Le serment des Horaces – 1785 – J.L. David

 

Jacques-Louis David (1748-1825)

 

Le serment des Horaces

1785

Huile sur toile
Dim 326 x 420 cm

Conservé à Paris au musée du Louvre

 

Pendant toute la période néoclassique, comme au cours des années de la Révolution puis de l’ère napoléonienne, Paris fut le centre européen des arts. Bouleversant l’ordre établi, la Révolution (1789-1799) tenta d’instaurer une nouvelle société fondée sur l’égalité et la liberté. Une nouvelle philosophie fut définie à partir des leçons morales de l’Antiquité ; de la même manière, les peintres les plus éminents se servirent de l’iconographie antique pour représenter la vertu et la moralité.

Jacques-Louis David, le plus grand représentant de la peinture néoclassique, mit son art au service de Napoléon et de sa propagande.

D’autres peintres, notamment jean-Auguste Dominique Ingres, furent également employés par le souverain pour réaliser des scènes idéalisées glorifiant l’héroïsme et la vertu et témoignant de l’ascension de l’empereur et de sa femme Joséphine.

 

Le peintre

David est né à Paris, orphelin très jeune il est élevé par ses deux oncles maternels qui souhaitent en faire un architecte, mais David veut être peintre.
En 1764 ses oncles cèdent et l’amènent à François Boucher. Boucher eu l’heureuse initiative de confier le jeune David aux soins d’un autre maître, Vien, chez qui il se forma.
Après avoir obtenu le prix de Rome, suivi d’un séjour à Rome, David combine rapidement sa carrières artistique et politique, ce qui l’obligera à fuir la France au retour des bourbons eu 1814. Il se réfugiera en Belgique. Il meurt à Bruxelles en 1825.

Élu à la Convention en 1792, il occupe comme son ami Robespierre, une place dans les rangs du parti Montagnard. En 1794 il échappe de peu à la guillotine et réussit à attirer l’attention de Bonaparte qu’il rencontre en 1798. Il tombe immédiatement sous son charme. David ancien révolutionnaire, choisit de se mettre au service de l’Empire. En 1804, il est nommé premier peintre de l’empereur dont il illustre la gloire et la puissance dans de remarquables compositions.

 

Le tableau

Ce tableau est une commande publique lancée par le roi de France. Remportée par David, il réalise le tableau à Rome.

David ramènera ce tableau à Paris et l’exposera au Salon de 1785.

Avec sa gestuelle inspirée de l’éloquence des sculptures antiques, Le serment des Horaces, représente la quintessence du style néoclassique français.

À propos de cette toile, David dira :
« Je dois le sujet à Corneille et mon tableau à Poussin ».

L’histoire : Au VIIe av.J.C. les trois frères Horaces furent choisis par les Romains pour affronter les Curiaces, champions de la ville d’Albe, à une époque où un simple vol de bétail le long de la frontière prenait des allures de guerre ouverte. Liés par mariage à leurs sœurs respectives, le sacrifice des Horaces et des Curiaces exalte les vertus patriotiques.

David a choisi de représenter les Horaces prêtant le serment de vaincre l’ennemi ou de périr ; tandis qu’ils reçoivent leurs armes des mains de leur père, les femmes de la famille, prostrées, expriment leur désespoir.

 

Composition

C’est une composition typiquement néoclassique :
Les personnages centraux sont disposés de façon géométrique, et s’enchainent sans profondeur à la manière d’un relief antique.

David choisit un espace clos pour décor, la cour intérieure dallée d’une demeure de praticiens romains.

La simplicité de décor, la dramatisation de la gestuelle, la lumière contrastée – vive pour les hommes et douce pour les femmes, déterminent l’ambiance du tableau et projettent un univers héroïque, vertueux et géométrique.

C’est l’expression la plus forte du climat esthétique de l’époque.

