Le Talisman -Paul Sérusier

Paul Sérusier (1864-1927)

 

Le Talisman, l’Aven au Bois d’Amour

1888
Huile sur bois
Dim 27 x 21 cm

Conservé au musée d’Orsay
Sujet

C’est la représentation d’un paysage breton, à Pont-Aven.
Pourquoi la Bretagne ?
Depuis le début des années 1860 Pont-Aven attirait les peintres.
La Bretagne, avec ses landes pittoresques, ses côtes accidentées, sa statuaire primitive, sa population paysanne, avait, depuis l’époque romantique, la réputation d’être le bout du monde : les survivances d’un passé ancestral incitaient les voyageurs (en particulier américains), peintres ou littérateurs, à chercher le témoignage des racines ailleurs abolies.

Paul Sérusier est un peintre symboliste et l’un des initiateurs du mouvement des Nabis.

Sérusier passe l’été de 1888 en famille à Pont-Aven et y rencontre des artistes.Il demande à Gauguin de lui donner une leçon de peinture « Comment voyez-vous cet arbre ; il est vert ?
Mettez donc du vert, le plus beau vert de votre palette. Et ceux-ci, ils sont jaunes … eh bien, mettez du jaune. Et cette ombre, plutôt bleue ? Ne craignez pas de la peindre aussi bleue que possible …Ces feuilles sont rouges ? Mettez du vermillon. »

C’est ainsi que Le Talisman pris forme.

Le sujet du tableau est de reproduire cette nature aux couleurs et à la lumière toujours changeantes.

 

Composition

Le tableau s’articule en deux parties :
Un petit chemin planté d’arbres au tronc tracé d’un simple trait bleu clair, en pleine lumière, longe une rivière et conduit à un moulin. Il découpe obliquement la surface du tableau attribuant la dominance à la partie inférieure, celle de l’eau, surface dans laquelle le peintre étudie et traite les reflets.

Sérusier réalise sur le motif une esquisse qui fait fi de la perspective traditionnelle.

Oubliant le réalisme, le peintre parvient à rendre identifiables les principaux éléments du paysage représenté : Les verticales bleues dirigent la compréhension du tableau, ce sont les troncs des peupliers. Elles permettent de situer la rive rouge bordée de vert et ainsi, de discerner leurs reflets dans l’eau.
Les mêmes couleurs sont placées à peu près symétriquement par rapport aux axes du tableau.Elles indiquent les feuillages et les reflets des feuillages, les troncs des arbres et les reflets des troncs d’arbres.

Le spectateur comprend le principe du paysage et de son reflet dans l’eau, le tableau devient lisible, on voit, dans le fond du tableau à droite, le moulin bleu-gris et la ligne courbe de la rive opposée dans l’ombre.

La lumière est dans les couleurs.
Elle se concrétise en rouge sur le chemin et se réfléchit en blanc sur la façade du moulin.

C’est la couleur elle-même qui, posée en aplats superposés, dessine les formes, les simplifie, les schématise. Les différences de teintes donnent forme aux reflets à la surface de la rivière et font justement écho aux arbres aux feuillages et au ciel.

Sérusier s’est libéré du motif. Ce tableau reproduit un paysage de façon synthétique ; les formes sont très distanciées par rapport à la réalité observée.

 

Analyse

Couleurs vraies, couleurs perçues et couleurs transposées

La couleur est le but de cette expérience de peinture, elle est essentielle au tableau.

Le Talisman est une transposition,l’équivalent passionné d’une sensation reçue.

Couleur vraie :
La couleur est un phénomène physique et perceptif.
La lumière solaire sert de base à l’appréciation des couleurs.

