Un enterrement à Ornans -Courbet 1

Gustave Courbet (1819-1877)

Un enterrement à Ornans 
1849-50
Huile sur toile
Dim 315 x 668 cm
Conservé à Orsay

Courbet

1833-1848 Les années de jeunesse à Ornans puis Besançon.
14 ans, il apprend la peinture.
20 ans il part à Paris. IL copie les maîtres au Louvre, admire Géricault, Delacroix, les peintres espagnols.
Premiers tableaux de style réaliste de 1841 à 1846
1841 Le désespéré
1842 il ouvre son premier atelier dans le quartier latin.
1842 L’homme au chien noir
1844 L’homme blessé
Son style évolue, sa palette s’obscurcit
1845-46 L’homme à la ceinture de cuir.  Portrait de l’artiste
Il abandonne le style romantique et s’inspire de son terroir à Ornans
1848 Il expose une dizaine de toiles au Salon et bénéficie d’une reconnaissance publique. L’état lui achète Un après dîner à Ornans
1849 Avec L’enterrement à Ornans Courbet exprime son souhait de réformer la peinture d’Histoire en peignant un monde familier sur des grandes toiles.
Il se heurte à l’incompréhension et provoque le scandale.
Il rencontre un riche collectionneur, Alfred Bruyas, qui devient son mécène. Courbet peut ainsi vivre de sa peinture.
1855 Courbet écrit
« le titre de réaliste m’a été imposé comme ont imposé aux hommes de 1830 le titre de romantiques. Les titres en aucun temps n’ont donné une vision juste des choses…j’ai étudié l’art des anciens et des modernes…être à même de traduire les mœurs , les idées, l’aspect de mon époque selon mon appréciation, être non seulement un peintre mais encore un homme,…faire de l’art vivant, tel est mon but ».
1856-1870 Ce sont les années fastes.
Courbet revisite la scène de genre et le portrait.
Son style évolue, ses nouvelles toiles annoncent ce que sera la peinture moderne durant les vingt années suivantes.
Il peint une abondante production de scènes de chasse, paysages et natures mortes florales.
Il continue à scandaliser avec deux toiles aujourd’hui disparues:
Le retour de la conférence –1863, montrant des ecclésiastiques éméchés et
Vénus et Psyché –1864 refusé pour indécence.
L’origine du monde –1866 est une commande privée et demeura inconnue du public.
1870 À la chute du second Empire, Courbet est élu président de la Fédération des Artistes.
1871 » La Commune » de Paris le charge d’ouvrir les musées. Arrête le 7 juin, le peintre est condamné à 6 mois de prison
1871-77. Le temps des épreuves
En 1873 Courbet est condamné à payer les frais de reconstruction de la colonne Vendôme après avoir lancé une pétition réclamant le déboulonnage de la colonne. Courbet perd une grande partie de sa fortune et part s’installer en Suisse.
Il sombre dans l’alcool, ses problèmes d’argent et de procédures deviennent une obsession.
IL meurt en Suisse le 31/12/1877, quelques jours après que son atelier est été dispersé en vente publique.

 

Introduction

Chef d’œuvre révéré aujourd’hui, brûlot socialiste pour les uns, manifeste réaliste pour les autres, allégorie politique pour les historiens, le tableau a été exposé au salon de 1850.  La toile a déchainé les passions et suscité de nombreux commentaires. On reproche à Courbet de peindre le laid, le trivial et l’ignoble.
Ce tableau deviendra une œuvre manifeste du Réalisme dont Courbet sera le chef de file.

Contexte historique

1850 est une période charnière pour l’histoire de France et l’histoire de l’art moderne.
Louis-Philippe a été destitué en 1848 et Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III est élu président de la république.
1850 C’est le moment de la révolution industrielle, le romantisme est démodé au regard du développement fulgurant de l’industrie. Une nouvelle classe apparaît, la classe ouvrière confrontée à une classe bourgeoise dominante.
Dans ce contexte social, les artistes se détachent de la bourgeoisie, l’artiste véritablement novateur tend à s’isoler et à se marginaliser.

Description

C’est une galerie de portraits composée de 46 personnages, le tableau les
représente regroupés autour d’une fosse à Ornans à l’occasion de l’enterrement d’une personne non identifiée.
Ornans est situé à 25 Km de Besançon en Franche-Comté
L’enterrement a lieu loin de l’église, dans un cimetière à l’écart du village.

