Saint Jérôme dans son étude – 1474-75 Antonello de Messine

 

Antonello de Messine (1430-1479)

 

Saint Jérôme dans son étude

1474-75
Huile sur panneau de tilleul
Dim 47,5 x 36,2 cm

Conservé à Londres à la National Gallery

 

Le peintre

Né en Sicile, Antonello de Messine y passe la majeure partie de sa carrière. Néanmoins, il s’inspira de modèles très divers, notamment de la peinture flamande et influença un grand nombre d’artistes du nord de l’Italie, en particulier à Venise, ce qui témoigne des échanges artistiques entre les différentes cultures de la Renaissance.

Antonello de Messine est né à Messine, au nord de la Sicile, où il fut d’abord formé avant de regagner Palerme. Il compléta ensuite sa formation à Naples, capitale politique et culturelle en plein essor sous le règne du roi Alphonse 1er d’Aragon, grand collectionneur d’œuvres des maîtres flamands.

En 1475, A. de Messine se rendit à Venise pour étudier l’art de Giovanni Bellini et y demeura deux ans.
Une période très fructueuse pour lui et pour les peintres vénitiens.
A. de Messine leur fit découvrir les possibilités et les subtilités de la peinture à l’huile, technique des maîtres néerlandais, mais encore rare dans l’Italie du XVe, où les peintres préféraient la tempera. L’huile leur permis de créer des paysages et des intérieurs plus expressifs, de rendre les visages, les tissus et autres objets plus lumineux.

Le style d’A. de Messine alliait le sens du détail des peintres du Nord, qu’il s’agisse des plis du tissu ou des traits du visage, à la monumentalité caractéristique de la peinture italienne.

Excellent portraitiste, A. de Messine adopta la tradition néerlandaise des personnages montrés de trois quarts, ce qui leur conférait plus de substance et de tridimensionnalité, tandis que ses confrères italiens peignaient leurs sujets de profil. Il appliqua la même méthode à ses peintures religieuses.

 

Saint Jérôme, son histoire

Saint Jérôme est un prêtre, Docteur de l’Église.
Il est né en Dalmatie en 340. Il est mort à Bethléem en 420. Il a vécu à Antioche, puis en Palestine, puis à Rome (où il a été le secrétaire du pape Damase) et enfin à Bethléem où il a passé les trente-cinq dernières années de sa vie, dans la solitude,  la pénitence et la prière, en étudiant la bible qu’il a traduit en latin et commentée.

 

Le tableau

Il situe le saint érudit dans une bibliothèque monastique qui ressemble à une alcôve, dans une église, encadrée par une arche de pierre en illusion.

Le bureau est posé sur une estrade à laquelle on accède par trois marches.

 

Composition

 A. de Messine fait preuve d’une grande fermeté dans le dessin.
Sa construction de l’espace est rigoureuse et symétrique.

Sa composition est saisissante. Il organise l’espace autour du meuble qui s’inscrit au centre de l’église, encadré par les architectures intérieures en perspective ouvrant sur deux paysages.

A. de Messine décrit avec précision le moindre détail de l’intérieur et de l’extérieur.
À l’intérieur, du sol carrelé typique du sud de l’Italie aux livres rangés sur l’étagère, derrière saint Jérôme qui occupe le centre du tableau.
À l’extérieur, le paysage, vu au travers des fenêtres de l’arrière-plan à droite et à gauche du tableau, révèle une nature luxuriante et très ordonnée.

Au premier plan une vaste ouverture est matérialisée par une grande arche de pierre et une marche à partir de laquelle se déploie le dallage qui couvre tout l’intérieur de l’église et ordonne l’espace.

Au second plan, Saint Jérôme est assis de profil, en tenue de cardinal, à son bureau. Il est entrain d’étudier un livre, probablement la bible, placée devant lui. Il se tient très droit.
Saint Jérôme s’est déchaussé au bas des marches. Il a posé son chapeau de cardinal sur le coffre, derrière lui.

Son bureau est sur une estrade en bois. La structure de bois forme un espace compartimenté où chaque objet à sa place.

Les pages du livre consulté, les manches de l’habit du saint, sont de couleur blanche et réfléchissent la lumière. L’agencement du bureau focalise l’attention du spectateur sur saint Jérôme.

Au fond, les fenêtres rectangulaires – dans le bas du tableau et de chaque côté de l’estrade- montrent le paysage ; les fenêtres lobées -au centre des voûtes, en partie haute- découpent des morceaux du ciel bleu où volent des oiseaux.

A. de Messine applique les principes de la perspective géométrique à l’architecture comme au paysage.

La palette de couleurs est dominée par les teintes minérales brune, ocre- jaune, vert bronze et gris, du bois, de la pierre et du dallage. Les pointes de couleur, vert, bleu, blanc et rouge, du paysage, du ciel et de saint Jérôme, distribuées au fond et au centre de la peinture, animent le tableau et nuancent la majesté solennelle du saint.