Le fond obscur au second plan, repousse les personnages au premier plan.
Les trois arcades scindent le groupe de personnages en trois groupes.
Elles apportent un rythme à la lecture du tableau :  à gauche, les trois frères, au centre le père et à droite les trois femmes.

Les lignes installent un équilibre : Les verticales et horizontales coupent le tableau en trois parties ; les obliques -dynamiques, déterminent les attitudes des hommes et les courbes -passives, épousent le corps des femmes.
Toutes les lignes passent par le point de fuite, au centre de la composition, la main gauche du père, celle qui brandit les épées.
L’axe qui souligne l’alignement des visages des trois frères et du père, est la ligne d’horizon. Cette ligne horizontale coupe le tableau en son milieu.

C’est une composition très rigoureuse.

Le choix des couleurs -rouge, bleu et beige, soutient la composition et ajoute à l’équilibre de la représentation.
L’opposition entre les groupes hommes-femmes est appuyée par les couleurs, éclatantes pour les hommes, ternes pour les femmes.
On retrouve sur les femmes les mêmes couleurs que sur les hommes dans une gamme plus effacée.

David exprime son intérêt pour la couleur, à la manière des coloristes italiens (on pense à Véronèse).

C’est un tableau très dessiné, David travaille le rendu des volumes, sa forme franche rappelle la manière de Poussin.

La lumière entre dans la composition par le haut supérieur gauche du tableau. C’est une lumière violente qui contraste fortement avec l’obscurité du second plan. Elle raconte la scène : glisse sur les trois frères mettant en valeur leur musculatures et l’acier de leurs casques, éclaire en pleine face le visage du père et les lames des trois épées et se pose doucement sur les trois femmes ciselant les plis des étoffes et soulignant leurs beaux visages.


Analyse

David peintre révolutionnaire, puis bonapartiste, ferait-il de la politique pour vendre ses tableaux ou pour entrer dans l’Histoire ?

Si la composition de ce tableau est une prouesse géométrique, elle est également une œuvre symbolique.

David travaille l’harmonie et l’équilibre en ne laissant rien au hasard.

Le tableau est porteur d’un message, sa composition nous indique que l’intérêt public, défendre Rome, passe avant les intérêts privés, les liens de famille unissant les femmes aux frères ennemis.

Dans cette scène, l’amour patriotique supplante l’amour paternel.

La lumière projetée sur le père s’interprète comme un message divin symbolisé par les épées sacrées.

David a imaginé cette scène, aucune source historique ne la relate.
Plutarque rapporte une bataille entre les Horaces et les Curiaces.

David représente ses sujets en les ramenant au politique et à l’Histoire.

La première intention du peintre -c’est un tableau de commande, est de mettre en avant le sacrifice que le peuple français doit faire pour l’honneur du roi et du royaume. Royaume qui est en crise financière suite aux aides qu’il apporte aux colonies américaines pour leurs indépendances.

De fait, si ce n’était pas le propos du tableau au départ, cette œuvre particulièrement influente et admirée de tous, valorise les idéaux politiques de la république.
L’invention du serment répond aux attentes des révolutionnaires en incarnant le patriotisme, les vertus civiques et le sens du devoir.
L’honneur de la cité et de la famille passe avant les intérêts privés.

Ce tableau devint le symbole de la révolution.

Avec ce tableau David sacralise les grands principes universels et éternels : égalité, liberté, justice et Patrie.
Le choix du serment comme acte fondateur marque le lien indissoluble entre les citoyens dans une promesse de construire un monde nouveau.
En 1789, il ne s’agit pas encore de tout abolir mais, de régénérer

Ce tableau avec son climat de tension a un impact visuel fort.

David scinde le tableau entre masculin et féminin, entre la volonté virile des frères et du père et les sentiments d’abandon et de tristesse des femmes.

Trois épées unissent symboliquement trois volontés et trois regards.
L’élan héroïque implique le dépassement des liens familiaux au profit du sacrifice pour la patrie.
Les femmes sont placées à l’écart.