-Au premier plan, le regroupement des personnages masque les autres tombes. Courbet représente le moment où le convoi vient d’entrer dans le cimetière. On distingue trois groupes : les officiants à gauche du tableau, les hommes au centre du tableau et les femmes à droite du tableau.
Courbet a peint les habitants d’Ornans qu’il a fait poser dans son atelier les uns après les autres. Courbet ne peint pas sur le motif. C’est un peintre d’atelier.
Les hommes portent des costumes noirs et, certains d’entre eux un chapeau haut de forme. Les femmes portent des coiffes blanches et des capuches noires, plusieurs d’entre-elles tiennent un mouchoir blanc dans la main et pleurent le mort.
Dans le groupe des officiants, le curé porte le costume funèbre et lit les textes de son bréviaire qu’il tient à la main.
Le fossoyeur a un genou au sol, il a posé sa veste et son bonnet sur le bord de la fosse qu’il vient de creuser. Il attend l’arrivée du cercueil.
Les quatre porteurs, à l’extrémité gauche du tableau, soutiennent le cercueil recouvert d’un drap de satin blanc. Ils sont vêtus de tenues noires, ils portent de grands chapeaux à bords ronds et des gants blancs.
Les cinq sacristains se tiennent derrière le curé, à gauche du cercueil et sont vêtus de blanc. Celui qui est le plus près du curé porte la croix.
Les deux enfants de chœur sont derrière le curé et devant le cercueil. Celui qui est au premier plan porte le vase d’eau bénite, le second derrière lève la tête vers le porteur.
Les deux bedeaux, dont la fonction est d’assurer le bon déroulement des cérémonies religieuses, sont remarquables dans leurs costumes rouges.
Le groupe des hommes est constitué de notables (tous connus) au premier plan, de bourgeois au second plan et, devant la fosse, face au curé, deux révolutionnaires repérables à leurs costumes l’un avec des guêtres blanches, l’autre des bas bleus.
Pour le groupe des femmes, en tête du cortège, Courbet a représenté sa famille, au premier plan sont sa mère et trois de ses sœurs.

-À l’arrière plan, les falaises calcaires qui encadrent les méandres encaissés de la Loue (affluent du Doubs, qui traverse Ornans) ferment le tableau.

-Au-dessus des falaises, une mince bande de ciel.

Composition

De très grande taille, le tableau a été rigoureusement composé.
C’est une construction géométrique organisée en frise comme les portraits de confréries hollandaises.

La toile est constituée de trois plans horizontaux : le ciel, l’assemblée des personnages et la fosse.
Le ciel est délimité par les falaises et le haut de la toile.
La fosse est délimitée par le changement de couleur de la terre et le bas du tableau.
Entre les falaises et la fosse se tient la frise des personnages.

L’inclinaison du cercueil en parallèle avec l’inclinaison des branches du crucifix forment deux diagonales qui guident le regard du spectateur sur la fosse

La palette de couleurs avec des dominantes de noirs et de blancs, est sombre et très contrastée.
Le noir présente des nuances charbonneuses ou bleutées.
Le blanc ressort vivement sur les draps des porteurs, les surplis du porte-croix, la chemise du fossoyeur, les bonnets et les mouchoirs des femmes et, sur le chien blanc tacheté de noir.
Outre les blancs et les noirs, des touches de couleurs vives ponctuent la toile : le rouge vermillon des bedeaux  et de l’enfant de chœur, le jaune cuivré du vase, le vert olive de la blouse du fossoyeur, les bas bleus et la culotte verte, la redingote grise et le gilet brun des révolutionnaires.

Courbet travaille sa lumière. IL situe la scène en fin de journée.
À droite du tableau, le ciel est illuminé par une grande trainée de lumière qui a  son pendant d’ombre à gauche. C’est le ciel du crucifix. Crucifix qui renvoie des éclats de lumières sur les visages et les bonnets et conduit notre regard au premier plan. La où la terre éclairée nous montre la fosse et le crâne posé sur le bord à son extrémité droite.

Analyse

Courbet a le souci de ses modèles, le désir de les élever en élevant sa peinture. Il est sensible aux idées de son temps et se fait l’écho d’une philosophie nouvelle, fondant une société démocratique où le peuple aurait la 1er place comme le montrent ses œuvres de 1848 à 1855.