Elle est à l’origine de notre système de perception visuelle.
Aucune image ne reproduit le réel avec une scrupuleuse exactitude colorée.
Peu de temps après son invention par les frères Lumière, le cinéma cherchera, par souci de réalisme et d’esthétisme, à reproduire les couleurs de la vie.
La couleur vraie n’existe pas.
Et Sérusier ne cherche pas l’exactitude de la couleur

Couleur perçue :
Il n’y a pas de couleur sans lumière.
La couleur du tableau traduit la façon dont nous percevons le rapport du tableau avec la lumière qu’il reçoit.
La perception de la couleur est culturelle:
Elle convoque la mémoire, les connaissances et l’imagination.
La lumière électrique n’est pas la bougie, ni la lampe à huile.
Dans les textes comme dans les images, les arcs-en-ciel de l’Antiquité, du Moyen Age et de la Renaissance ne possèdent jamais sept couleurs, mais trois, quatre ou cinq.
La mise en valeur du spectre transforme progressivement l’ordre des couleurs : le rouge ne se situe plus à mi-chemin entre le blanc et le noir, le vert est pensé comme un mélange de bleu et de jaune. Les notions de couleurs primaires et de couleurs complémentaires, de couleurs chaudes et de couleurs froides se mettent en place.
À la fin du XVIIIe, l’univers des couleurs n’est plus ce qu’il était en son début.

Sérusier veut renouveler sa peinture, pour ce faire il exprime les couleurs perçues en déplaçant les éléments composant la lumière dans les zones de couleurs pures. Ainsi il transpose les couleurs :

Couleur transposée : la lumière est traitée en rouge, les troncs en bleu. Dans la zone d’ombre, les verts sont recouverts de terre d’ombre.
Chaque élément du réel y est représenté par une tache de couleur.
Sérusier ne représente pas le paysage naturel, mais seulement des formes et des couleurs pour elles-mêmes.
Les couleurs utilisées sont liées par un accord, un point commun entre elles : le vert et le violet ont le même bleu dans leur constitution. Seule la couleur rouge n’a pas de point commun avec le vert ou le bleu.
Mais comme ce rouge occupe peu d’espace, l’harmonie domine

Ces couleurs expriment la vie invisible du paysage et de sa rivière.

En s’éloignant du réel, la peinture gagne son autonomie.
Elle devient le sujet du tableau et obéit à ses propres lois internes.

Le Talisman est le résultat d’une nouvelle manière de regarder les choses, sans chercher à les représenter telles qu’elles sont, mais comme l’artiste les voit, en privilégiant la perception visuelle à l’exactitude du rendu.

Les Nabis cherchent surtout à se libérer du réalisme et de l’impressionnisme. Ils valorisent l’intériorité.
Pour Sérusier « l’art est un moyen de communiquer entre les lignes ».

Il ne s’agit pas de se libérer de la représentation mais, de la sublimer, de la dépasser.

Sérusier et les Nabis rendent justice à la part symboliste de la nature.

Le Talisman représente un exemple caractéristique de pré-abstraction.

Sérusier utilise la couleur transposée et la distorsion des formes.

 

Conclusion

C’est une nouvelle manière de peindre, une interprétation de la nature, la peinture ne reproduit jamais vraiment le réel.

Cette toile peinte en quelques minutes sous la direction de Gauguin a bouleversé l’Histoire de L’Art.

Gauguin lui a montré le chemin, Sérusier ne l’a pas suivi,
Le Talisman restera son unique expérience de couleur transposée.

Il y a un avant et un après Le Talisman,
Même si Sérusier ne pouvait imaginer le retentissement de son petit tableau.

Avec Le Talisman et les théories de Gauguin, un nouveau concept de la peinture s’affirme.

Maurice Denis le décrira comme :
« Un paysage informe, à force d’être synthétiquement formulé, en violet, vermillon, vert véronaise et autres couleurs pures, telles qu’elles sortent du tube ».

La postérité verra dans ce tableau le manifeste d’une peinture pure, autonome et abstraite.

Chiens rouges, herbe jaune, arbres et ombres bleus :
À la fin du XIXe, Paul Gauguin est le premier à s’émanciper de la représentation réaliste.

Après lui viendront les Nabis, les Fauves, Matisse, Picasso, Léger, Cézanne et tous les compositeurs picturaux du XXe, notamment les expressionnistes comme Rottluff et Kandinsky