tableau narratif.
Le tableau privilégie les sensations, le  spectateur participe à la langueur et à la satiété qui en émanent et se « fait son tableau » autant que le peintre.
Ingres équilibre la tension entre réalisme et idéal.

Interprétation

Au cours du XIXe les pratiques d’hygiène comme le bain se développent.
Si elles concernent d’abord une minorité issue des couches les plus aisées de la population, la prise de conscience pour la santé publique fait lentement son chemin.
Le bain reste un espace privé, une activité à laquelle on s’adonne chez soi. Cependant, les thermes connaissent un succès grandissant notamment sous le règne de Napoléon III.
Synonymes d’une certaine hygiène de vie ces bains publics réels ou rêvés ainsi que la manière dont ils sont représentés contribuent aussi à façonner une autre approche du corps et de la nudité.
Dans le contexte du bain, la nudité est déculpabilisée.

L’orientalisme se développe en France et en Europe  grâce aux campagnes d’Egypte de Napoléon. Cette mode se prolonge au XIXe en littérature avec Byron et V.Hugo au milieu du siècle. Ce goût pour l’Orient prend une nouvelle impulsion avec les voyages d’artistes comme Delacroix au Maroc.

Conclusion

Manet peindra son Olympia en 1863 l’année des dernières retouches dIngres sur Le Bain Turc .
Le grand public découvrira Le bain Turc après la mort du peintre en 1905 lors de la rétrospective sur Ingres et Delacroix au salon d’Automne.
Picasso, Matisse et Vallotton sont enthousiasmés.
Claudel est plus distant et qualifie le tableau « de galette d’asticots ».