Le ressort de l’émotion comme celui du récit sont délibérément oblitérés par Courbet. On ne trouve dans ce tableau ni anecdote, ni postulat moral, ni réconfort sentimental. Le refus d’une narration précise, on ne connait pas le défunt, exagère l’importance des détails qui ne s’articulent autour d’aucun propos instantanément compréhensible.

Le thème de l’enterrement n’est pas fréquent en peinture. Cela relève d’une réalité noire que l’on préfère cacher ou alors il s’agit des funérailles d’un grand personnage. Par exemple, le tableau du Gréco Enterrement du comte d’Orgaz
Courbet a peint une scène banale, située en pleine nature.
Les personnages occupent presque tout l’espace du tableau, le cadrage très serré accentue l’impression d’écrasement.
La dimension spirituelle de l’événement est reléguée au second plan.
La tradition en peinture réserve les tableaux de grandes dimensions aux genres nobles comme la peinture religieuse, historique ou mythologique.
Avec cette toile, Courbet a donné une dimension noble et monumentale à un fait quotidien de la vie villageoise.
Le peintre a représenté toute la communauté d’Ornans. Les personnages ont tous été identifiés. Ce choix de représenter toutes les classes sociales suit l’évolution politique de la société. Courbet refuse que l’art ne représente qu’une élite sociale. Il peint la réalité, les paysans, les ouvriers et les bourgeois dans leur quotidien et leur environnement.
Dans ce tableau il n’y a pas de hiérarchie entrée les groupes sociaux, seule la tradition religieuse sépare les hommes des femmes.
La diversité sociale d’Un enterrement à Ornans est remarquable.
Si la petite bourgeoisie domine c’est parce que Courbet a peint son propre milieu social.
Courbet qui était socialiste fait ici le portrait d’une communauté unanimiste et harmonieusement rassemblée autour des chefs religieux et civils.

La métaphore photographique a été souvent employée de façon péjorative, à propos des grandes toiles réalistes de Courbet des années 1850.
Plus qu’aucun autre artiste de son temps, Courbet fut celui qui cristallisa cette association entre peinture et photographie.
La photographie permit à Courbet de rester fidèle aux maîtres anciens qu’il admirait de Titien à Rembrandt, du Corrège à Rubens ou Velasquez.

Courbet atteint  « son art du réel » avec le choix de ses coloris et de sa lumière auquel il ajoute un travail de la matière avec l’utilisation du couteau à peindre pour produire un nouveau genre d’empâtement. Chez Courbet la matérialité de la peinture est celle de ses modèles.
Cézanne dit de Courbet « Son grand apport est l’entrée lyrique de la nature, de l’odeur des feuilles mouillées… »Dans les années 1860 Cézanne utilise le couteau à palette selon la technique de Courbet. Il lui emprunte également les couleurs sombres et la pâte épaisse.

Conclusion

Pour l’historien J.L. Mayaud, le tableau serait une représentation allégorique de l’enterrement de la II ème république par le second Empire.
L’engagement politique et artistique de Courbet accréditent cette hypothèse.
À moins que ce ne soit l’enterrement du romantisme dont Delacroix avait déjà commencé à s’émanciper.
On ne connaîtra jamais l’identité du mort que l’artiste enterre. Et, si c’était simplement un hommage à sa sœur Clarisse morte lorsque Courbet avait 15 ans ?

Courbet fut un peintre novateur et provocateur qui bouleversa avec sa modernité la vie artistique de son temps, scandales après scandales jusqu’au choc de 1866 avec la provocation de L’origine du monde.

Comme dans Les bergers d’Arcadie de Poussin, le peintre instaure un dialogue entre l’homme qui montre du doigt la fosse et le curé.
Courbet renouvelle l’art de peindre issu du Romantisme en s’inspirant de Titien et de Tintoret auquel il prend les coloris sombres et forts

On est au XIXe quelques années avant les audaces de Manet et son
Déjeuner sur l’herbe. Forme et matière sont celles de la réalité observée par le peintre.En revisitant la scène de genre et le portrait, Courbet annonce ce que sera la peinture moderne durant les vingt années suivantes;

C’est la révolution stylistique de ce tableau qui en fait un des tableaux les plus important de l’histoire de la peinture du XIXe.