saint François en méditation – 1635-39 – Zurbarán

Francisco de Zurbarán (1598-1664)

 

Saint François en méditation

1635-39
Huile sur toile
Dim 152 x 99 cm

Conservé à Londres, à la National Gallery

 

Le peintre

Francisco de Zurbarán est un peintre de l’âge d’or espagnol.

De la fin du XVe à la fin du XVIIe, le royaume des Habsbourg, qui s’étendait de l’Italie au Nouveau Monde, fut le plus puissant de l’Occident. L’Espagne était le siège du christianisme catholique, le défenseur de la foi et le foyer de l’inquisition.
Avec la réaffirmation par le concile de Trente des doctrines contestées par les protestants, l’art espagnol s’orienta vers un naturalisme rigoureux capable d’offrir aux fidèles des préceptes moraux sans ambiguïté.

Séville était un port cosmopolite. C’est dans cette ville, où il s’installa en 1629, que Zurbarán a conquis sa notoriété comme peintre religieux.
En 1634 il fit un cour séjour à Corte où il participa à la décoration du nouveau palais de Buen Retiro.
Au début de sa carrière, inspiré par Caravage puis par les artistes bolognais, il peint des personnages très austères pour satisfaire ses commanditaires ; dans la deuxième partie de sa vie, Zurbarán prend une nouvelle orientation. N’ayant plus de commandes importantes pour décorer les monastères, il s’oriente vers des toiles destinées à la dévotion privée. Son style s’éloigne du ténébrisme des œuvres de jeunesse, l’ombre joue un rôle plus discret.
En 1658 il déménage à Madrid, il y restera jusqu’à sa mort, survenue en 1664.
Les tableaux de la maturité, peints entre 1658 et 1662 ont mis en évidence l’originalité et la force créatrice du peintre.

Le premier témoignage du peintre date du XVIIIe et c’est Palomino qui en parle dans Les vies d’artistes traduites en français en 1749.
En 1844 Théophile Gauthier en donne une vision très romantique.
Elie Faure, en 1914, en donnera une interprétation tragique et sombre.

 

Le tableau

C’est vers les années 1630 que saint François entre dans les œuvres de Zurbarán. Au fil des tableaux, entre quarante et cinquante versions, le peintre le représente d’une façon de plus en plus intériorisée seul en prière ou en extase.

Les saint François représentés en pied, un peu plus grands que nature, sur des tableaux de plus de 2m de haut seront peints vingt ans plus tard.

Si les représentations de saint François sont nombreuses dans l’œuvre de Zurbarán, on parle de séries, cela est dû aux commandes.

Zurbarán est le peintre préféré des ordres monastiques, les plus anciens et les plus ascétiques.

Ses grands tableaux sont destinés aux marchés du nouveau monde.
Séville est une plaque tournante, les bateaux partent avec beaucoup de tableaux destinés à décorer les édifices religieux d’Amérique du Sud ; ce ne sont pas les plus beaux et sont, pour la plus-part, réalisés par l’atelier du peintre.

En Espagne Les commanditaires sont religieux et les ordres héritiers de saint François sont nombreux.

Ce tableau est une commande des Frère Mineurs Récollet qui avaient pour saint patron saint François.
Leur idée était de retourner à la pensée primitive de saint François.

 

Composition

Dans cette toile de 1635, saint François est à genoux.

La silhouette du moine se détache du fond sombre.
L’échelle du corps participe à l’effet de présence.
Le cadrage est très serré, le moine à genoux se détache de l’ombre envahissant le tableau.
Le spectateur est dans un face à face avec le personnage, projeté sur le devant de la toile.

Le tableau représente un moine vêtu d’une tunique de Frère Mineurs Récollet (ordre mendiant), avec une capuche reliée directement à la robe de bure -tissée de brins de laine marron, beige et blanchâtre.

Tous les détails ont beaucoup d’importance parce que chaque famille franciscaine se revendiquait d’être les héritiers de saint François.

Le visage du moine à demi dissimulé sous la capuche est relevé et sa bouche est ouverte. Il est barbu.
Ses mains croisées tiennent, appuyé contre son ventre, un crâne.
Elles sont rudes car elles ont travaillé la matière.

Le vêtement est le sujet du tableau, le plaisir esthétique de Zurbarán est dans la représentation du costume modelé par la lumière.

L’os frontal du crâne est fortement éclairé.
Le crâne se situe sur la ligne médiane du tableau et sur la verticale tracée par la lumière qui part du nez du moine est passe par le crâne et les mains. Cette composition fait du crâne l’élément central du tableau.

Le visage, les mains, le crâne et le costume sont peints avec la même attention et la même précision ; il n’y a pas de hiérarchie entre les composants du tableau, comme dans une photographie.

La matière, la texture sont traitées au plus près, on a le sentiment du poids du tissu.

