Les Rêveuses – 1879-82 Albert Joseph Moore

 

Albert Joseph Moore (1841-1893)

 

Les Rêveuses

1879-1882

Huile sur toile
Dim 69 x 119 cm

Conservé en Angleterre , au Birmingham Museum and Art Gallery

 

Le peintre

Albert Joseph Moore est issu d’une famille d’artistes du Yorkshire. Il est le fils du portraitiste William Moore. Il naît et grandit à New-York.
Il apprend à dessiner à la St. Peter’s School de York.
Dans le même temps, son père lui apprend à peindre.
En 1853, à l’âge de douze ans, il obtient une distinction du Departement of Science and Art de Kensington.
Son père meurt en 1851.
En 1855, il part pour Londres.
Il étudie à la Royal Academy en 1858, puis il séjourne à Rome en 1862 et 1863.

Londres accueille la première exposition universelle en 1851.

On est au XIXe. C’est l’Angleterre de la reine Victoria.
L’époque dite victorienne de 1832 à 1901.
Un contexte fin de siècle, dominé par une forte rigueur morale.

Dans ce monde ayant subi en peu de temps des transformations fulgurantes, les artistes ont en commun de célébrer le « culte de la beauté ».

 

Le tableau

Albert Moore fondait son esthétisme sur le principe du décoratif, chaque élément devant contribuer harmonieusement à la beauté de l’ensemble.

Les Rêveuses sont une démonstration magistrale de cette idée, ainsi que de l’utilisation de la figure féminine pour véhiculer la notion de beauté idéale.

Associant la connaissance de la sculpture classique et son intérêt pour l’art japonais, Albert Moore représente trois femmes identiques et une quatrième cachée derrière un éventail. Elles sont étendues langoureusement sur un canapé, vêtues d’étoffes diaphanes.

 

Composition

La composition s’inscrit dans un rectangle.
Le format barlong est accentué par le canapé qui traverse le tableau.

Il n’y a pas de profondeur.
Le spectateur a le nez sur le tableau.

La composition déroule une frise : sur le canapé quatre femmes sont assises.
Elles ponctuent la composition comme des notes de musique sur une portée.

Deux des jeunes femmes sont endormies la tête abandonnée sur les coussins. Une troisième est plongée dans ses rêveries, la tête relevée en arrière, le regard vers le peintre et la quatrième est camouflée derrière un éventail.

Le canapé est adossé à un mur décoré de papier peint.

Le papier peint emprunte au mouvement « Arts and Crafts » et décline des petits motifs stylisés répétés à l’infini. Ce sont des entrelacs blanc nacré inspirés de l’architecture gothique vénitienne, ils animent un fond vert.

La composition est rigoureuse et plate.
Il n’y a pas de perspective, un seul plan et un mur, ce tableau est conçu comme une affiche.
Les positions des jambes forment des diagonales, ponctuées par les verticales du canapé et des boiseries murales.
Une atmosphère musicale se dégage de ce tableau.

Les couleurs sont légères et délicates. La palette est dominée par des ocres des jaunes pales, relevés de rouge.

Une douce lumière balaie la composition de la gauche vers la droite du tableau. En soulignant les courbes des corps, elle illustre le penchant du peintre pour le monde gréco-romain, synonyme de luxe et volupté.

Le tableau présente une harmonie de couleurs lumineuses et de formes pures.

 

Analyse

L’esthétisme rassemble de façon relativement informelle des artistes, écrivains et designers de divers pays partageant l’avis que l’art ne doit pas servir d’autre dessin que celui d’en appeler aux sens. Cette croyance s’exprime sous de multiples formes, mais prit souvent, celle d’une figure féminine qui contemple sa propre beauté ou celle d’un objet décoratif.
Il fut même suggéré que cette insistance sur la beauté ne serait qu’un substitut rhétorique de l’érotisme.

Le premier postulat du mouvement esthétique était que l’art ne doit exister que pour lui-même et ne doit servir aucun autre but.

