Niccolo Mauruzi da Talentino à la tête de ses troupes- 1456 – Paolo Uccello

 

Paolo Uccello (1397-1475)

 

 La bataille de San Romano

 L’œuvre se décline en trois tableaux :

 

 Niccolo Mauruzi da Talentino à la tête de ses troupes

 1456
Détrempe sur bois
Dim 317 x 182 cm

Conservé à la National Gallery à Londres

 

La contre-attaque décisive de Micheletto Attendolo de Contignolo

 1456
Détrempe sur bois
Dim 317 x 182 cm

Conservé au musée du Louvre à Paris

 

La défaite du camp siennois, illustrée par la mise hors combat de Bernardino della Ciarda

 1456
Détrempe sur bois
Dim 323 x 180 cm

Conservé à la Galerie des Offices à Florence.

 

Le peintre

À l’âge de sept ans, Uccello est apprenti dans l’atelier de Ghiberti où il côtoie, entre autres, Masolino et Donatello.
Uccello participe aux finitions de la première porte du baptistère de Florence que Ghiberti est en train d’achever.

En 1424, il entre avec Masaccio dans la compagnie des peintres de San Luca.
Uccello est formé à la peinture, à l’orfèvrerie et à la mosaïque.

Les vénitiens lui demandent de refaire les mosaïques de la basilique de San Marco -détruites dans un incendie. Ce travail durera cinq ans, puis il revient à Florence où s’opère une révolution picturale initiée par Brunelleschi et mise en pratique par Donatello et Masaccio.
Pendant plusieurs années il travaille sur des œuvres destinées aux cathédrales et aux églises florentines.

En 1436, il signe son premier travail monumental, une fresque magistrale : le Monument équestre du célèbre condottière anglais -John Hawkwood, que les italiens appellent Giovanni Acuto.

C’est à Florence qu’il peint le cycle commémoratif de la bataille de San Romano.
Et c’est à Florence qu’il meurt en 1475.


Le tableau

Le panneau étudié, Niccolo Mauruzi da Talentino à la tête de ses troupes, fait partie du cycle commandé par la famille Bartolini Salimbeni à Florence, pour commémorer une bataille entre Florence et Sienne, en 1432.

Laurent de Médicis imposa le  transport de  ces peintures, qu’il convoitait,  dans sa résidence.

La composition des trois panneaux se concentre sur l’épisode principal, le choc frontal du panneau des Offices, le seul signé par l’artiste.

Le panneau de Londres, celui étudié, est celui du signal de l’attaque et, l’intervention symétrique des autres troupes florentines conduites par Cotignola dans le panneau du Louvre, représentent deux mouvements qui convergent vers l’épisode central.

 

Composition

Au centre de la scène, sur un cheval blanc se trouve Niccolo da Tolentino, commandant de l’armée florentine victorieuse.

Cette composition permet à Uccello de mettre en valeur son expression de la monumentalité et de soigner sa perspective.

Le regardant a un point de vue central et légèrement surplombant.

À droite et à gauche les croupes des chevaux sont coupées par le cadre, cette traversée du cadre accentue l’illusion du mouvement de la gauche vers la droite et suggère que l’espace réel de la bataille est plus vaste que la scène montrée.

La scène se construit sur deux perspectives, une pour le premier plan linéaire et une pour le fond, étagée.

Le fond du tableau représente un paysage agreste de routes et de champs, ponctué de personnages.
Le plan perspectif se redresse et forme un paysage où l’on retrouve des références toscanes avec les collines en terrasse.
Les divisions et les cloisonnements façonnent la route et les champs en altitude et entrainent le regard entre les montagnes.
On croise des chasseurs, des chiens, du gibier.
Les personnages secondaires s’affairent en une série d’épisodes isolés.

Au premier plan, un chevalier en armure est au sol, face contre terre, son corps traité en raccourci, participe à la perspective.

Uccello structure le terrain dans un jeu de lignes et de volumes.
Les lances brisées, les casques et le cadavre au premier plan sont disposés avec une précision géométrique.

La dynamique des lances passant progressivement de la verticalité à l’horizontalité met en scène le choc frontal des deux cavaliers montés sur des chevaux blancs.

L’espace est découpé par les parallèles, les perpendiculaires et les obliques formées par les hampes et les lances. Toutes ces lignes convergent vers un pont de fuite dans le dos de Niccolo da Talentino et génèrent le rythme de la bataille.

Les casques et boucliers au sol, les jambes des chevaux dressés ainsi que les couleurs de leurs robes, traduisent le chaos de la scène.

C’est un combat d’armures, sans visages, seul Niccolo da Tolentino coiffé d’un mazzachio -couvre-chef florentin de bois et d’osier, sur son cheval dressé au centre de la composition a une apparence humaine.

Uccello utilise des couleurs brunies et des effets métalliques, argentures et dorures, laque et vernis. Il s’intéresse aux accessoires et à leurs matières, il travaille les miroitements pour donner des formes  agressives aux  armures .
Ces armures sont des points de repère dans la mêlée.
Les chevaux sont figés.
Ce sont les lances et les couleurs qui dynamisent la scène.
Le dégradé de bruns est cisaillé par les hampes et les lances blanches.
Au premier plan les chevaux forment une frise, un noir, un blanc, un noir et un blanc.  Les deux chevaux blancs se font face et sont cabrés.
Une deuxième rangée de chevaux bruns, double la rangée du premier plan.

La lumière entre par le haut, comme au théâtre.