Si ses autres œuvres n’eurent jamais le même impact, David s’essaya une nouvelle fois à la peinture morale avec Les Licteurs rapportent à Brutus les corps de ses fils –1789 Ici la mort est infligée, c’est un martyr au nom du combat pour la liberté. Il réalisa cette toile au début de la Révolution.
Elle fut rapidement adoptée par les révolutionnaires.

Pendant la Révolution, David, comme nombre de ses disciples, produisit quantité de peintures de propagande.

Dans Marat assassiné -1793, David introduit le spectateur au cœur de l’évènement pour le rendre témoin de l’Histoire. Pour un rendu précis du crime, il fait un moulage de la tête de Marat. Le spectateur a l’impression d’un instantané photographique.
Avec cette toile David exalte le style anti-baroque par excellence.

Après avoir soutenu la révolution, David accompagne Bonaparte dans sa tentative d’instauration d’une monarchie républicaine et peint des tableaux à la gloire de l’empereur.

En 1806-1807, Quand il est désigné pour représenter le couronnement de Napoléon, il se lance dans une toile ambitieuse composée de plus d’une centaine de personnages, tous ne sont pas présents le jour du sacre (entre autres, la mère du souverain restée en Corse). C’est un tableau qui se veut réaliste tel que l’a pensé l’empereur, c’est-à-dire qu’il n’est pas réaliste !
Tel un reporter, David témoigne de ce qu’il voit et donne une source immédiate… revisitée. Ce tableau contribua à asseoir la stature impériale de Napoléon, tout comme le portrait de l’empereur réalisé par Ingres, commandé pour représenter un nouveau type de monarque.

Si les tableaux de David à la gloire de Napoléon se veulent un témoignage, le peintre s’arrange avec la vérité et la magnifie. C’est la raison pour laquelle David est qualifié de peintre de propagande.

Ainsi le célèbre portrait de Bonaparte franchissant le col du Grand Saint Bernard –1805 représente l’empereur sur un cheval cabré alors qu’en réalité il a franchi le col des Alpes à dos de mule vêtu d’une redingote grise.

En France, la période néoclassique vit l’art se mettre au service de l’État.

En cette période de fin du XVIIIe et début du XIXe, le néoclassicisme évolue vers davantage de pureté. Si les artistes conservèrent leur indépendance, comme Pierre Paul Prud’hon, dont la grâce et l’élégance évoquent davantage le règne de Louis XVI que la Révolution, la tendance artistique majoritaire était plutôt au nationalisme politique et à l’austérité esthétique.

David amorce un retour général de l’art vers la sévérité et la simplicité naturelle de l’Antiquité. En étant fidèle à la norme figurative et en respectant la norme classique, David prend à contre-pied la frivolité du rococo.

Et si la vie de David a été fortement agitée par les grands évènements de la révolution française. Avec l’ascendance forte et constante qu’il a portée sur les arts, David représente et perpétue le modèle français du XVIIe et de fait, appartient à l’Histoire.

 

Conclusion

David régénère l’art en s’attachant à l’idéal classique.

En reprenant les règles classiques d’ordre et d’harmonie, comme formulées par le fondateur de la pensée néoplatonicienne, le philosophe gréco-latin Plotin (205-270 ap.J.C.) : « La beauté réside dans l’accord et la proportion des parties entre elles et avec le tout. »

David a formé des artistes dont les talents offrent une diversité remarquable.
L’on compte parmi ses élèves, Girodet, Gérard, Gros, Ingres, Robert et Granet.
Ce sera une gloire pour David d’avoir fondé et entretenu, pendant plus d’un demi-siècle, une véritable école.

Jusqu’au XIXe la composition historique dominera la hiérarchie des genres.

Deux siècles plus tard, nous connaissons presque tous les tableaux de David parce qu’ils illustrent nos manuels scolaires et parce que ses immenses compositions accrochées au Louvre sont autant de chef d’œuvres fascinants.