Recentré sur la quête du beau, l’art abandonne toute visée narrative ou moralisatrice dans ses œuvres.

Les nombreuses images féminines sont des représentations d’une beauté idéale uniquement destinées à la contemplation visuelle, et non des véhicules didactiques.
La prédominance des sujets féminins transparait dans les tableaux d’Albert Moore et aussi dans les œuvres de Frederic Leighton et d’Edward Burne-Jones.

La représentation des jeunes femmes est un élément récurrent du mouvement esthétique 

Le tableau montre une jeune femme endormie reproduite trois fois.
Moore transpose le spectateur dans un monde idéalisé d’opulence.
Exit les corsets, la superposition des drapés des étoffes dorées, lumineuses et fluides dévoile le corps féminin.
Les femmes aux courbes gracieuses deviennent des figures rêvées, voluptueuses et désirables en parfaite opposition à la rigueur morale imposée par la reine Victoria.

Ce tableau est purement décoratif. Les Rêveuses, fondé sur la beauté formelle, le rythme musical de la composition et les couleurs légères et raffinées, est au cœur du mouvement esthétique.

La jeune femme de Moore symbolise la nostalgie d’un âge d’or.
Ni tout à fait réelle, ni tout à fait imaginaire, elle matérialise une beauté sensuelle et intemporelle.

L’enjeu du tableau est de révélé l’harmonie visuelle des formes et de rendre sa musique perceptible.

Les couleurs diaphanes et les poses similaires des femmes, incite le spectateur à apprécier les corps aux proportions harmonieuses et la somptuosité des détails ornementaux.

Ce tableau est inspiré de l’art antique. Moore a étudié les sculptures gréco-romaines du British Museum et s’inspire des canons de sculpture grecque.
Moore développe ainsi une conception intellectuelle de la peinture et donne un rythme musical à son tableau.
Sa composition devient une véritable partition.

Il crée un passé fantasmé, symbole d’un monde disparu, en rupture avec la rudesse et la violence du siècle finissant.

Le peintre a brisé les frontières entre le poétique et le pictural pour atteindre l’harmonie et la beauté et offrir un passé idéalisé loin d’une réalité éprouvante.

On retrouve chez Moore l’ esthétique résolument moderne et créative de Burne-Jones. Les peintres s’inspirent des poèmes d’ Alfred Tennyson  et d’ Algernon Swinburne.

Comme l’écrit Rossetti « le plus noble des tableaux est un poème peint ».
Comme l’a illustré Burne-Jones, les peintres sont des Pygmalion faisant naître sous leur pinceau la femme idéale.
Cette recherche d’une peinture décorative fondée sur la beauté formelle, Moore la partage avec son ami le peintre Whistler.

Le thème de la fausse ingénue,  est un thème fréquent dans la littérature britannique depuis Shakespeare. En peinture il atteint son apogée à la fin du siècle avec le peintre John William Waterhouse (1849-1917).

Conclusion

Les tableaux de Moore, « appréciés par plusieurs grands amateurs dans toute l’Angleterre, ont été régulièrement exposés à la Royal Academy et à la Grosvenor Gallery. Ses dernières peintures, faisant place à l’allégorie et au paysage, tentent de séduire une clientèle qui se tourne vers le symbolisme de la nature. » -extrait du catalogue de l’exposition, Désirs & Volupté -collection Pérez Simón.

L’esthétisme décline à partir des années 1890 avec la mort de ses différents représentants. La première guerre mondiale y mettra totalement fin.

Le musée jacquemart-André, sous la houlette de Véronique Gerard-Powell, commissaire générale de l’exposition, a montré la collection Pérez Simón de septembre 2013 à Janvier 2014.

Cette exposition a remis dans la lumière la quête d’esthétisme des peintres de la période victorienne et leur fascination pour la Femme, en rupture avec la dureté et le puritanisme de leur temps. Ils s’adressaient à la sensibilité artistique de l’œil, loin des émotions qui lui sont totalement étrangères, telles que dévotion, pitié, amour, patriotisme.