La lumière est ménagée de manière à produire beaucoup d’effet.
La lumière est abstraite, on ne sait pas d’où elle vient, elle entre par le coin supérieur gauche du tableau.
Une lumière céleste avec un rendu de sfumato (passage très doux de l’ombre à la lumière) sur le visage. Elle dissimule toute la partie gauche du visage du moine dans l’ombre la plus épaisse.
Et si elle s’attarde sur le bras droit du moine, ses doigts croisés et le bout de son nez, l’ensemble baigne dans une grande douceur, une plénitude.

La gamme chromatique du tableau se résume à trois couleurs déclinées en différentes valeurs un noir modulé par la lumière devient gris, un brun sombre plus clair dans le bas du costume et un blanc plus ou moins grisé sur les manches ou le coté du vêtement.

 

Analyse

Ce moine est une vision et cependant il est absolument une présence.

Cette œuvre austère de Zurbarán montre le saint tenant un crâne entre ses mains, entouré de pénombres qui obscurcissent son visage.
Elle rappelle la brièveté de la vie et la finalité du destin humain, ainsi que la nature mystique de la prière, indiquée par les lèvres ouvertes en conversation divine.

Le menton relevé, la bouche ouverte, le moine murmure des Pater et des Ave sans nombre. Saint François est représenté dans la vie physique la plus concise : à genoux, en méditation, dans une attitude trahissant le désir de s’approcher de Dieu.

Zurbarán a peint un moine comme une sculpture.
C’est un personnage avant d’être un saint.
Cette représentation très réaliste, sacralise le quotidien et véhicule l’humanité du personnage.

Saint François appartient à l’obscurité qui l’enveloppe comme s’il incarnait la lutte entre l’ombre et la lumière.

Le peintre donne un sens au tableau avec son point de vue qui définit la construction de l’image. La position de Saint François dessine un triangle rectangle, cette géométrie emmène le spectateur à la rencontre mystérieuse et profonde du personnage avec le divin.

L’empreinte de la peinture se traduit par un effet de présence.
Le moine est vivant.

Le tableau proche du trompe l’œil est un théâtre où fusionnent l’esprit et la matière. La représentation est homogène, tous les éléments appartiennent à une même réalité.

Le spectateur est dans le même espace que le personnage.

Le peintre représente une recherche spirituelle à travers ce moine en méditation.

Sous l’influence de la Réforme Catholique, le saint François de Giotto qui parlait aux oiseaux devient un ermite ascète, maigre, avec une peau olivâtre, épuisé par les mortifications et les expériences mystiques.
Le saint François d’Assise de l’amour universel est transformé en un ascète décharné, absorbé par ses méditations.
Le concile de Trente exige une efficacité des images, leur but étant de favoriser un art simple et persuasif.
Un art qui stimule les gens à l’obéissance et à l’assujettissement devant Dieu.

Les Frères Mineurs Récollets souhaitaient que Zurbarán représente leur fondateur comme un exemple de pénitence rigoureuse.

C’est pour satisfaire à cette demande qu’il peint, dans la première période de sa vie, Saint François sous un aspect aussi austère.

Avec cette toile Zurbarán suggère au spectateur le sens le plus profond de la prière passionnée. De ce point de vue, le tableau incarne un art de la manipulation.

En poursuivant une méditation sur les souffrances du Christ et sur la mort de l’homme, Zurbarán promeut le mystique à l’état pur.

Zurbarán peint ce Saint François en méditation au sommet de sa carrière.

C’est l’une des meilleures interprétations du dialogue spirituel entre saint François et son créateur.

 

Conclusion

Les visionnaires solitaires de Zurbarán incarnent pour les romantiques du XVIIe, la piété extrême et mystique des espagnols.

Ses corps aux modelés épurés possèdent une austérité sculpturale, au point que ses contemporains affirment que le spectateur pouvait les croire en relief.

Les artistes espagnols du XVIIe, Zurbarán en tête, n’ont fait que pousser à l’extrême, la tendance de toute l’Europe catholique.

Zurbarán montre la souffrance acceptée et offerte. Pour lui la souffrance n’est pas une valeur morale. Il n’y a pas d’aspect souffrant dans ses tableaux où le réalisme poussé à l’extrême donne au spectateur  une  vision intense.

En Espagne, il a laissé une impression durable.

À la fin du XVIIIe les ordres religieux espagnols furent proscrits et les musées du monde achetèrent les tableaux de Zurbarán pour les qualités d’illustrations impressionnantes de la piété ascétique.

Au XIXe, Courbet avait une grande admiration pour Zurbarán.
Picasso s’en inspirera pour son Homme à la guitare –1918

Son œuvre se rapproche beaucoup des tendances actuelles de la peinture.

Aujourd’hui ses tableaux sont présents dans tous les musées d’art à travers le monde.