Les casques des cavaliers en armures sont disproportionnés et font penser à des accessoires de théâtre, comme les attitudes figées des chevaux qui font penser à des chevaux de bois.

Paolo Uccello peint dans un style élégant un univers irréel, le regardant tente de reconstituer les figures.

 

Analyse

Outre les diverses représentations religieuses, les artistes italiens peignirent une vaste gamme d’œuvres profanes de commande, destinées aussi bien aux églises qu’aux édifices publics et aux résidences privées.

Certains commémoraient des victoires militaires, comme le cycle de Paolo Uccello consacré à la bataille de San Romano, d’autres illustraient des mythes antiques ou captaient des scènes de la vie quotidienne.

Paolo Uccello travaille sur le cycle commémorant la victoire des florentins sur les siennois, lors de la bataille de San Romano.

Le peintre exalte l’action militaire et politique.
Il met en scène les chevaux qui sont les attributs incontournables des chevaliers et incarnent les batailles et la guerre.

Avec ce cycle Paolo Uccello s’éloigne des peintres de la Renaissance qui accordent de l’intérêt aux personnages.
Ses cavaliers en pleine bataille sont des figures de théâtre.

I – Son œuvre est traversée par une réflexion passionnée sur la perspective linéaire.

Uccello est captivé par la perspective linéaire.

Dans son ouvrage, Vie des plus excellents peintres, sculpteurs et architectes –1550, Vasari relate qu’Uccello travaillait jusque tard dans la nuit pour réussir le point de fuite d’une œuvre.
Il peint aussi des animaux, c’est à cet intérêt qu’il doit son surnom.
Uccello signifie oiseau.

La perspective linéaire n’est pas la perspective, mais un système conventionnel de représentation de l’espace.
Elle ne résulte pas d’une théorie établie.
Elle fait référence à la culture scientifique, géométrique et optique.

Uccello n’imite pas, il choisit dans l’espace réel des indices qui lui permettent d’exprimer ce qui l’intéresse.

Le peintre sollicite notre imagination, ce ne sont pas nos yeux mais notre regard qui interprète.

La bataille de San Romano est une œuvre centrale dans la production artistique du quattrocento.

II – La bataille offre une quintessence de la problématique de l’espace pictural.

Le champ de bataille est une surface plane et peu profonde.
Les combattants sont disposés autour du personnage central.
Un groupe compact de cuirassiers occupe le côté gauche.

Au deuxième plan une haie très touffue délimite le fond du champ de bataille et le sépare du paysage toscan qui forme le fond de la scène et couvre, les 2/3 du côté droit du tableau.

L’horizon de la scène se situe dans l’axe du tableau, au niveau des têtes des cavaliers.

La perspective linéaire ne fonctionne qu’au premier plan et associe plusieurs lignes de fuite.

Sur le sol différents objets et un cuirassier sont placés pour donner le sentiment de profondeur.

Le paysage du fond, dépourvu de profondeur, s’insère dans les lignes perspectives de la scène de combat.

La construction géométrique, comme la superposition des personnages et des jeux d’ombre et de lumière, donne le sentiment de profondeur.

Les jeux de lumière jouent un rôle essentiel, en intégrant le paysage à la scène de combat, ils réalisent l’unité de l’ensemble.


III – Paolo Uccello s’inspire des représentations théâtrales.

C’est la confrontation de la problématique picturale avec celle du théâtre qui amène Uccello à élaborer un système perspectif qui donne l’illusion de la profondeur sur une surface plane.

Il marie les décors des spectacles et du théâtre aux données scientifiques pour construire ses perspectives.

Les leçons qu’il tire de l’expérience scénique apparaissent de différentes façons dans ce tableau :
Le paysage du fond transpose picturalement les toiles peintes qui clôturent les scènes de théâtre ;
Traités comme des objets aux volumes pleins sur lesquels joue la lumière, les chevaux ont une plastique formelle et anonyme.
Les chevaux sont représentés sur le modèle d’un archétypes qui inspire, avec des variantes, les têtes de tous les chevaux.
Comme si Uccello avait reproduit des chevaux de bois.

Uccello instille plusieurs réalités théâtrales.
Il crée un nouvel espace plastique en conservant des repères culturels traditionnels comme les lances (symbolique militaire).

Le problème majeur que pose à la peinture sa relation avec le théâtre est la question de la représentation de la profondeur :

Comment donner l’illusion de la troisième dimension sur une surface plane.

 Le sentiment de volume des objets et des personnages naît des contrastes des couleurs sombres et claires et de leur plastique.

Une unique source de lumière et le jeu des ombres qu’elle projette, contribuent à l’homogénéité de l’ensemble.

Le contraste entre les blancs et les noirs donne une forte intensité psychologique.

Le raccourci créer avec le corps du cuirassier allongé sur le sol joue un rôle majeur dans la perception de la troisième dimension.

La bataille de San Romano occupe une place de choix dans  moment important de l’histoire de l’Art.

 

Conclusion

 Paolo Uccello occupe une situation marginale à Florence où un langage nouveau diffuse et auquel Uccello n’adhère pas.

S’il est une des personnalités les plus manquante de la Renaissance florentine, aux côtés de Masaccio et Piero della Francesca, il le doit à sa recherche permanente de la pureté de la forme et de l’expression.

Ses contemporains lui reprochent sa recherche systématique des règles.

À une époque dominée par l’ordre rationnel de Brunelleschi ou les conquêtes de Donatello et de Masaccio,
l’œuvre d’Uccello est dominée par sa passion de la perspective linéaire et témoigne d’un goût prononcé pour la plasticité des formes.