La lumière qui passe par les fenêtres illumine les objets, projette des ombres et baigne la scène d’une manière subtile. Les voûtes sont sombres à gauche du tableau et éclairées à droite du tableau.

Le jeu d’ombre et de lumière, donne au visage de saint Jérôme une expression de sérénité et de concentration.

La composition, les couleurs et la lumière dirige l’attention du spectateur sur le livre ouvert au centre du tableau.

Le tableau s’inspire du Saint Jérôme de Jean Van Eyck dont A. de Messine a admiré ses œuvres à la cour napolitaine.

Cette peinture est une synthèse entre la peinture néerlandaise et la peinture italienne.

L’influence de l’art flamand se retrouve dans la finesse du traitement des détails et dans le rendu du paysage. L’influence de l’art italien se retrouve dans l’ordonnance de l’espace et l’utilisation de la perspective géométrique.

 

Analyse

C’est un tableau qui parle, chaque détail a une signification.
Cette signification est plurielle.
La signification des symboles change suivant l’axe de lecture.

Au premier plan, sur les marches sont représentés deux oiseaux :
Le paon évoque la vanité.
(Lorsque le paon a la queue déployée, il évoque l’immortalité céleste).
La perdrix est un élément charnière parce qu’elle est à la fois le symbole du diable et d’un oiseau divin.
Tout à droite de la marche et du paon, une bassine remplie d’eau évoque le baptême.

À droite du bureau et dans l’ombre qu’il projette, on distingue la silhouette d’un lion qui est un des attributs de saint Jérôme.

Le lion est le seul élément perturbateur de l’atmosphère de concentration de la peinture.

Un autre attribut est posé sur le coffre, le chapeau du cardinal.

À l’extrémité gauche, sur l’estrade et devant le bureau, sont représentés, un chat, un pot fleuri d’œillets et un arbuste taillé en boule.
Le chat évoque la perdition. Il est le symbole du diable.
L’histoire de l’œillet rose est liée à Marie qui lorsque Jésus a été crucifié sur la croix, versa des larmes qui devinrent des œillets roses une fois qu’elles touchèrent le sol.
L’arbuste taillé en boule témoigne de la présence d’une nature domestiquée.

À l’extrémité gauche, sur la partie haute du meuble, est accroché un petit crucifix à coté duquel est suspendu un linge.
Ce linge rappelle l’effort à fournir pour monter les marches et accéder à la connaissance.

Les paysages vus au travers des fenêtres :
Celui de gauche avec la villa représente les tentations du mal liées au monde urbain
Celui de droite, vide, représente le bien, lié au désert et à la solitude.

Deux architectures de fenêtres, les rectangulaires montrent la nature, celles en ogives montrent le ciel. La terre et le ciel sont ainsi séparés

La présence sur les étagères du bureau, des boîtes, d’un verre, d’une carafe, des livres, des documents, suggèrent que ce bureau est à la fois un lieu d’étude et de vie.

Le cartellino fixée sur le côté du bureau s’il invite le spectateur à se rapprocher de la peinture est illisible. Le spectateur est frustré.
(On sait que le peintre a écrit son nom et la date d’exécution du tableau),

Saint Jérôme ne regarde pas le spectateur. Jérôme est inaccessible.
La possibilité d’un contact est impossible.

Le spectateur n’est pas invité à entrer dans la peinture.

Le texte que lit Jérôme est indéchiffrable pour le spectateur.
Le spectateur est exclu.

Les livres disposés sur les étagères, ceux éclairés de lumière sont ouverts. En témoignant d’un Saint Jérôme érudit, ils creusent la distance avec le spectateur.

Saint Jérôme est dans l’ambivalence entre le lisible (pour lui) et l’indéchiffrable (pour le spectateur).

Le saint érudit dresse une barrière entre ce qu’il accomplit et le spectateur, tout dans son attitude contribue à transformer l’indéchiffrable en inaccessible.

Le message d’A. de Messine pourrait être : « pour accéder à la connaissance, le spectateur doit garder à l’esprit le mystère de la mort et de la résurrection du Christ ».

 

Conclusion

A. de Messine fait avec ce tableau une magistrale démonstration de son art à traduire la vie intérieure.

La légende dorée – à propos de Jérôme :
« Il s’adonnait nuit et jour à l’étude des Saintes Écritures ».

Parce qu’il établit un lien entre paganisme et christianisme, le saint rencontra les faveurs des humanistes de la Renaissance.

Le thème de saint Jérôme dans son cabinet de travail connait un regain d’intérêt dans l’Italie du Quattrocento avant de s’étioler peu à peu au siècle suivant.