L’extase de Saint François – 1480-85 – Giovanni Bellini

 

Giovanni Bellini (1430-1516)

 

L’Extase de saint François

1480-85
Huile sur bois
Dim 500 x 235 cm

Conservé à New-York dans la Frick Collection

 

Le peintre

Frère cadet de Gentile Bellini et beau-frère d’Andrea Mantegna, Giovanni Bellini est l’artiste vénitien le plus influent de la fin du XVe et du début du XVIe.

En soixante-cinq ans de carrière, il forma une génération entière de maîtres, dont Giorgione et Titien.

Pionnier de la lumière naturelle, Giovanni crée un nouveau style de représentation de la vierge et conçoit des retables majestueux et des portraits pleins de dignité et de réalisme.

En 1506 lors de son séjour à Venise, le peintre allemand Dürer écrivit que Giovanni était « très âgé, mais le meilleur de tous les peintres ».

 

Le saint

Saint François d’Assise est fils d’un riche négociant d’Assise.
En 1207, il refuse son héritage, se retire dans la solitude au sommet d’une montagne, le mont La Verna (près d’Arezzo). Il fonde l’ordre des Frères mineurs ou ordre Franciscain.
En 1224, deux ans avant sa mort, François a une vision :
Le Christ crucifié lui apparaît sous les traits d’un séraphin à trois paires d’ailes. Dans le même temps, il reçoit les stigmates, les cinq blessures du Christ.

À sa mort, saint François devient rapidement une figure légendaire.

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Le tableau

Giovanni Bellini montre ici le saint recevant les stigmates de Dieu dans un cadre inspiré des paysages flamands. Il vit dans une grotte avec en guise de bureau une simple planche à l’ombre d’une vigne-vierge.

Les bras tendus, saint François regarde vers la lumière dans l’angle supérieur gauche de la scène.

 

Composition

Bellini construit son tableau en suivant une logique de continuité visuelle. Les différents plans s’étagent sans rupture du premier plan à l’arrière-plan.

Au premier plan sont représentés :
Une grotte aménagée sur la droite du tableau avec Saint François se tenant debout, légèrement en retrait par rapport à l’axe médian et, contre le muret, sous le bras droit de François, un lapin.

Le saint est pieds nus, il porte l’habit de moine.
Le crâne et le livre ouvert posés sur le bureau devant l’entrée de la grotte, symbolisent la vie de méditation et de renoncement.

François est représenté au moment où il sort de sa grotte, ébloui par le spectacle de la divine nature. François salue le jour les bras tendus légèrement écartés de son buste, les mains ouvertes et la tête rejetée en arrière. Cette attitude illustre l’extase du saint émerveillé par la beauté de la création.

Les blessures à l’intérieur des mains et sur son pied gauche sont à peine perceptibles.

Giotto, Van Eyck et plus tard Rubens lorsqu’ils peignent le thème du saint recevant les stigmates respectent l’iconographie traditionnelle en représentant  un séraphin.

Dans ce tableau François est seul.

On retrouve une seule concordance avec le tableau de Van Eyck, la présence des rochers.

Chez G. Bellini le rocher occupe la moitié droite du tableau sur toute sa hauteur. Il domine la scène et introduit le paysage du second plan.

Le second plan est constitué de deux parties :
-Un paysage de campagne avec un pré sur lequel se tiennent un âne et un héron cendré en bordure de la falaise qui délimite le pré sur sa partie gauche.
-En contre-bas sont représentés :
Des champs de céréales, un troupeau de moutons et un berger. Une barrière de bois longe le lit d’une rivière qui coule au pied d’une colline bâtie.

À l’arrière-plan :
Un pont à trois arches permet d’accéder aux portes de la ville fortifiée.
Au sommet de la colline se dresse un château fort.

Au-delà, une chaine de montagne se perd à l’horizon et le ciel d’un bleu profond ferme la composition.

Dans cette représentation, la nature est omniprésente.

Une atmosphère dorée  imprègne tout le paysage et souligne la sérénité de François qui vit en harmonie avec la nature et les animaux.

C’est l’emploi de la peinture à l’huile en plus de la tempera qui confère de la luminosité à l’œuvre. G. Bellini enduit sa toile d’une couche de plâtre blanc sur laquelle il a peint de fines couches d’huile. La lumière traversant cette mince couche colorée, est reflétée par le blanc de l’enduit et produit la sensation d’un rayonnement surnaturel.

 

Analyse

Bellini met en valeur la beauté de la nature et la grandeur de Dieu.

Le peintre imagine le saint en extase dans la prière.

Les rochers au premier plan sont gris bleuté, la robe de François de couleur marron est réchauffée par les rayons du soleil, le paysage lointain lui aussi, est baigné d’une lumière chaude.

Le tableau joue sur un jeu de lumières entre les teintes froides et les teintes chaudes, entre le nu du rocher et le verdoyant de la nature.

La grotte et le rocher évoquent la mort du Christ.

La lumière du soleil qui arrive par le haut gauche du tableau, passe à travers les nuages et incline le laurier vers François, évoquant le Christ ressuscité à Pâques.

 

Le tableau souligne le rapport entre François et la nature.

Bellini remplace les éléments surnaturels traditionnels ( le séraphin ) par une extase devant le spectacle la nature.

Le peintre représente la grotte, les animaux, les arbres et le crâne, s’attachant aux idéaux franciscains de pauvreté et d’humilité.
Le héron gris symbolise la pénitence.
Le crâne fait référence au Golgotha et à la fugacité de la vie humaine.
La vigne évoque l’eucharistie.

En jouant sur des effets de lumière, le peintre suggère une atmosphère sacrée avec des éléments naturels.

Dans ce tableau G. Bellini mixe l’art de la Renaissance flamande et la perspective géométrique de la Renaissance florentine.
Son sens du détail et son réalisme méticuleux sont empruntés aux œuvres flamandes. Quant à la formidable illusion de profondeur installée dans ce tableau, Bellini la doit à sa parfaite maîtrise de l’emploi de la perspective géométrique chère aux artistes florentins.

Le traitement sophistiqué de la couleur G. Bellini l’a appris à Venise.
Ses tons riches et intenses confèrent au tableau une luminosité particulière.
Bellini explore les interactions entre couleur, lumière, air ambiant et matière pour remplacer les contours par des jeux d’ombre et de lumière, suivant les préceptes de la peinture vénitienne.

 

Conclusion

Quand G. Bellini a réalisé cette œuvre à la fin du XVe, l’Europe et l’Italie humaniste sont encore régies par la culture chrétienne.

Saint François était le saint le plus populaire d’Italie. Ce fils de marchand prêchant le message de l’Évangile était en phase avec une population de laïcs urbains pour qui, il constituait un modèle.

Si nous voyons tout autant un paysage qu’une image pieuse, pour les contemporains il s’agissait principalement de religion.

Les symboles iconographiques généralement associés au saint que l’on retrouve dans les représentations de Giotto, Van Eyck et Rubens sont absents de l’œuvre de Bellini.

Bellini conjugue une histoire religieuse à une description de la nature qui répond aux critères humanistes.

Dans cette œuvre le paysage fait partie de la narration, il entre en dialogue avec le saint.